Les chambres israéliennes de torture sont un modèle qui nous menace tous
Les "sites noirs" visent à rappeler à ceux qui ont été colonisés et asservis une leçon simple : la résistance est futile.
Il y a 21 ans, par un matin brumeux de novembre, j’essayais désespérément de me camoufler. Dissimulé dans le feuillage d’une orangeraie de la Galilée rurale d’Israël, je me suis empressé de prendre des photos d’un bâtiment en béton terne qui ne figurait sur aucune carte.
Même le panneau routier identifiant le site comme l’installation 1391 avait été enlevé après qu’une enquête du journal local Haaretz eut révélé qu’il abritait une prison secrète.
J’ai été le premier journaliste étranger à retrouver l’installation 1391, en grande partie cachée dans un complexe très fortifié construit dans les années 1930 pour réprimer la résistance à la domination britannique en Palestine.
Pendant des décennies, Israël y a détenu secrètement des ressortissants étrangers, pour la plupart arabes, à l’insu des tribunaux israéliens, de la Croix-Rouge et des groupes de défense des droits de l’homme.
Nombre d’entre eux étaient des citoyens libanais kidnappés au cours des 18 années d’occupation du Sud-Liban par Israël. Mais il y avait aussi des Jordaniens, des Syriens, des Égyptiens et des Iraniens.
Ce site sera bientôt connu sous le nom de « site noir », un terme popularisé par l’invasion de l’Irak par Washington cette année-là. S’inspirant des techniques mises au point par Israël dans l’installation 1391, les États-Unis allaient, dans les mois et les années à venir, torturer des Irakiens et d’autres personnes à Abou Ghraib et au camp X-Ray de Guantanamo.
Personne ne sait combien de captifs sont détenus dans l’installation israélienne 1391, combien de temps ils y sont restés et s’il existe d’autres prisons de ce type.
Cependant, les premiers témoignages de détenus ont révélé des conditions horribles. La plupart du temps, ils étaient maintenus dans un état de privation sensorielle et devaient porter des lunettes noires, sauf lorsqu’ils étaient torturés. Dans une affaire qui a été portée devant les tribunaux, un prisonnier libanais a été sodomisé à l’aide d’une matraque par le « Major George », le tortionnaire en chef de l’établissement.
Le major George est devenu par la suite responsable des relations de la police israélienne avec la population palestinienne de Jérusalem.
Une autre prison secrète
Il était difficile de ne pas se souvenir de l’installation 1391 ce mois-ci, lorsque CNN a publié une enquête sur une nouvelle prison secrète israélienne, Sde Teiman.
Cette prison a été créée il y a plusieurs mois pour incarcérer non pas des ressortissants étrangers, mais des milliers d’hommes et de garçons palestiniens, victimes de l’occupation israélienne, kidnappés dans les rues de Gaza et de Cisjordanie depuis l’attaque d’une journée menée par le Hamas le 7 octobre.
Quelque 1 150 Israéliens ont été tués et 250 ont été ramenés à Gaza en tant que captifs pour être échangés.
Comme dans le cas de l’installation 1391, les révélations sur les horreurs commises sur le nouveau site noir d’Israël n’ont pratiquement pas retenu l’attention des médias occidentaux.
CNN, connue pour avoir supprimé les atrocités israéliennes de sa couverture sur ordre de ses commanditaires, devrait être applaudie pour avoir enfin fait ce que les médias occidentaux prétendent souvent à tort être leur rôle : demander des comptes aux pouvoirs en place.
Intitulé « Strapped down, blindfolded, held in diapers » [Attachés, les yeux bandés, maintenus dans des couchettes], ce long article détaille les conditions dégradantes et brutales auxquelles sont soumis les Palestiniens kidnappés à Gaza et en Cisjordanie.
On ne connaît pas le nombre de Palestiniens qui passent par ce camp de détention secret, situé dans le désert du Néguev. Mais des photos satellites montrent que le site s’agrandit rapidement, sans doute pour accueillir toujours plus de « prisonniers ».
Certains Palestiniens qui sont sortis, complètement brisés, de ce système d’incarcération – où le monde a vu, en novembre et décembre, des hommes et des garçons exhibés ligotés, presque nus et les yeux bandés dans les rues et les stades de Gaza – ont commencé à raconter leur expérience il y a plusieurs mois.
Photo : via Middle East Eye
Comme on pouvait s’y attendre, les médias occidentaux ont largement ignoré ces témoignages.
Même lorsque le personnel pénitentiaire lui-même de Sde Teiman a commencé à se manifester il y a plusieurs semaines pour divulguer des histoires toutes plus horribles les unes que les autres, les médias occidentaux ont collectivement somnolé, à l’exception de CNN.
Comme toujours, des médias qui ne font pas leur travail
Ce modèle en échec pour les médias a été noté dans les pages de Middle East Eye depuis des mois.
Par exemple, les médias occidentaux ont soigneusement détourné leur regard des rapports israéliens selon lesquels une partie des personnes tuées le 7 octobre n’étaient pas des victimes du Hamas mais de la fameuse « procédure Hannibal » de l’armée israélienne, un protocole qui consiste à tuer des compatriotes israéliens plutôt que de les laisser se faire capturer.
Les journalistes occidentaux évitent encore la plupart du temps de souligner le fait qu’Israël prive activement de nourriture et d’eau l’ensemble de la population de Gaza, ce qui constitue un crime contre l’humanité incontestable.
Au lieu de cela, les journalistes se font les porte-parole de leurs propres gouvernements en qualifiant cette famine provoquée par Israël de « crise humanitaire », comme s’il s’agissait d’une malheureuse catastrophe naturelle.
Les médias occultent également le fait que les puissances occidentales, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni, aident directement Israël à affamer massivement la population de Gaza, à la fois en refusant de financer la principale agence de secours des Nations unies, l’UNRWA, et en refusant d’exercer une pression significative sur Israël pour qu’il autorise l’acheminement de l’aide.
Faisant écho à l’administration Biden, les médias hésitent encore à qualifier les actions d’Israël à Gaza de ce qu’elles sont, préférant de temps à autre une évaluation bâtarde selon laquelle Israël « risque » de commettre des crimes de guerre. Aucun ne souligne le fait que tous ces crimes de guerre individuels « possibles » constituent indiscutablement un génocide.
Il est d’autant plus difficile de maintenir cette confusion que le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé cette semaine des mandats d’arrêt pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés commis par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la défense Yoav Gallant, ainsi que par trois dirigeants du Hamas [résistance islamique].
Néanmoins, les médias ont mis l’accent sur l’indignation d’Israël et de l’administration Biden à l’égard de la Cour plutôt que sur le fond des accusations, notamment l’accusation selon laquelle Israël extermine les Palestiniens de Gaza en les affamant de façon planifiée.
Les médias évitent d’être clairs sur ces sujets parce que la clarté serait gênante… Pourquoi ? Parce que, comme nous le verrons, l’objectif des médias occidentaux est d’imposer un récit qui serve les gouvernements occidentaux dans la poursuite de leurs objectifs primordiaux de politique étrangère dans le Moyen-Orient riche en pétrole, et non de mettre fin aux souffrances illimitées à Gaza ou d’obliger Israël à rendre compte de ses crimes.
Utilisés comme animaux de laboratoire
Comme l’ont révélé une poignée de dénonciateurs à CNN, les Palestiniens sont incarcérés pendant des semaines à Sde Teiman où ils sont torturés, à la fois lors des interrogatoires et aussi par les conditions dans lesquelles ils sont détenus.
Ils sont forcés de s’asseoir, les yeux bandés, sur un mince matelas dans la chaleur du désert pendant la journée et de dormir dans le froid de la nuit propre à cette région.
Menottés en permanence, ils sont contraints de rester immobiles et silencieux. La nuit, des chiens sont lâchés sur eux. Quiconque parle ou bouge risque d’être sauvagement battu jusqu’à avoir des fractures.
Les mains et les jambes des détenus sont étroitement attachées par des bracelets pendant si longtemps que, selon le rapport, certains d’entre eux ont dû être amputés.
Comme l’a expliqué un dénonciateur israélien à CNN, ces abus n’ont rien à voir avec la collecte de renseignements. « Ils ont été commis par vengeance », a-t-il admis. Les détenus sont des punching-ballspour les soldats et les gardiens israéliens.
Mais il ne s’agit pas d’une simple vengeance. Comprendre ce qui se passe à Sde Teiman permet de se faire une idée plus précise de ce qui se passe à Gaza, à une échelle bien plus grande et encore plus industrielle.
Les conditions de vie dans l’hôpital de campagne du camp de détention, qui accueille les Palestiniens mutilés lors de la destruction sauvage de Gaza par Israël ou blessés par les coups des soldats israéliens, sont particulièrement révélatrices.
Ils sont menottés à des brancards, rangée après rangée, les yeux bandés et nus à l’exception d’une couche pour adulte. Ils ne sont pas autorisés à parler.
Ils restent là, jour après jour, nuit après nuit, dans un état de privation sensorielle totale, sans rien pour les distraire de leurs blessures et de leur douleur. Au milieu de tout cela, des internes en médecine israéliens peuvent utiliser leur chair exposée et vulnérable comme support d’expérimentation.
Selon un dénonciateur, le centre de détention a rapidement acquis la réputation d’être « un paradis pour les internes ».
Ils y sont autorisés à utiliser les Palestiniens comme de simples rats de laboratoire et sont encouragés à pratiquer des actes médicaux pour lesquels ils ne sont pas qualifiés.
Un dénonciateur a déclaré à CNN : « On m’a demandé d’apprendre à faire des actes sur les patients, en pratiquant des interventions médicales mineures qui ne relèvent absolument pas de mes compétences ».
Ces interventions étaient souvent effectuées sans anesthésie. Contrairement aux médecins de Gaza, les médecins israéliens ont facilement accès aux analgésiques. C’est un choix délibérée de ne pas les utiliser.
Le personnel médical a disparu
Les médias occidentaux étant si volontiers complices de la déshumanisation des Palestiniens, il est important de se rappeler qui sont ces « prisonniers ».
Israël veut nous faire croire qu’il cible le Hamas et que ceux qu’il « arrête » – euphémisme largement accepté, utilisé par CNN dans cet article, pour désigner les personnes prises en otage par Israël – sont des Palestiniens soupçonnés d’avoir des liens avec le groupe militant.
Toutefois, l’un des témoignages les plus significatifs de mauvais traitements infligés par le Sde Teiman et rapportés par CNN est celui du Dr Mohammed al-Ran, chef du service de chirurgie à l’hôpital indonésien de Gaza, aujourd’hui détruit, et aux cheveux grisonnants.
Il a été « arrêté » – kidnappé – par Israël en décembre et emmené à Sde Teiman. Rien n’indique que M. al-Ran ait participé à des combats armés contre les troupes d’invasion israéliennes ou qu’il ait été associé au Hamas de quelque manière que ce soit. Il a été enlevé, avec d’autres membres du personnel médical, alors qu’il effectuait une garde de trois jours dans un autre centre médical, l’hôpital baptiste al-Ahli al-Arabi.
Il avait été contraint de fuir l’hôpital indonésien après qu’il ait été bombardé par Israël et que le personnel ait été sévèrement battu.
Un nombre incalculable de membres du personnel médical ont été assassinés ou ont disparu lors des attaques systématiques d’Israël contre les hôpitaux de Gaza. La destruction du secteur de la santé de l’enclave est un autre crime flagrant contre l’humanité que les médias occidentaux ont soigneusement évité de reconnaître.
Le contraste avec la certitude inébranlable des médias concernant les crimes de guerre commis par la Russie en Ukraine il y a peu de temps est en effet saisissant.
Les groupes de défense des droits de l’homme tentent désespérément de retrouver ces otages palestiniens par le biais d’un habeas corpus, tout comme ils avaient tenté de retrouver les ressortissants étrangers détenus dans l’installation 1391. Les tribunaux israéliens ont fait preuve d’une obstruction délibérée.
Dans un cas révélateur, le groupe israélien de défense des droits de l’homme HaMoked, qui a joué un rôle central dans l’identification du bâtiment 1391, a demandé à la Cour suprême d’Israël – dont certains juges vivent dans des colonies juives illégales en Cisjordanie – de retrouver un technicien en radiologie palestinien disparu depuis février.
Il a été enlevé par les troupes israéliennes à l’hôpital Nasser, dans le sud de la bande de Gaza. On soupçonne qu’il est détenu à Sde Teiman.
Selon HaMoked, plus de 1 300 Palestiniens de Gaza sont portés disparus, présumés détenus par Israël, dont 29 femmes.
Un autre chirurgien, le Dr Adnan al-Bursh, est connu pour faire partie des plus de deux douzaines de Palestiniens qui sont morts dans des circonstances mystérieuses en captivité israélienne. Il a très probablement été torturé à mort ou tué lors d’une intervention médicale ratée.
Des abus « sans précédent »
Preuve supplémentaire que cette vague de violence à l’encontre des prisonniers n’a rien à voir avec les soupçons d’appartenance au Hamas ou de participation à l’attaque du 7 octobre, des détails ont été révélés le week-end dernier sur les sévices implacables et sauvages infligés au prisonnier palestinien le plus connu détenu par Israël.
Marwan Barghouti, membre du Mouvement national de libération de la Palestine dirigé par le président palestinien Mahmoud Abbas – l’ennemi juré du Hamas – est enfermé depuis 22 ans. Parfois surnommé le « Mandela palestinien », Barghouti est considéré comme un futur leader potentiel du peuple palestinien.
Selon des codétenus et des groupes de défense des droits de l’homme, Barghouti est à peine reconnaissable après une série de passages à tabac, dont l’un l’a rendu aveugle de l’œil droit.
Il souffrirait en permanence d’une épaule disloquée à la suite d’une agression, blessure qui n’a pas été soignée.
Selon son avocat israélien, il a été traîné sur le sol, menotté et nu, devant d’autres détenus de la prison d’Ayalon.
Barghouti a perdu beaucoup de poids en raison des restrictions alimentaires sévères imposées à tous les prisonniers palestiniens depuis octobre et n’a pas accès aux livres, aux journaux et à la télévision.
Tal Steiner, de l’association israélienne de défense des droits de l’homme Public Committee Against Torture in Israel, a déclaré au Guardian que Barghouti était soumis à des abus « sans précédent » et que ces tortures étaient devenues « la norme » pour les 8 750 Palestiniens emprisonnés depuis octobre.
Le ministre du gouvernement chargé de superviser les services pénitentiaires israéliens, Itamar Ben Gvir, appartient au parti fasciste déclaré « Puissance juive », dont les racines idéologiques dans le kahanisme considèrent explicitement les Palestiniens comme à peine plus que de la vermine.
Une précieuse monnaie d’échange
Les médias occidentaux se sont longuement apitoyés sur les souffrances de la centaine d’otages israéliens toujours détenus à Gaza, sans toutefois mentionner qu’une grande partie de ces souffrances découlent des actions d’Israël.
Les otages, comme les Palestiniens de Gaza, sont sous la pluie de bombes israéliennes. Et comme les Palestiniens, ils sont confrontés à des pénuries alimentaires durables causées par le blocus israélien de l’aide. La violence aveugle contre Gaza touche aussi bien les otages que les Palestiniens.
Mais d’après les rapports de CNN et des médias israéliens, il semble probable qu’une grande partie des milliers de Palestiniens enlevés par Israël depuis octobre connaissent un sort bien plus cruel que les otages israéliens à Gaza.
Le Hamas a tout intérêt à ce que les otages israéliens soient le plus en sécurité possible, car ils constituent une monnaie d’échange précieuse pour faire sortir l’armée israélienne de Gaza et libérer les Palestiniens des sites de torture tels que Sde Teiman.
Israël ne subit pas de telles pressions. En tant que puissance occupante et État client préféré de Washington, il peut infliger aux Palestiniens toutes les punitions qu’il souhaite sans grande répercussion.
C’est un autre aspect des sept derniers mois que les médias refusent de reconnaître.
Destruction de l’aide humanitaire
Pendant ce temps, les opinions publiques occidentales sont diffamées si elles tentent de qualifier les crimes d’Israël de génocide ou d’expliquer comment le génocide se déroule.
Cette situation fait écho aux soupçons exprimés en janvier par une écrasante majorité de juges de la Cour internationale de justice (CIJ) et est sous-entendue dans la demande de mandats d’arrêt présentée cette semaine par le procureur général de la CPI.
La récente redéfinition perverse et intéressée de l’antisémitisme par l’Occident – une victoire pour les groupes de pression pro-israéliens – assimile la critique d’Israël à une prétendue haine des juifs.
Selon la nouvelle définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, il est antisémite d’établir un parallèle entre les actions d’Israël et le génocide que les Occidentaux connaissent le mieux : l’Holocauste.
Il est commode pour Israël que les institutions occidentales puissent désormais renier une leçon trop évidente de l’histoire et de la psychologie humaine : les victimes d’abus sont tout à fait capables de commettre elles-mêmes de tels abus.
La reconstitution par CNN de l’hôpital de campagne de Sde Teiman montre des Palestiniens déshumanisés – ligotés, les yeux bandés et nus – dans des rangées de brancards prêts à subir des expériences. Pourquoi cela n’évoquerait-il pas, pour le public occidental, les souvenirs de Josef Mengele, le célèbre médecin nazi qui considérait les détenus des camps de concentration comme moins qu’humains, comme du simple bétail pour ses expériences ?
Quels échos les Occidentaux devraient-ils ressentir en voyant des extrémistes juifs des colonies illégales d’Israël tendre des embuscades aux camions d’aide qui se rendent à Gaza, détruire les fournitures dont une population affamée a désespérément besoin, brûler les camions et battre les chauffeurs – tout cela pendant que la police et les soldats et la police ne bougent pas, regardant les destructions se dérouler ?
Comment pourrait-il être erroné – antisémite, rien de moins – de se demander si un racisme brutal et génocidaire similaire n’a pas animé les extrémistes en Allemagne en 1938 lorsqu’ils se sont déchaînés contre les juifs lors de la Nuit de Cristal ?
Et que dire de ceux qui ont comparé la petite bande de Gaza à un camp de concentration pendant les 17 années de siège terrestre, aérien et maritime d’Israël, les Palestiniens encagés étant privés des libertés fondamentales et des éléments essentiels de la vie ? Ou encore ceux qui qualifient aujourd’hui Gaza de camp de la mort alors qu’Israël affame la population ?
De telles évaluations sont-elles vraiment la preuve de la haine des juifs ? Ou sont-elles la preuve que ces observateurs ont bien compris les leçons de l’histoire et de l’Holocauste ? La dégradation et l’abus systématiques d’un peuple devraient toujours être considérés comme un crime contre notre humanité commune.
Le devoir moral qui nous incombe à tous est de mettre fin à de telles atrocités, et non de refuser de juger et de regarder en silence leur déroulement jusqu’à leur conclusion logique.
Chambres de torture
Les horreurs qu’Israël inflige actuellement aux détenus de Sde Teiman et, à plus grande échelle encore, aux Palestiniens du camp de la mort de Gaza, sont bien plus qu’une simple vengeance pour le 7 octobre.
Sde Teiman est la petite chambre de torture qui reflète la chambre de torture beaucoup plus grande de Gaza elle-même, où les bombes et la famine atteignent précisément les mêmes objectifs.
Jusqu’à il y a sept mois, l’objectif d’Israël était de maintenir les Palestiniens dans un état de soumission, d’esclavage et de désespoir, en les confinant dans une série de camps de concentration à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Ils devaient rester muets dans leurs souffrances et invisibles au monde extérieur.
À long terme, on supposait que les Palestiniens préféreraient fuir leur condition d’immigrés dans ces terres colonisées et occupées en permanence.
La révolte des esclaves du 7 octobre – brutale et laide comme l’ont été de telles révoltes tout au long de l’histoire – a été un choc dévastateur. Non seulement pour un Israël fidèle à son projet raciste et colonial d’asservissement du peuple palestinien, mais aussi pour l’Occident.
Ce fut également un choc pour le projet colonial plus large de l’Occident, dans lequel Israël est si étroitement intégré.
Dans l’ « ordre fondé sur des règles » de Washington, la seule règle qui vaille est que Washington et ses clients obtiennent ce qu’ils veulent. La planète, ses ressources et ses peuples sont considérés comme des jouets par la superpuissance mondiale en chef.
Les révoltes contre cet ordre – qu’elles soient le fait du Hamas à Gaza, du Hezbollah au Liban, des Houthis au Yémen ou du Corps des gardiens de la révolution islamique en Iran – ne peuvent être érigées en modèle. L’ « ordre fondé sur des règles » doit être remis en place avec la sauvagerie nécessaire pour enseigner aux colonisés et aux esclaves leur place.
Tel était le message des sites noirs dont Washington avait besoin dans sa vaine « guerre contre le terrorisme », d’Abu Ghraib à Guantanamo – des sites qui s’inspiraient de l’expérience israélienne consistant à « briser » les détenus de l’installation 1391.
La complicité des institutions occidentales dans le génocide actuel d’Israël n’est pas une anomalie. Elle ne découle pas d’un malentendu ou d’une confusion. La classe politique et médiatique occidentale voit le génocide à Gaza aussi clairement que le reste d’entre nous. Mais pour eux, il est justifié, voire nécessaire. Il faut apprendre aux colonisés et aux opprimés que toute résistance est futile.
Sde Teiman, comme le camp de la mort de Gaza, remplit sa mission. Il est là pour briser l’esprit humain. Il est là pour transformer les Palestiniens en collaborateurs volontaires de leur propre destruction en tant que peuple, de leur propre nettoyage ethnique.
Parallèlement, un message subliminal est adressé au public occidental : tel pourrait être votre sort aussi si vous n’applaudissez pas aux atrocités commises par Israël à Gaza.
Traduction : Chronique de Palestine
Image en vedette : Posters à la mémoire de Abdul Rahman Al-Bahsh, mort sous la torture dans une prison israélienne en janvier 2024 – Photo : via la-Mayadeen
L'auteur, Jonathan Cook, a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel ad the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books).
- Source : Middle East Eye (Royaume-Uni)