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Le Royaume-Uni traite les journalistes comme des terroristes - croyez-moi, je sais (The Guardian)

Auteur : The Guardian (Grande-Bretagne) | Editeur : Stanislas (traduit de l'anglais par Romane) | Jeudi, 03 Avr. 2014 - 11h37

Mes liens avec WikiLeaks et Edward Snowden signifient que je suis traitée comme une menace et que je ne peux pas retourner au Royaume-Uni. Nous avons besoin d'une feuille de route pour la liberté d’expression.

La liberté d’expression est attaquée au Royaume-Uni. Je ne peux pas retourner en Angleterre, mon pays, à cause de mon activité journalistique avec le lanceur d’alerte de la NSA Edward Snowden et WikiLeaks. Je sens qu’il y a des choses que je ne peux même pas écrire. Par exemple, si je devais dire que j’espérais que mon travail au sein de WikiLeaks changerait le comportement du gouvernement, ce travail journalistique pourrait être considéré comme un délit en vertu de la loi anti-terrorisme britannique de 2000.

La loi définit le terrorisme comme un acte ou une menace « conçue pour influencer le gouvernement », qui « est faite dans le but de faire avancer une cause politique, religieuse, raciale ou idéologique » et qui poserait un « risque grave » à la santé ou à la sécurité d’une partie du public. Les représentants du gouvernement britannique ont continuellement asséné que ce risque est présent dans la divulgation de documents « classifiés ».

Ailleurs, la loi affirme que “le gouvernement” désigne le gouvernement de n’importe quel pays – y compris les Etats-Unis. L’Angleterre a utilisé cette loi pour ouvrir une enquête anti-terrorisme sur Snowden et les journalistes qui ont travaillé avec lui et comme prétexte pour entrer dans les bureaux du Guardian et exigé la destruction des disques durs contenant les fichiers de Snowden. Le Royaume-Uni est en train de devenir un pays qui ne sait pas faire la distinction entre terroristes et journalistes.

Le jugement récent dans l’affaire Miranda le prouve. David Miranda assistait le journaliste Glenn Greenwald et transitait à l’aéroport d’Heathrow en possession des documents des journalistes (G.Greenwald et Laura Poitras, exilée à Berlin – NDT) quand il a été détenu l’été dernier sous le chapitre 7 de la loi anti-terrorisme. Le chapitre 7 signifie qu’une personne peut être arrêtée et détenue dans n’importe quel port britannique jusqu’à une durée de 9 h (le maximum, comme le fut Miranda, ce qui est extrêmement rare – NDT) et qui interdit tout droit au silence. Il vous contraint à répondre aux questions et à livrer tous les documents en votre possession et a ainsi forcé Miranda à remettre les documents de Snowden. Par la suite, Miranda a intenté un procès contre le gouvernement britannique pour contester la légalité de sa détention, pour montrer comment cette loi porte atteinte à la capacité des journalistes de travailler librement. D’une manière scandaleuse, le tribunal a trouvé des excuses politiquement transparentes pour ignorer les protections bien définies de liberté d’expression de la Convention européenne des droits humains.

Si le Royaume-Uni se met à enquêter sur les journalistes comme étant des terroristes, saisit et détruit nos documents, nous force à céder nos mots de passe et à répondre aux questions – comment pouvons-nous être sûrs que nous pouvons protéger nos sources ? Mais ce précédent est maintenant réglé ; nul journaliste ne peut être certain que s’il quitte, entre où transite par le Royaume-Uni cela ne lui arrivera pas. Mes avocats me conseillent de ne pas rentrer dans mon pays.

L’avocate américaine de Snowden, Jesselyn Radack, a été interrogée sur Julian Assange et son client, lorsqu’elle est entrée récemment au Royaume-Uni. Je suis étroitement liée à ces deux hommes : je travaille pour l’un et j’ai secouru et protégé le deuxième pendant quatre mois. De plus, si le chapitre 7 est utilisé pour m’arrêter en entrant au pays, je ne pourrais pas répondre à de telles questions ou renoncer à tout car cela représenterait un risque pour le travail journalistique de WikiLeaks, nos collaborateurs et nos sources. Comme je n’aurai aucun droit à garder le silence avec cette loi, je commettrai un crime aux yeux du gouvernement. Une condamnation pour « terrorisme » aurait de graves conséquences pour la libre circulation à travers les frontières internationales.

Le chapitre 7 ne porte pas réellement sur la capture des terroristes, même dans ses propres termes. Le jugement Miranda établit que, dans ce cas, il « a constitué une interférence indirecte à la liberté de la presse » et est certes « capable, selon les faits, d’être étendu de manière à interférer avec la liberté du journalisme ». Les agents peuvent détenir quelqu’un, non pas parce qu’ils le soupçonnent d’être impliqué dans des activités terroristes mais pour voir « si quelqu’un semble » – même indirectement – contribuer à la définition bizarre du terrorisme telle qu’elle est formulée dans cette loi.

M. le juge Ouseley, qui a aussi présidé le cas d’extradition d’Assange, a déclaré dans son jugement qu’un agent peut agir sur rien de « plus qu’un pressentiment ou une intuition ». Nos tribunaux décrètent désormais qu’il est acceptable d’interférer avec la liberté de la presse, en s’appuyant sur une intuition – tout cela au nom de la « sécurité nationale ». Aujourd’hui, au lieu de dire « pour assurer la stabilité d’une nation pour son peuple », la sécurité nationale est un slogan décliné par nos gouvernements pour justifier leurs propres illégalités, que ce soit pour envahir d’autres pays ou espionner leurs propres citoyens. Cette loi – c’est maintenant clair comme de l’eau de roche – est délibérément et stratégiquement mise en œuvre pour menacer les journalistes. Elle est devenue un outil pour sécuriser l’écran derrière lequel notre gouvernement peut construire un tout nouveau Big Brother du 21e siècle.

Cette érosion des droits civils humains fondamentaux est une pente dangereuse. Si le gouvernement peut s’en tirer en nous espionnant – pas seulement en connivence avec, mais à la demande des Etats-Unis – alors vers quels contre-pouvoirs pouvons-nous nous retourner ? Peu de nos représentants agissent contre cette restriction abusive des libertés de la presse. La députée Vert, Caroline Lucas, a déposé une motion le 23 janvier dernier mais seulement 18 députés l’ont signée jusqu’à présent.

Depuis mon refuge à Berlin, cela sent l’Allemagne du passé plutôt que celle du futur. J’ai réfléchi à quel point l’histoire britannique aurait été plus pauvre si les gouvernements de l’époque avaient disposé d’un instrument aussi excessif. Que serait-il arrivé à toutes les campagnes publiques dans une tentative d’« influencer le gouvernement » ? J’imagine les suffragettes luttant pour leurs droits de vote menacées d’être réduites au silence, les marcheurs de Jarrow être étiquetés de terroristes et Dickens être emprisonné à la prison de Newgate.

Dans leur volonté de bafouer nos traditions, les autorités et les agences d’Etat britanniques sont saisis par un extrêmisme qui est tout aussi dangereux pour la vie publique britannique que les menaces de terrorisme (réelles ou imaginaires). Comme Ouseley l’indique, le journalisme au Royaume-Uni ne possède pas de « statut constitutionnel ». Mais il ne fait aucun doute que ce pays a besoin d’une feuille de route pour la liberté d’expression pour les années à venir. Le peuple britannique devrait lutter pour montrer au gouvernement que nous préserverons nos droits et nos libertés, quelles que soient les mesures coercitives et les menaces qu’il nous adresse.


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