Un e-mail, ça coûte très cher à la planète
Quel est l’impact écologique du téléphone portable, d’Internet, et de tout ce que nous appelons les « TIC » (pour technologies de l’information et de la communication) ?
Il est très rare de s’interroger sur les « faces cachées de l’immatérialité », la pollution des composants électroniques en fin de vie, la pression sur les matières premières que fait peser la course technologique, la consommation d’énergie colossale générée par tous ces appareils que depuis peu nous utilisons au quotidien.
Pour en parler, dans le cadre du partenariat avec Place de la Toile, le magazine des cultures numériques de France Culture, nous avons invité trois des huit auteurs d’un ouvrage de référence, « Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication »* (EDP Sciences Edition, 21 euros).
Sont présents ce samedi 26 janvier au micro de Xavier de la Porte et de Rue89 :
- Philippe Balin, ingénieur et consultant à Solcap21 ;
- Françoise Berthoud, directrice du groupe de recherche EcoInfo au CNRS ;
- Cédric Gossart, maître de conférences à l’institut Mines-Telecom.
500 milliards d’e-mails par jour
A première vue, un courrier électronique qui transporte vos données numériques est plus écologique qu’un courrier physique qui doit utiliser camion, train, avion. Mais c’est oublier que pour envoyer un e-mail, il vous faut un ordinateur, des réseaux de communication, des serveurs de stockage... et surtout, on en envoie beaucoup plus qu’on n’a jamais envoyé de courriers.
L’utilisation d’un téléphone portable dix minutes par jour représente l’équivalent de 80 km en voiture sur une année, rappellent les auteurs. Un chiffre en soi pas très élevé... sauf qu’il faut le multiplier par six milliards, soit le nombre de portables dans le monde !
L’Ademe, l’agence de la maîtrise de l’énergie, estimait dans un rapport paru en 2011 qu’en 2013 le nombre de courriers électroniques échangés dépasserait les 500 milliards par jour (spams inclus). Au rythme où l’on va, la contribution des TIC aux émissions de gaz à effet de serre pourrait passer de 2% en 2005 à 4% en 2020.
Il est donc urgent de réfléchir à une consommation plus responsable de ces outils. D’autant que les réserves de certains métaux, comme le lithium des batteries, sont estimées à seulement 10 à 15 ans.
Une pression sur les ressources « insoutenable »
Dans l’ouvrage qu’ils ont rédigé, nos trois invités ont utilisé la méthode de l’analyse du cycle de vie, qui intègre l’impact environnemental d’un produit pour sa phase de production, d’utilisation et sa fin de vie. Philippe Balin a utilement précisé que :
« Souvent, on parle de l’impact CO2, mais c’est l’arbre qui cache la forêt. La pression sur les ressources non renouvelables, notamment les métaux, devient insoutenable. »
Par exemple, l’extraction de silicium, utilisé pour fabriquer les écrans de portables et d’iPad, nécessite beaucoup d’eau, « obligeant les riverains des mines dans les pays en développement à aller chercher de l’eau beaucoup plus loin », ajoute-t-il.
Cédric Gossart nous fait part des conclusions tirées des 400 références du livre :
- l’impact le plus important de ces technologies se situe avant la phase d’utilisation, d’où l’importance de réduire non seulement la consommation mais aussi les achats ;
- dans un téléphone portable, c’est l’écran qui est le plus impactant, puis l’électronique, et enfin la batterie et le chargeur ;
- dans un ordinateur, la carte mère représente 8% du poids, mais 54% du PC en terme d’impact écologique.
Les bonnes pratiques à retenir
Les requêtes
Il y a trois ans, une étude avait fait du bruit en affirmant qu’une requête Google émettait 7g de CO2, soit autant que de faire chauffer une demi-bouilloire. On avait appris juste après que l’étude était biaisée.
Une seule chose est sûre : si on sait où on veut aller, « mieux vaut rentrer une adresse URL dans l’explorateur Internet plutôt que de faire appel à un moteur de recherche, car c’est de l’énergie dépensée pour rien », remarque Philippe Balin.
« Il faut énormément d’énergie pour refroidir les serveurs de stockage de données, et surtout pour qu’ils soient en permanence disponibles en cas de panne », rappelle Françoise Berthoud. Des serveurs qu’on ne voit jamais, mais qui sont la face cachée de ce monde immatériel.
Les envois d’emails
L’Ademe nous apprend aussi que « réduire de 10% l’envoi de courriels incluant systématiquement son responsable et un de ses collègues au sein d’une entreprise de 100 personnes permet un gain d’environ 1 tonne équivalent CO2 sur l’année (soit environ 1 aller-retour Paris/New-York) ». De quoi facilement réduire son empreinte carbone !
Les logiciels
Les programmeurs de logiciels utilisent trop souvent des solutions rapides et inélégantes, dites « quick and dirty », alors qu’ils pourraient éco-concevoir les logiciels, estiment les auteurs. Surtout, « l’impossibilité de continuer à faire fonctionner un logiciel avec un appareil datant de 5 ans » génère une obsolescence systémique, explique Françoise Berthoud.
Les appareils
On change en moyenne de téléphone portable tous les 18 mois, de PC tous les trois ans, or c’est la réduction de cette durée d’utilisation qui est la plus néfaste sur l’environnement. Et ce n’est pas parce que le prochain appareil consommera moins que le précédent que c’est une bonne idée d’en changer. A nous de se rappeler que « s’il n’y a pas de client, il n’y a pas de produit », note Philippe Balin.
Le recyclage
Il a beau être prévu par la directive DEEE [PDF], le recyclage des téléphones portables n’est pas encore une réalité : « On est à moins de 30% de collecte sur les 200 millions de TIC mis sur le marché chaque année », souligne Cédric Gossart.
Outre ceux qui croupissent dans nos placards, une partie des déchets part dans les pays en développement, où ils terminent souvent dans des décharges, et où leur dépouillement se fait dans des conditions sanitaires déplorables.
Pour faciliter des comportements plus vertueux, les auteurs préconisent un meilleur affichage de l’impact environnemental de ces matériels, à l’instar de ce qui se fait dans l’électroménager.
*Le livre est signé du groupe de recherche EcoInfo et écrit par huit auteurs. Y ont aussi participé : Amélie Bohas, Carole Charbuilet, Eric Drezet, Jean-Daniel Dubois, Cédric Gossart et Marianne Parry.