Jour de colère à Paris : sommes-nous en 1788 ?
Si l’emphase du Huffington Post dissimule à peine la nervosité de ses journalistes quant à la marche anti-gouvernementale du samedi dernier, on relèvera d’emblée la réserve affichée par Le Figaro ou Le Point, plutôt soucieux de pénétrer les tenants et aboutissants d’une manif pas comme les autres. Premièrement, les méthodes ostentatoires auxquelles ont eu recours les participants ne sont pas sans rappeler les fameuses performances politiques en vogue ces dernières années. C’est ainsi que l’on a pu voir des Français enterrer symboliquement les promesses de M. Hollande en apposant une croix blanche sur chacune d’entre elles. C’est ainsi que l’on a pu voir des personnes aux visages cachés par des pancartes toutes porteuses d’un message laconique et cinglant dénonçant d’une manière ou d’une autre les méfaits de l’équipe Ayrault. Quoi qu’on puisse en dire dans le mainstream gauchisant, ces prises de position n’avaient rien de violent. Elle faisait juste état, souvent en français presque soutenu, d’un malaise économique, social et identitaire sans précédent. Deuxièmement, l’adhésion à la marche de groupes au demeurant incompatibles (Réseaux Identitaires et dieudonnistes défenseurs des communautés chiites de France pour ne citer qu’un exemple) montre bien que les points communs ont eu le dessus sur les points de divergence.
Le fait que la droite ait assez peu commenté l’évènement s’explique par la solidarité tacite qu’elle semble éprouver à l’égard des protestataires. Sans applaudir la manif en tant que telle, source de déstabilisation, Luc Chatel, ancien ministre UMP, a cependant été plus qu’explicite en avouant « comprendre la démarche du collectif Jour de colère ». Le centre-droit incarné en l’occurrence par Christine Boutin, présidente d’honneur du Parti chrétien-démocrate, a refusé de se joindre à la marche pour la simple et bonne raison que celle-ci risquerait de dégénérer sans pour autant arguer un éventuel rejet des thèses qui y seront véhiculées. Là encore, il est à constater que la gauche hollandienne est réellement plus seule que jamais, même face à des partis dont la modération traditionnelle a toujours contribué au rapprochement UMP-Centre-PS contre ceux qu’ils traitent d’extrémistes.
Le Monde a beau se démener comme un beau diable en essayant de réduire la colère des couches moyennes au remue-ménage d’un grand fourre-tout psychopathique, trois réalités fondamentales transparaissent :
- Le regroupement en question aussi métaphoriquement désigné par le terme « coagulation » renvoie plus particulièrement à l’idée d’insurrection civique dans l’esprit de le Constitution de 1793 qui, même si elle n’a jamais été appliquée, a néanmoins perduré à travers cette sacralisation de 1789 dont les socialistes se sont faits les chantres les plus éminents. L’éveil national auquel nous assistons depuis voilà près d’un an peut à ce titre être considéré comme un retour de manivelle. On se demande dans cette optique ce qu’il en serait si le système de démocratie directe suisse était adopté en France sachant que la côte de popularité de M. Hollande peine à dépasser les 15-18 %. On se demande aussi si Le Monde continuerait à occulter la réalité des faits en désignant les 80% de la population restante de marginaux, de rétrogrades ou de fous à lier. Quand Pierre-Mendès France avait comparé 1953 à 1788 en dirigeant ses foudres contre la personne de René Coty et la politique de décolonisation maladroite menée au crépuscule de la IVème République, ils ne pouvaient s’imaginer la profondeur toute abyssale des préoccupations que susciteraient soixante ans plus tard la double crise qui frappe de plein fouet la société française : identitaire et socio-économique.
- Jusqu’à présent, les mouvements de protestation de ces dernières années ne débordaient guère du moule républicain. Or, forcément, les idéaux de la République étaient incarnés par le pouvoir en place, si critiqué soit-il. Lorsque des journalistes ont demandé aux insurgés s’ils étaient républicains, ils ne dirent ni oui ni non, en répondant simplement qu’ils étaient Français. Il y a donc un hiatus à la fois symbolique et symptomatique entre république et France, un hiatus reflétant la crise identitaire mentionnée tout à l’heure.
- Enfin, il faut se rendre compte que le Jour de colère ne représente pas la sempiternelle confrontation de la droite avec la gauche mais bien un soulèvement en puissance des classes populaires et moyennes contre un gouvernement dont ils ne veulent résolument plus. On est donc projeté au-delà de la problématique des partis, au-delà de la scission artificielle entre libéraux et conservateurs que l’on entend absolutiser alors qu’elle n’est en réalité plus que très relative et secondaire.
La conscience rousseauiste dont parle l’historien Laurent Avezon faisant allusion au fameux contrat social qui fait que le peuple lègue provisoirement l’exécutif au souverain (en l’occurrence au président) est fort probablement en passe de s’éveiller. Si donc M. Hollande salue le renversement des « dictateurs » comme Assad qui pourtant, pour sa part, jouit d’une côte de popularité des plus honorables, il apparait pour le moins curieux que le président de 15% des Français ne tire aucune conclusion pratique de son impopularité. On comprend maintenant mieux pourquoi Louis XVI a presque disparu des programmes scolaires. Mais alors, pour plus de cohérence, peut-être faudrait-il réduire la Révolution à une demi-page ?
- Source : La Voix de la Russie