Massacre en Indonésie : la guerre de propagande secrète de la Grande-Bretagne
Des documents déclassifiés révèlent comment, en 1965, un service clandestin du Foreign Office [Ministère des Affaires étrangères – NdT] a incité à des massacres anticommunistes qui ont fait des centaines de milliers de morts [entre 500 000 et 3 000 000 selon les estimations – NdT].
Au début de l’année 1965, Ed Wynne, un fonctionnaire du Foreign Office de Londres âgé d’une quarantaine d’années, se présente à la porte d’une villa de deux étages située dans le calme discret d’un lotissement chic du Singapour colonial.
Mais Wynne n’est pas un fonctionnaire ordinaire. Spécialiste de la propagande de Guerre froide du Foreign Office, l’Information Research Department (IRD), il est chargé de diriger une petite équipe. Un fonctionnaire junior, quatre personnes locales et deux « dames de l’IRD », détachées de Londres, se joignent à lui.
L’arrivée de Wynne et de ses collègues dans le cul-de-sac de Winchester Road marque le début de ce qui sera plus tard considéré, par ceux qui l’ont mené, comme l’une des opérations de propagande les plus réussies de l’histoire britannique d’après-guerre. Une opération top secrète qui a aidé à renverser le dirigeant du quatrième pays le plus peuplé du monde et contribué au meurtre en masse de plus d’un demi-million de ses citoyens.
La preuve du rôle de la Grande-Bretagne dans l’incitation à ce que la CIA a décrit plus tard comme « l’un des pires meurtres de masse du XXe siècle » se trouve dans une autre banlieue verdoyante. Dans des documents déclassifiés du Foreign Office – conservés bien au-delà de la règle des 20 ans – à Kew, à Londres.
Les Archives nationales britanniques ont récemment publié des pamphlets censés être écrits par des patriotes indonésiens, mais en fait rédigés par des propagandistes britanniques, appelant les Indonésiens à éliminer le PKI, qui était alors le plus grand parti communiste du monde non communiste.
Sukarno, premier président indonésien. Photographie : Universal Images Group/Getty Images
Le résultat de cette agitation a été une dictature militaire brutale et corrompue de 32 ans dont l’héritage façonne l’Indonésie jusqu’à ce jour.
Deux ans auparavant, en réponse aux plans britanniques visant à créer un État indépendant de Malaisie à partir de ses possessions coloniales, le président indonésien de gauche Sukarno a lancé la « Konfrontasi », ou Confrontation, une guerre non déclarée qui comprenait des incursions militaires au-delà de la frontière de la Malaisie orientale. Sukarno, comme de nombreux Indonésiens, y compris le PKI, estimait que la création d’une fédération malaise était une ingérence régionale injustifiée des Britanniques pour maintenir leur domination coloniale.
Les Britanniques ont été contraints de consacrer d’énormes ressources militaires et de renseignement pour aider la Malaisie émergente à contrer ces intrusions de la Konfrontasi.
La politique britannique consistait à mettre un terme au conflit. Mais les objectifs du Royaume-Uni ne s’arrêtent pas là.
Comme ses alliés américains et australiens, la Grande-Bretagne craignait une Indonésie communiste. Le PKI comptait trois millions de membres et était proche de la Chine de Mao. À Washington, la chute du « domino » Indonésien dans le camp communiste était considérée comme une plus grande menace que la perte potentielle du Vietnam.
Le nationalisme non aligné de Sukarno, son anticolonialisme et ses liens croissants avec la Chine étaient de plus en plus considérés comme une menace, qui serait atténuée si le président et son ministre des Affaires étrangères Subandrio étaient démis de leurs fonctions et si l’influence du PKI en Indonésie diminuait – le plus vraisemblablement par les actions de l’armée indonésienne largement anticommuniste.
Au milieu de l’année 1965, l’occasion se présenta. Un groupe secret de gauche, appelé plus tard le « mouvement du 30 septembre », s’est coalisé en Indonésie, convaincu, à juste titre, que l’armée prévoyait de renverser Sukarno et d’éliminer le PKI.
Dans la nuit du 30 septembre, des officiers de gauche associés au mouvement, sous le commandement du lieutenant-colonel Untung de la garde présidentielle, soutenus par une poignée de bataillons, ont tenté une attaque préventive contre le haut commandement de l’armée.
Ils tentèrent de s’emparer de sept des plus hauts généraux de l’armée indonésienne. Trois d’entre eux, dont le commandant de l’armée, furent tués. Trois autres ont été assassinés sur la base aérienne indonésienne où ils avaient été emmenés. Les corps des généraux assassinés furent jetés dans un puits.
Le ministre de la Défense, le général Nasution, a réussi à s’échapper. Sa fille de six ans et son assistant furent assassinés.
Mais au soir du 1er octobre, le commandant de la principale unité de combat de l’armée, le général Suharto, prit le commandement de l’armée et organisa une contre-attaque qui, en trois jours, neutralisa complètement la rébellion mal organisée.
Si l’on pense aujourd’hui que le président du PKI et ses agents furent impliqués dans la tentative de coup d’État, il n’existe aucune preuve crédible que Sukarno en avait été informé à l’avance, ou que le PKI en tant qu’organisation ou ses membres en étaient responsables.
Le général Suharto, à gauche, lors des funérailles à Jakarta des six généraux de l'armée tués lors de la tentative de coup d'État. Photographie : AP
Mais l’effusion de sang ne s’est pas arrêtée là. Suharto, nommé commandant suprême de l’armée le 14 octobre, se servit de la rébellion pour saper et finalement renverser Sukarno, et comme ce que l’historien John Roosa a appelé un « prétexte pour un meurtre de masse » : l’élimination du PKI dans une série de massacres à travers l’Indonésie qui firent des centaines de milliers de morts.
Le Foreign Office a toujours nié que la Grande-Bretagne était impliquée dans la violence qui s’est ensuite déchaînée sur les communistes présumés. Mais ces révélations montrent que les agences de renseignement et les spécialistes de la propagande britanniques étaient complices, menant des opérations secrètes pour saper le régime de Sukarno et éliminer le PKI en le rendant responsable du coup d’État d’Untung.
Le « stiletto » de la propagande britannique était manié par Ed Wynne, le spécialiste envoyé à Singapour par l’IRD du Foreign Office. L’IRD avait été créé par le gouvernement travailliste de 1945 pour contrer les attaques de propagande soviétique contre la Grande-Bretagne et produire son propre matériel anticommuniste. Il était étroitement lié au MI6 et ses activités reflétaient les opérations de propagande de la Guerre froide de la CIA.
L’Unité de surveillance de l’Asie du Sud-Est, ou Seamu, au nom insipide, a été créée à la suggestion de l’ambassadeur britannique en Indonésie, Sir Andrew Gilchrist, dont l’ambassade à Jakarta avait été incendiée par des manifestants du PKI en 1963.
Bien que des mesures tactiques limitées de « guerre psychologique » contre les troupes indonésiennes aient été mises en place, en 1964, des idées furent « étudiées » pour saper « le régime Sukarno/Subandrio » et mettre ainsi fin à la confrontation – Subandrio était le ministre des Affaires étrangères de Sukarno. Ce que Gilchrist voulait et ce qui est devenu la mission de l’unité était la production de propagande noire, apparemment produite par des émigrés indonésiens patriotes à l’étranger, pour inciter les anticommunistes indonésiens à agir.
Les cibles influentes d’un bulletin de propagande, selon un rapport déclassifié de Wynne, incluraient finalement « autant de personnalités dans la hiérarchie du gouvernement, de l’armée et de la fonction publique que nous pouvons trouver ».
Pour dissimuler l’origine britannique du bulletin, celui-ci était expédié en Indonésie via des villes asiatiques, dont Hong Kong, Tokyo et Manille.
En l’espace d’un an, 28 000 exemplaires de la lettre d’information, rédigée en indonésien et intitulée Kenjataan2 (Faits 2), furent envoyés et, selon Wynne, parvinrent au ministre de la Défense, « à d’autres généraux, aux journaux de droite et même au président Sukarno lui-même ».
À la fin du mois de septembre 1965, l’opération de Wynne « bat son plein » et est prête à tirer pleinement parti du coup d’État manqué d’Untung.
C’était le moment que les Britanniques attendaient. Comme l’a fait remarquer un fonctionnaire du Foreign Office : « Un coup d’État prématuré du PKI pourrait être la solution la plus utile pour l’Ouest – à condition que qu’il échoue ».
L’unité s’est mise en action avec des émissions de radio et la production d’un numéro spécial du bulletin d’information, finalement divulgué à Kew plus de 66 ans après les événements qu’il était censé influencer.
Il commence par un rappel à la modération, mais c’est un virulent appel aux armes destiné à enflammer et à encourager la destruction du PKI.
Portant des lances en bambou et des hachettes, un groupe de nationalistes indonésiens accompagne une patrouille de l’armée indonésienne à la recherche de sympathisants communistes. Photo : Archives Bettmann
« Non, nous n’appelons pas à la violence », écrivent les propagandistes de l’IRD, « mais nous exigeons au nom de tous les patriotes que ce cancer communiste soit coupé du corps de l’État ». Le PKI « est maintenant un serpent blessé : Il est temps de le tuer avant qu’il n’ait une chance de se rétablir ».
Et la lettre d’information incendiaire de l’IRD fut envoyée au moment clé où le succès de la candidature de Suharto au pouvoir et les opérations de l’armée contre le PKI étaient indécis.
Des recherches historiques détaillées ont permis d’établir que les massacres de membres du PKI et de leurs partisans présumés semblent avoir été déclenchés par des commandants locaux de l’armée ou par l’arrivée des forces spéciales de l’armée, environ trois semaines après que Suharto eut mis fin au coup d’État raté.
Pendant cette période, les médias indonésiens ont diffusé une propagande noire contre le PKI et ses atrocités présumées, tandis que l’armée attisait la colère populaire contre les communistes et légitimait ce que Roosa a décrit comme ses « actions déjà planifiées contre le PKI et le président Sukarno ».
Le « numéro spécial » et les autres bulletins incendiaires de la série furent envoyés à environ 1500 destinataires. Un rapport de la Seamu signala aux services de renseignements que les lecteurs « ont été influencés dans le sens voulu ».
Les lettres d’information étaient approuvées par l’IRD à Londres avant d’être envoyées. Les exemplaires envoyés aux hauts fonctionnaires du Foreign Office étaient détruits après lecture, à la demande de l’IRD.
À l’époque, Tari Lang vivait en Indonésie avec son père et sa mère, la défunte militante des droits de l’homme, Carmel Budiardjo, qui travaillait alors comme traductrice et analyste économique.
« Tous ceux qui étaient de gauche étaient ramassés. Ils étaient très méthodiques. Ils visaient tous les groupes de gauche et pas seulement le PKI. Les gens restaient entre eux et ne parlaient qu’en chuchotant ».
Les parents de Tari furent emprisonnés, sa mère libérée trois ans plus tard avec l’aide du Foreign Office.
Alors que les massacres progressaient à l’automne 1965, l’unité de l’IRD à Singapour rassura ses lecteurs quant à la nécessité du massacre.
Dans le Newsletter 21, ils écrivent : « Si nous ne maintenons pas une campagne vigoureuse pour éradiquer le communisme… la menace rouge nous enveloppera à nouveau ».
C’était une question de vie ou de mort. « Nous nous battons pour nos vies et l’existence même de l’Indonésie et nous ne devons jamais l’oublier. LES CHATS ATTENDENT DE BONDIR ! »
Dans Newsletter 23, les propagandistes de Winchester Road félicitent « les services de combat et la police » pour avoir « fait un excellent travail ». Sukarno, qui tentait alors de contenir les généraux, avait tort : « Le communisme doit être aboli sous toutes ses formes. Le travail commencé par l’armée doit être poursuivi et intensifié ». Les auteurs terminent en assimilant le PKI à Hitler et à Gengis Khan.
La tentative de coup d’État et ses conséquences coïncidèrent avec l’arrivée à Singapour de l’un des principaux propagandistes du Foreign Office. Gilchrist pensait que l’effort de propagande croissant de la Grande-Bretagne n’était pas suffisant. Il demanda l’envoi de Norman Reddaway en tant que « coordinateur de la guerre politique » contre l’Indonésie, avec le soutien du chef d’État-Major de la défense, Lord Louis Mountbatten.
Reddaway avait servi dans l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale avant de rejoindre le Foreign Office et de jouer un rôle clé dans la création de l’IRD. Après le coup d’État manqué de l’Untung, il arriva pour prendre en charge l’opération britannique. Son mandat était simple. Dans une interview accordée en 1996 à deux des auteurs, il déclara que le Foreign Office lui avait accordé un budget de 100 000 £ et qu’on lui avait dit « de faire tout ce que je pouvais pour me débarrasser de Sukarno ». Ce n’est que maintenant que nous savons ce que « tout » voulait dire.
Une évaluation secrète des opérations de l’IRD par Reddaway, écrite au chef de l’IRD en juillet 1966, après que Sukarno ait été effectivement écarté du pouvoir, se trouve aux Archives nationales. Reddaway affirmait que ses briefings anonymes à la presse étaient efficaces pour faire bouger l’opinion mondiale et que l’opération de propagande avait été un grand succès.
« La machine à informations était notre matraque : le bulletin d’information et nos opérations peu orthodoxes notre stiletto », a-t-il déclaré.
Dans un autre document publié, il indique que l’IRD et les généraux « chantaient en chœur ».
L’ancien fonctionnaire du Foreign Office, Derek Tonkin, qui était le responsable de l’Indonésie à Londres de 1963 à 1966, a déclaré le mois dernier qu’il n’avait pas vu les bulletins de propagande car il était trop jeune, mais que dans les premiers jours qui ont suivi la tentative de coup d’État du 30 septembre, personne n’aurait pu prévoir le bain de sang qui allait s’ensuivre.
Mais, admet-il, « il ne sera peut-être pas facile d’échapper à l’accusation selon laquelle la Grande-Bretagne a initialement contribué, dans une certaine mesure, à la disparition du PKI d’une manière qui allait se révéler épouvantable ».
Quant à Reddaway, selon Tonkin, « il était un peu un électron libre et, comme beaucoup de propagandistes, il était peut-être trop engagé dans son mandat ». Reddaway et son équipe étaient « feraient leur propre loi, chose que le FO savait lorsqu’il fut nommé ».
Dans les interviews de 1996, Reddaway se vante d’avoir manipulé les médias britanniques et internationaux pour qu’ils adoptent une ligne anti-Sukarno et anti-PKI, mais il insiste sur le fait que l’IRD ne transmettait que des faits réels et n’utilisait pas de propagande noire.
Comme toujours avec l’IRD, Reddaway ne livre qu’une vérité partielle. Selon un mémo qu’il avait écrit : « Le matraquage a été étonnamment efficace car nous avons pu […] fournir aux publicistes des informations qu’ils ne pouvaient pas trouver auprès d’autres sources en raison de la censure de Sukarno ».
Reddaway avait identifié les destinataires les plus utiles de sa production comme étant les agences de presse, « moins pointilleuses sur leur tarif et plus anonymes », et les hommes de radio : le World Service et le Service indonésien de la BBC en particulier. L’une des principales sources de Reddaway était, naturellement, l’ambassadeur britannique à Jakarta, Gilchrist, avec qui il faisait des points hebdomadaires pendant toute cette période.
En juillet 1966, dans une lettre à Gilchrist, Reddaway se réjouit que ce soit « la première fois dans l’histoire qu’un ambassadeur ait pu s’adresser à la population de son pays de travail presque à volonté et pratiquement instantanément ».
Pour alimenter l’opération, Reddaway eut recours également au renseignement électromagnétique, ou Sigint.
Il était en excellente position pour le faire. Singapour était l’emplacement d’un site de surveillance du GCHQ.
Selon le Dr Duncan Campbell, journaliste d’investigation et expert du GCHQ, le site de surveillance de l’organisation à Singapour, RAF Chia Keng, était caché derrière et à l’intérieur d’une plus grande station de communication de la RAF sur Yio Chu Kang Road, dans l’est de Singapour, aujourd’hui un lotissement. Les « bungalows » d’écoute de haute sécurité du GCHQ étaient dotés de fenêtres opaques en briques de verre qui cachaient une cinquantaine d’employés civils à chaque poste. La base était parfaitement située pour obtenir rapidement des rapports complets et directs sur les développements en Indonésie. Selon Campbell, « le GCHQ pouvait casser et lire les codes indonésiens sans difficulté. Le gouvernement faisait partie des nombreux pays du tiers monde qui utilisaient des équipements fournis par la société Crypto AG, basée en Suisse. Pendant plus de 50 ans, Crypto AG a fourni des machines à chiffrer secrètement sabotées, avec des portes dérobées intégrées dont la CIA et le GCHQ avaient les clés ».
Un mémorandum révélateur, daté du 30 octobre 1965, adressé par Reddaway à Brian Tovey, futur directeur du GCHQ, alors en poste à Singapour, met en évidence la contribution que pouvait apporter Sigint. Reddaway déclare à son collègue que les documents du GCHQ peuvent « aider les généraux à persécuter plus efficacement le PKI ».
Les bulletins d’informaation constituaient l’essentiel du travail d’Ed Wynne et de ses collègues de Winchester Road. L’un des thèmes principaux était d’encourager leurs lecteurs influents à soutenir la campagne de l’armée contre les communistes. Ils exhortaient les patriotes indonésiens : « Le PKI et tout ce qu’il représente doit être éliminé à jamais ».
Nous savons maintenant que pour ce faire, ils ont inclus des mensonges sensationnels. Le 5 novembre, le Jakarta Daily Mail, un journal pro-militaire, a affirmé que le jour du coup d’État d’Untung, 100 femmes de l’organisation féminine Gerwani du PKI avaient torturé l’un des généraux en utilisant des lames de rasoir et des couteaux pour lui entailler les parties génitales avant de l’abattre.
L’histoire de la torture et de la mutilation des généraux par les femmes Gerwani est devenue un élément du mythe fondateur du régime de Suharto, utilisé pour justifier la destruction du PKI. Il s’agissait également, selon Roosa, d’un prétexte au meurtre. Un mensonge propagé par l’armée indonésienne, régurgité et reconverti pour inciter les lecteurs influents de l’IRD.
L’histoire de la propagande de l’armée a été recyclée en Indonésie en janvier 1966 dans Newsletter 23 avec un rapport sur les allégations de deux membres du PKI interrogés par l’armée. L’une d’elles liait Subandrio, le ministre des Affaires étrangères de Sukarno, à la construction d’une « salle de torture » destinée aux prisonniers du PKI, l’autre, se référant au Jakarta Daily Mail, à une membre de l’organisation féminine du PKI, la Gerwani, « l’une de celles qui ont été « honorées » de la tâche de mutiler les généraux ».
La police armée de Jakarta surveille les membres d’un groupe de jeunes communistes arrêtés dans le cadre du coup d’État avorté contre le président Sukarno, octobre 1965. Photo : Bettmann/Bettmann Archive
La jeune fille de 15 ans aurait déclaré : « Notre chef de peloton nous a ordonné de battre le prisonnier, puis de lui couper les parties intimes avec les petits couteaux ».
Tari Lang, la fille de Carmel Budiardjo, avait également 15 ans à l’époque.
« Ces bulletins d’information sont horribles. Si vous ne m’aviez pas dit qui les avait écrites, j’aurais pensé que c’était des Indonésiens. C’est tout à fait incroyable qu’ils aient fait ça ».
« Il y avait des femmes Gerwani dans le cercle social de ma mère et elles étaient comme des membres de l’Institut des femmes. Très douces ».
L’IRD a délibérément gardé le silence sur les massacres. Un document de décembre 1965 dit qu’ils ne doivent « rien faire pour embarrasser les généraux » et le bulletin d’information détaille soigneusement les comptes rendus d’incidents isolés de brutalité du PKI, mais ne mentionne pas explicitement les tueries de l’armée.
En fait, la politique allait plus loin. Dans le rapport de la Seamu pour 1965, Wynne écrit qu’ils ont utilisé le bulletin pour « poursuivre les attaques contre les coupables … et soutenir indirectement le nettoyage et le contrôle par les généraux ». Les généraux, note Wynne, « nous les traitons gentiment ».
Au début de 1966, les meurtres de masse en Indonésie, sinon leur ampleur, étaient bien connus.
En janvier, Robert F. Kennedy compara les massacres aux « massacres inhumains perpétrés par les nazis et les communistes » et se demanda quand les gens allaient « s’exprimer … contre le massacre inhumain en Indonésie, où plus de 100 000 prétendus communistes ne sont pas des auteurs, mais des victimes ». [ignorez la référence… NdT]
En février, rejetant l’idée de « faire de la publicité pour le bain de sang » car cela réduirait les chances « d’obtenir une nouvelle direction en Indonésie », Reddaway observa : « Je suis ravi qu’un bon nombre de communistes aient été éliminés, mais leurs tueurs sont principalement des militaires et des musulmans ».
En mars 1966, la campagne meurtrière contre le PKI, qui a fait plus d’un demi-million de morts, est pratiquement terminée. Le 11 mars, le président Sukarno est contraint de céder le pouvoir au général Suharto, et la fin de la Confrontation est en vue.
Le 14 mars, Reddaway écrit à Gilchrist : « Je ne vois pas comment, à court terme, les choses auraient pu mieux se passer au cours des dix derniers jours ».
« Je sais que les Indonésiens, sous leur nouvelle direction, ne seront pas faciles à vivre, mais je ne peux éviter un petit Te Deum (non attribuable) sur l’évolution de la situation entre le 29 septembre et le 12 mars », écrit-il.
Wynne considère l’opération comme un succès. Dans son rapport annuel de 1966, il déclare fièrement que son opération a été « assez réussie » car tous ses ennemis (Konfrontasi, Sukarno, Subandrio et le PKI) ont été « détruits ». Le souvenir qu’il garde de ces événements tragiques est celui d’une « excitation ».
Selon le professeur Scott Lucas de l’université de Birmingham, les documents déclassifiés montrent que : « La Grande-Bretagne était prête à s’engager dans des actions sales qui allaient à l’encontre de ses prétendues valeurs ». Ils révèlent, dit-il, « l’importance de la propagande noire pour donner l’illusion que la Grande-Bretagne pouvait exercer un pouvoir mondial – même si de nombreuses personnes pouvaient être tuées pour cette illusion ».
- Le Dr Paul Lashmar est journaliste d’investigation et lecteur en journalisme à la City, Université de Londres.
- Nicholas Gilby est un enquêteur et l’auteur d’une histoire de la corruption et du commerce des armes en Grande-Bretagne.
- James Oliver est un producteur et réalisateur de la BBC, lauréat d’un Emmy, et a dirigé la récente enquête sur les Pandora Papers pour BBC Panorama.
Photo d'illustration : Des étudiants organisent une manifestation contre le président Sukarno à Jakarta, en octobre 1966. Le général Suharto était alors effectivement au pouvoir et devint président l’année suivante. Photo : Gamma-Keystone via Getty Images
Traduction Le Grand Soir
- Source : The Guardian (Royaume-Uni)