Politique française… Bonnet rouge et bonnet d’âne
Révolte en Bretagne.
La mise en application d’une nouvelle « taxe » provoque la colère d’une région entière. Mettant en lumière l’incurie de nos gouvernements et l’irresponsabilité de nos « élus », censés représenter et défendre les intérêts de notre "collectivité". Votée à l’unanimité de tous les partis politiques, sous le précédent gouvernement.
"Collectivité" ? Oui, car on n’ose plus employer les termes de "peuple" ou "nation" pour ne pas être accusé de "populisme", de "souverainisme", voire de se retrouver peinturluré en "rouge-brun", par le terrorisme inquisitorial des fanatiques, radicaux imbéciles, dévots illuminés, ou mercenaires, de la « mondialisation »…
Soulèvement rappelant les lointaines Jacqueries de l’Ancien Régime par son rejet de l’injustice fiscale induisant la paupérisation croissante de ceux qui vivent non pas de spéculations ou de rentes de situation, aristocratiques, politiciennes ou mafieuses, mais de leur simple labeur. Sur fond de corruption et de gabegie d’un Etat en pleine régression, déliquescence.
Injustice fiscale et paupérisation
Taxe, s’appliquant aux transporteurs routiers mais payée "in fine" par leurs clients contraints d’expédier leurs productions ou fabrications locales vers des marchés éloignés. Tel qu’il est stipulé dans l’article 7 de la "Loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports" examinée par le Sénat, dans son rapport n° 334 du 5 février 2013 (2) :?« Cette taxe sera répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises. »
Retenons le terme, au passage : "Bénéficiaires"…
Pudiquement intitulée « éco-taxe » au motif d’avantager, pour des raisons de protection de l’environnement, les transports moins polluants : ferroviaires, fluviaux, etc. Elle incarne à la perfection les dérives et distorsions du système fiscal qui ronge le pays par sa violence à l’encontre des plus précaires. Les Bretons en ont explosé de désespoir et de rage, ressortant les "bonnets rouges" de leur grande révolte de 1675 sous Louis XIV, pressurant alors le pays pour financer sa guerre en Hollande. Evidemment, férocement réprimée par la soldatesque du Roi Soleil…
Conséquence directe de la cupidité de l’oligarchie au pouvoir, méritant d’être coiffés de "bonnets d’âne" pour leur analphabétisme des conditions réelles du pays. De « la France d’en bas », comme disait un de nos marquis enrubanné de privilèges jusqu’à ses talonnettes…
Les rouages de l’injustice et de sa violence démontrent l’abyssal fossé entre une "démocratie vertueuse" que le système de désinformation nous vend dans les JT, en France comme dans les autres pays européens, et la réalité d’une "autocratie" exercée par la nomenklatura. Consternés, les observateurs les plus neutres n’ont pu que constater le broyage du bon sens et de la légitimité citoyenne, par le cynisme de la classe politique en cheville avec des intérêts privés (3) :
i) Répression
L’autocratie ne peut tolérer l’expression populaire surtout lorsqu’elle dénonce l’injustice du système, économique, social, ou politique dans son ensemble, qui l’accable. Première et immédiate réponse : la répression. Ne pas comprendre, ne pas écouter, ne pas dialoguer : cogner !
Ce qu’on a vu en Grèce, en Espagne ou ailleurs, pour nous limiter à l’Europe, est plus que révélateur de la détermination des castes au pouvoir. La France n’y échappe pas. Les Bretons, diabolisés par les médias de la propagande, ont vu ainsi débouler des centaines de CRS. Dans un sauvage déferlement de violence, avec des blessés graves parmi les manifestants armés de leur seule détresse, dont un a eu la main arrachée le 21 octobre dernier.?.
ii) Domination des lobbies
Région enclavée, la Bretagne souffre de son éloignement des grands marchés de consommation français et européens. De plus, ses productions sont soumises à un dumping implacable des producteurs hollandais, danois et surtout allemands, notamment dans la « filière » porc et poulet.
Obligeant à un nivellement par le bas, dans un premier effet, sous forme d’affaissement de la qualité. Au point d’en arriver, sous la pression de la grande distribution, à la "non qualité", dont on a vu les souterraines ramifications lors de l’affaire des "lasagnes à la viande de cheval". Puis, dans un effet collatéral, provoquant la disparition progressive des entreprises familiales incapables de lutter contre les groupes européens de l’agro-industrie employant une main d’œuvre, venant de pays "émergents", dans un contexte proche du servage moyenâgeux.
L’éco-taxe pénalise les éleveurs, mais aussi les producteurs de primeurs qui vont voir leurs produits plus taxés à 300 km de Rungis que ceux parcourant des milliers de kilomètres, arrivant par avion à Roissy, ou par bateau transitant via les ports d’Anvers, Rotterdam ou Amsterdam et les réseaux autoroutiers européens.
En effet, sous la pression des lobbies, l’écotaxe ne sera pas payée sur les portions d’autoroutes privatisées. Encore mieux, et suprême raffinement : la taxe n’est pas proportionnelle au kilométrage parcouru, pénalisant ainsi les petits trajets. Astuces servant sur un plateau d’argent des "bonus" mirobolants aux transports à longue distance et, en conséquence, aux grandes sociétés du transport international…
Mais aussi, tout aussi habilement, aux sociétés d’autoroute. Comme le reconnaît "naïvement", ou avec un cynique fatalisme, le Sénat dans son rapport (4) :
« [Cette taxe] entraînera un report de trafic vers le réseau concédé (autoroutes) générant une augmentation des recettes des péages comprises entre 250 et 400 millions d’euros.?[…] Lors de son audition par la commission du développement durable et en réponse à une question de votre rapporteur, Frédéric Cuvilier, ministre délégué chargé des transports, a indiqué que "les concessionnaires d’autoroutes bénéficieront, je le crains, d’un effet d’aubaine"… ».
On comprend mieux pourquoi le chef de file du consortium (70% des parts) d’Ecomouv’, gestionnaire désigné de l’éco-taxe, soit le géant européen des autoroutes, de nationalité italienne : "Autostrade per l’Italia"… (5)
Ah !… Cette tendresse infinie de nos parlementaires pour les lobbies et multinationales…
iii) Abandon de souveraineté
Ces concessions répétées, multiformes, dépouillent l’Etat, autrement dit notre "Bien Collectif", de sa souveraineté et de ses ressources. Gravissime régression, avec l’éco-taxe réapparaît le vieux système féodal de la « ferme des impôts ». (6) Comme sous l’Ancien Régime, où les impôts étaient levés par des particuliers, des « fermiers généraux » (Fouquet en reste l’archétype), cette taxe sera collectée par un consortium privé : Ecomouv’.
« L’Etat aurait pu faire le choix de recourir à un partenaire privé pour la conception et la maintenance du dispositif de collecte. La particularité du contrat "éco-taxe" réside dans le fait qu’Ecomouv’ assure également l’exploitation, c’est-à-dire qu’il a un rôle central dans la collecte de la taxe. »
C’est en ces termes (7) que le Sénat entérine l’abandon de souveraineté de la France en matière d’impôts, ouvrant la voie à des démantèlements ultérieurs qui vont probablement s’accélérer avec le temps…
Certains commentateurs, plus ou moins bien intentionnés, rétorquent que la TVA est actuellement collectée par les entreprises. Dans ces conditions, pourquoi ne pas confier l’éco-taxe à un consortium privé ?…
C’est oublier, ou occulter le fait, que les entreprises collectant la TVA ne retiennent pas 23% de rémunération, pharaonique commission, sur les encaissements reçus, comme s’apprête à le faire Ecomouv’… (8)
iv) Pillage de la collectivité
Dans ce même rapport, le Sénat admet que l’éco-taxe, sur une base annuelle, est (9) :?« … incontestablement coûteuse à recouvrer puisqu’à peu près 280 millions d’euros sur un total de 1 200 millions, soit environ 23%, sont consacrés à la rémunération du prestataire privé. »?.?Paradoxe, alors que la propagande ultralibérale ne cesse de prêcher la disparition des fonctions de gestion de la Collectivité qu’assure l’Etat dans la braderie des privatisations, sous prétexte que "Le Privé" gère mieux que lui, le Sénat rappelle :?« A titre de comparaison, ce pourcentage [des coûts de recouvrement] ne dépasse pas 1,2 % pour l’impôt sur le revenu. »
Qui représente, avec un niveau de complexité vu le nombre de contribuables concernés autrement plus élevé, un montant de 71 903 millions d’euros au titre du Budget 2013…
On l’oublie, mais l’Etat se montre, bien souvent, largement plus compétitif que Le Privé, lorsqu’on veut bien quitter les fumées de "l’idéologie" pour scruter les "faits"…
Comment justifier pareilles aberrations ?… Nos parlementaires, loin de s’en offusquer, se portent au secours du prestataire (10)… Tout juste s’ils ne nous feraient pas pleurer sur son misérable sort :
« Au titre de l’investissement, il a dû engager près de 550 millions d’euros . »
Et, argument ultime, dans une cascade de formules rhétoriques aussi creuses que stupides :?« Au total, votre rapporteur estime que, au regard des exigences exposées par l’Etat et par les règles communautaires et des contraintes technologique du système, le coût global du contrat de partenariat, ne semble pas surestimé. »
Ainsi le Sénat, froidement, délivrant sa bénédiction, couvre les pires atteintes aux intérêts de l’Etat, et de ses citoyens. Dans le contentement de soi, tel un paon déployant son plumage d’incompétence et de crétinisme…
Les Bretons ont raison, il convient de remettre à plat cette usine à gaz…
Tout simplement, parce qu’il s’agit d’une « arnaque ».
Le rendement de cette taxe est quasiment nul par rapport à son coût direct. Et indirect, par ses ravages, comme les Bretons ont le courage de le rappeler. Il ne représente avec une recette de seulement 1200 millions d’euros annuels que le bénéfice d’une seule de nos banques que les contribuables renflouent à intervalles réguliers. Exemple : le Crédit Agricole affiche un bénéfice de 750 millions pour les 3 premiers trimestres 2013…
« Arnaque », en premier lieu, au détriment de l’Etat en le spoliant. En second, du citoyen, qui va devoir acquitter une taxe en tant que consommateur. Puisque le citoyen est ravalé, dans notre modèle social actuel, au niveau de simple consommateur sur lequel les prédateurs tondent la laine à longueur d’année…
Oui. Une « arnaque ». Connaissez-vous un projet d’investissement dans une activité industrielle, agricole ou de services, dont l’investissement est récupéré en moins de deux ans ?
Le Sénat nous dit que le consortium a investi près de 550 millions d’euros. Et, qu’il va encaisser 280 millions de recettes par an. En deux ans, il aura donc engrangé 560 millions d’euros. Déjà un bonus de 10 millions d’euros au bout de deux ans, après avoir ramassé toutes ses billes. Qui dit mieux ?
Personne. Parce que cela n’existe que dans la sphère de la spéculation.
De plus, le contrat signé entre l’Etat et le consortium est fixé pour une durée de 159 mois, soit 13 ans et 3 mois. Ce qui veut dire, qu’après deux ans de récupération de l’investissement initial, le reste va être uniquement du "bénéfice", mis à part de faibles coûts de maintenance et de salaire des employés, la plupart détachés du consortium, "pour une poignée de pois chiches" (200 à Metz et 100 à Paris). Que du "gras" le restant du contrat, pour reprendre le jargon du milieu. Qui dit mieux ?
Personne. Parce que cela n’existe que dans la sphère de la spéculation.
Quant au prétexte de l’harmonisation fiscale avec les autres pays de l’Union Européenne… De quoi rire, quand on sait qu’à ce jour aucune normalisation fiscale n’a vu l’esquisse d’une perspective, que ce soit dans le domaine de l’impôt sur les sociétés, sur le revenu, sur les successions, etc.
Il y aurait, à présent, formation d’une commission d’enquête devant le scandale de pareilles combines au plus haut niveau de l’appareil politique…
Mais, comme l’objectait un "présentateur-prêcheur" du Capitalisme Sauvage ("A bas l’Etat !", s’égosille-t-il tous les matins avec ses compères) sur une chaîne TV "spécialisée dans l’économie" :?"Pourquoi enquêter sur la passation de ce marché entre l’Etat et le consortium privé, alors que le Sénat l’a bien spécifié : R.A.S. ?…"
v) Trahison des “dignitaires écologistes”
Tout aussi affligeant est de constater la complicité des "dignitaires écologistes", toutes tendances réunies. Habituellement dispersés, atomisés, en une multitude de chapelles, défendant avec acharnement le territoire de leurs paroisses les uns à l’encontre des autres. Egos en cartouchière, englués dans des guérillas personnelles. Les voilà, subitement, participant en chœur à la farce de l’éco-taxe…
Alors qu’ils bénéficient d’accès à des informations, à des moyens d’investigation, que les militants de base de la cause écologique n’ont pas, comment ont-ils pu prêter la main à pareilles manipulations, gabegies et autres embrouilles, au seul bénéfice de multinationales ?…
Par cette véritable trahison, "dignitaires" et "dirigeants" amplifient deux phénomènes pervers pour la cause de l’écologie et l’avenir de notre pays :
=> C’est instaurer, développer, une perte de crédibilité dans l’opinion. Rien d’étonnant à leurs microscopiques résultats lors d’élections municipales ou nationales. Infligeant un recul de la cause, de la prise de conscience, car trop focalisés sur des mesures de pénalisation. L’écologie doit se développer, avant tout, par des mesures d’incitation, d’aide, d’encouragement, et non pas par des mesures fiscales discriminatoires et pénalisantes, surtout pour l’outil de travail des plus précaires.
Est alors brandi l’éternel slogan : « pollueur = payeur » !… Evidemment, les entreprises aux comportements irresponsables sont à sanctionner ; celles qui font travailler leur personnel dans des conditions dangereuses, polluent rivages, rivières, nappes phréatiques, et autre dégâts.
Encore faut-il être cohérent.
Avant d’en arriver à l’éco-taxe pour diminuer le gaz carbonique et protéger nos poumons, qu’en est-il des 60.000 français qui meurent chaque année de tabagisme, non compris les multiples pathologies cancéreuses liées son fléau ?… Le tout à la charge de la collectivité, notamment de la Sécurité Sociale ?… La peau d’un français vaut-elle moins que celle d’un bébé phoque ou d’un gorille, ou l’essieu d’un camion ?…
- Quelles actions sont engagés par les "dignitaires écologistes" pour forcer les cigarettiers à retirer des cigarettes les produits chimiques destinés à entretenir l’addiction, par exemple ?…
- Quelles actions sont engagées par les dignitaires écologistes pour faire payer le « polluer-tueur » (600.000 personnes tous les 10 ans), en l’occurrence : un taux d’imposition de 75 % des bénéfices reversés à la Sécurité Sociale, autre exemple ?…
Mais, hypocrite silence face à cette colossale calamité …
=> Tout aussi pervers, par cette complicité, les privilégiés de l’évasion ou de l’exemption fiscale (multinationales, sociétés du CAC 40 [les recettes de l’impôt sur les sociétés représentent environ le 1/3 de celles de la TVA, et seulement 2/3 de celui sur les revenus], grandes fortunes) qui ne paient pas les impôts qu’ils devraient, exultent, en profitent. Ce sont des milliards, chaque année, qui échappent aux recettes de l’Etat, spoliant notre pays, notre collectivité.
S’abritant derrière ce "ras le bol fiscal" des catégories sociales accablées d’impôts et de charges, auxquels s’ajoutent des taux bancaires usuraires (PME-PMI, artisans commerçants, petits producteurs agricoles, professions libérales, auto-employeurs, etc.), les grands profiteurs des "niches" et de l’ingénierie fiscales manipulent ce mécontentement, dans l’impudence, pour réclamer une "pause fiscale". Eux, qui ne paient pas d’impôts en rapport avec leurs revenus et leurs richesses !…
Par l’application stupide de l’éco-taxe, les "dignitaires écologistes", une fois encore, se rendent solidaires de la cupidité et de la voracité des prédateurs.
Des recettes fiscales dans un pays aussi riche que la France, au 5° rang dans le monde par son PIB, peuvent se trouver ailleurs que dans la pénalisation des plus précaires et des consommateurs pris en otage. Comme en témoigne la progression de la richesse personnelle des 500 plus grandes "fortunes professionnelles" (non compris le patrimoine personnel) en 2012 : + 25 %…
« Le montant total de la fortune professionnelle des 500 plus riches s’élève à 330 milliards d’euros, une hausse de + 25 % par rapport à 2012. Ce groupe, qui représente un cent-millième de la population française, détient environ 10 % du patrimoine financier total du pays. Mais les inégalités sont fortes entre les super riches : les 10 premiers concentrent 40 % de la fortune des 500 plus riches…?Visiblement, ni la crise ni la politique fiscale n’entament la progression des grandes fortunes. » (11)
Ces "dignitaires écologistes", sont-ils crétins ou malhonnêtes ?… Ou, les deux à la fois ?…
Pathétique théâtre de marionnettes…
Pour m’oxygéner, je vais de ce pas m’acheter un bonnet rouge.
1. "Talleyrand", Jean Orieux, Flammarion, 1970, p. 734.?2. Rapport du Sénat, au nom de la Commission des Finances, n° 334, enregistré à la présidence du Sénat le 5 février 2013, présenté par Mme Marie-Hélène Des Egaulx – Sénateur, téléchargeable : http://www.senat.fr/rap/a12-334/a12-3341.pdf, p. 11.?3. Jacques Sapir, "Bonnets rouges et papier timbré", RussEurope, 27 octobre 2013, http://russeurope.hypotheses.org/1643?4. Rapport du Sénat, n° 334, Op. Cit., p. 28.
5. Rapport du Sénat, n° 334, Op. Cit., p. 20.
6. Jacques Sapir, "Quelle réforme pour l’écotaxe ? ", RussEurope, 2 novembre 2013, http://russeurope.hypotheses.org/1656?7. Rapport du Sénat, n° 334, Op. Cit., p. 22.
8. Rapport du Sénat, n° 334, Op. Cit., p. 29.
9. Rapport du Sénat, n° 334, Op. Cit., p. 29.
10. Rapport du Sénat, n° 334, Op. Cit., p. 30.
11. Les 10 plus grandes fortunes de France, Observatoire des inégalités, 11 juillet 2013, http://www.inegalites.fr/spip.php?article269
- Source : A contre courant (blog)