Entretien avec un jeune retraité de la recherche pharmaceutique
« Ce qui préside à la gestion de cette crise sanitaire n’obéit pas à une logique de santé, mais à des impératifs économiques, c’est-à-dire politiques ».
Face aux accès de conspirationnisme qui fleurissent à chaque fois qu’une population en danger se trouve réduite à l’impuissance, face à un amateurisme gouvernemental qui ne trouve que les coups de menton autoritaires pour refouler l’évidence de ses propres errements et accuse sa propre population de la « mise en danger la vie d’autrui » dont il est lui-même l’artisan, nous avons choisi de nous tourner vers un médecin ami de lundimatin qui, après une carrière de généraliste, a passé trente ans à développer plusieurs des molécules-phares de l’industrie pharmaceutique française. Jeune retraité, nous avons jugé qu’il était assez détaché des intérêts de ses anciens employeurs pour nous livrer une analyse dessillée de la situation comme des pistes thérapeutiques possibles.
Question : Bonjour, docteur. Pour commencer nous aimerions comprendre comment se déroule le développement d’une molécule jusqu’à parvenir à un médicament. Dans quelle temporalité se situe-t-on ?
La logique d’un protocole de recherche en pareille situation est très simple : elle est empirique. Les chercheurs extrapolent a) à partir des expériences passées sur des virus similaires quel produit antiviral pourrait avoir un effet sur le covid 19 ; en suivant cette piste, ils testent des produits antiviraux plutôt récents ; c’est ce qui amène à tester le remdesivir, qui a été testé chez l’animal contre le virus Ebola ou le Kaletra, qui est utilisé dans les trithérapies contre le VIH ; b) à partir de l’expérience passée, quel produit connu, ou non connu comme spécifiquement antiviral, pourrait être utile et c’est comme cela que la combinaison Plaquenil-Zithromax a été choisie empiriquement et testée sur quelques patients. Les essais thérapeutiques se déroulent, eux, à partir d’un rationnel théorique. Dans un contexte de recherche normal, on commence par tester le produit en biologie : les virus en culture d’abord puis sur un tissu animal infecté enfin sur des espèces animales in vivo (souris, rats, lapins, cochons, chiens, singe). Si les résultats sont positifs, on passe chez l’homme. On teste d’abord la toxicité du produit chez des volontaires sains (jusqu’à 30 volontaires) en augmentant les doses pour connaître le seuil de toxicité puis, en ayant une valeur sur la concentration tissulaire non toxique chez le volontaire sain, on teste le produit sur des tissus humains infectés par le virus. Une fois toutes ces données analysées, on passe chez le malade avec un essai non comparatif sur 20 à 30 patients avec 1 ou 2 doses de produit pour connaître la réaction du malade (les paramètres que l’on mesure peuvent être l’état de santé du malade en général ou un paramètre secondaire comme la charge virale) ; c’est l’essai préliminaire qu’a fait le professeur Raoult. Si tout est positif et cohérent, on monte un essai comparatif avec 2 ou 3 doses de produit pendant une ou deux semaines, en fonction de la durée de vie du produit dans l’organisme, avec si possible un groupe placebo. Par exemple, dans un essai en double aveugle (c’est-à-dire que ni le médecin ni le malade ne connaissent les doses testées), on va tester 1 mg deux fois par jour pendant une semaine chez 20 patients, 5 mg chez 20 autres patients, 10 mg chez 20 autres et un placebo chez 20 derniers patients. Ces essais préliminaires sont faits chez des patients plutôt solides. Ainsi, on détermine la dose optimale que l’on va tester ensuite en double aveugle contre placebo ou un produit de référence (s’il en existe) dans une population plus nombreuse (quelques centaines de patients ) et moins sélective (jeunes, vieux, hommes, femmes, etc.). On parle alors d’essais de phase III. On fait en général 2 ou 3 essais pour être sûrs des résultats. En situation normale, les essais chez l’homme durent plusieurs années. En cas d’urgence sanitaire, le processus est le même avec moins de malades dans chaque essai et une prise de risque plus grande. Pour un produit classique qui deviendra un médicament, il se passe en moyenne 10 ans entre le début de la recherche biologique et la fin des essais thérapeutiques. En urgence pour un produit nouveau, cela prendra une à deux années. Pour un produit sur le marché depuis des décennies, un à trois mois peuvent suffire. Les produits testés actuellement (en dehors du Plaquenil) sont nouveaux, en général issus des centres de recherche qui sont majoritairement anglo-saxons mais les Européens, Indiens et Chinois sont aussi actifs.
Et concernant les vaccins ?
Pour les vaccins, le process est identique mais plus long car le temps de production des anticorps pour chaque personne testée est variable (une à quelques semaines voire mois) et la production d’anticorps plus ou moins intense selon le patient. Même en cas d’urgence sanitaire, il faut compter un à deux ans pour mettre au point un vaccin contre une nouvelle maladie. Il faut savoir que les efforts de recherche sur les précédentes épidémies du même type sont en général menés par les milieux académiques plus que par l’industrie pharmaceutique, sauf lorsqu’une population occidentale est aussi atteinte comme pour le SIDA. C’est que les épidémies similaires touchaient plus souvent des pays « en développement », et donc des populations pauvres, peu solvables qui n’intéressent pas beaucoup l’industrie privée a priori. C’est terrible, mais c’est ainsi. Dans les vingt dernières années, on a vu s’imposer une répartition tacite des axes de recherche : au public, toujours moins financé, la recherche fondamentale ; au privé la recherche appliquée, qui aboutit à la commercialisation de médicaments. Dans le cas présent, il y a fort à parier que, des populations riches étant concernées et la clientèle étant mondiale, la course de vitesse entre firmes va accélérer tous les protocoles de recherche, car il faut savoir que c’est le premier qui arrive sur le marché qui, classiquement, définit le prix du médicament.
Pourquoi l’essentiel des molécules mises à l’essai en France sont-elles américaines ?
Parce que c’est là que se trouvent le plus grand nombre de centres de recherche. C’est là qu’est l’argent. À part Sanofi et Mérieux, il n’y a pas de compétiteur français de taille dans ce domaine. Dès qu’un chercheur obtient des résultats significatifs en France, il est courtisé par l’industrie américaine qui lui offre des ponts d’or et des moyens de recherche sans commune mesure.
Que pensez-vous de la piste chloroquine / azythromycine ?
Je ne suis pas un spécialiste de la question. Tout ce que je peux dire, c’est que l’hydroxychloroquine est un antipaludéen de synthèse de plus de 20 ans d’âge, l’azythromycine, un antibiotique de type macrolide également bien connu, capable de bien se concentrer dans les poumons avec une activité bactéricide moyenne. Les autorités ne veulent pas s’engager pour l’heure à promouvoir ce type d’association car les essais formels, bien structurés n’ont pas encore été menés comme pour un produit pharmaceutique classique et que se pose dès lors pour elles un problème de responsabilité juridique (ce qui n’empêche nullement que les médecins y aient recours sans attendre, plutôt que de regarder mourir leurs patients). Par ailleurs, l’industrie pharmaceutique qui non seulement a l’oreille de tous les ministres de la santé depuis des lustres mais détient aussi tous les moyens de développement n’est sûrement pas intéressée pour faire un plan de développement long et coûteux pour un produit peu cher et, qui plus est, « génériquable » (5 euros la boîte de 30 comprimés de Plaquenil). Tant que la recherche et le développement seront entre les mains d’intérêts privés eux-mêmes soumis aux cours boursiers, ce seront tendanciellement les opportunités de marché qui détermineront les axes de développement clinique, et tant que l’on persistera dans la voie d’une privatisation rampante de l’hôpital public par l’imposition d’une logique comptable d’inspiration manageriale, les choix thérapeutiques seront plutôt guidés par des options budgétaires que par le souci strict de la santé du patient.
Pourquoi tout ce débat absurdement passionné autour du professeur Raoult quand ce qui est en jeu est une piste thérapeutique ?
J’ai connu le professeur Raoult. Il est de ma génération. C’est un éminent chercheur en virologie clinique, au parler rude, à la forte personnalité. Son tort est de ne pas donner dans les mœurs de cour qui sont habituellement la norme dès lors que l’on s’élève, en France, dans l’échelle hiérarchique. Il dit ce qu’il pense d’un point de vue purement scientifique, quitte à provoquer, sans se soucier de la politique. Il avait déjà critiqué la ligne officielle d’imposition des onze vaccins par Agnès Buzyn. Autant dire qu’il accumule les crimes de lèse-majesté. Là, il s’est permis de critiquer la stratégie d’ensemble, effectivement aberrante, du gouvernement. Voilà qui est impardonnable. À la fin, il y a de grandes chances que l’option qu’il défend finisse par devenir la doxa gouvernementale : on va dépister en masse et traiter précocement ceux chez qui il n’y aura pas de contre-indication à l’hydroxychloroquine, simplement parce qu’il n’y a pas d’autre piste thérapeutique à court terme. Tout le tort de cette situation revient au gouvernement : à force d’incurie, d’impréparation, de déni, il a fini par produire un effet de panique dans la population qui se rend compte qu’il n’y a pas de pilote à bord. Et ce n’est certainement pas Jérôme Salomon, qui depuis ses trente ans fréquente plus les milieux ministériels que les paillasses, qui pourrait l’être. Rien n’est plus stressant que de voir ces gouvernants se donner des airs d’assurance martiale alors qu’il est patent qu’ils ne font que bricoler et inventer des éléments de langage à même de couvrir l’étendue de leurs propres manquements. Rien n’est plus contre-productif que de prétendre que tout est sous contrôle alors que chaque jour atteste de combien l’on est débordé. Comment ne pas avoir des montées d’angoisse quand un secrétaire d’Etat certifie face caméra que non, il n’y a pas de pénurie de masque, alors que ses propres collègues ont renoncé à le nier ? Le confinement, qui est le prix à payer par la population pour la branquignolerie et l’avidité de ses dirigeants, conduit logiquement à tourner tout cela en rond dans sa tête. Ce qui est criminel chez nos gouvernants, c’est leur façon de simuler qu’ils font autre chose qu’improviser, de faire croire qu’ils gouverneraient quoi que ce soit dans cette affaire. Cette situation de détresse où chacun se rend compte que sa vie se trouve entre les mains d’une bande d’incapables qui en rajoutent dans l’arrogance produit logiquement le besoin de trouver un sauveur. Et puisque la politique a déçu, on se tourne logiquement vers la science. Le Pr Raoult est le candidat idéal pour cet investissement affectif déplacé qu’il n’a lui-même pas demandé. Il faut redescendre et revenir au fond du débat. Celui-ci est simple : selon les standards classiques de développement d’un produit anti-infectieux, le Plaquenil n’a pas encore fait les preuves solides de son efficacité ; à ce stade, c’est une hypothèse de travail prometteuse mais à confirmer ; il faut prendre sereinement les quelques semaines de test nécessaires pour la valider. Ensuite, la capacité de production suivra sans problème. Il faut procéder avec méthode, malgré l’anxiété liée à la situation.
Pourquoi, d’après vous, a-t-on renoncé si tôt à une politique de dépistage de masse qui aurait permis d’isoler les porteurs du virus et de les traiter précocement plutôt que d’en venir à traiter chacun, indistinctement, comme un pestiféré potentiel ?
Au départ, je n’ai pas bien compris non plus, puis je me suis informé. Cela paraîtra absurde, et peut donner l’impression que, sous les apparences d’un pays à la modernité clinquante, se cache une réalité digne du Tiers-Monde. Les autorités ont produit toutes sortes d’arguments pour camoufler la triste et misérable vérité : au départ, c’est à cause du manque de masques pour protéger les préleveurs (infirmières à domicile, techniciens et biologistes des laboratoires de biologie médicale) ! Les biologistes de ville ont été, comme souvent, les grands oubliés des personnels de santé alors que les laboratoires d’analyses de biologie médicale sont ceux qui prélèvent et réalisent les diagnostics. Ils n’étaient même pas dans la première liste officielle des personnels de santé pour l’attribution des masques donc : sans protection de leur personnel, impossible de prélever. Quand le problème des masques a été plus ou moins réglé, il y a eu un manque notoire de milieu de transport (éprouvettes spécifiques car il faut un milieu qui ne détruit pas les virus prélevés, des écouvillons du malade au labo d’analyse). Puis, quand ce problème a été réglé, il y a eu pénurie de tests disponibles. Par ailleurs, le dosage fait appel à la biologie moléculaire dont beaucoup de labos de ville n’ont pas la pratique ni le matériel. Ensuite, il y a la complexité relative de l’examen pour un diagnostic fiable dès le début des symptômes (et même avant) qui est fait en biologie moléculaire (c’est un examen spécialisé, ce n’est pas une glycémie ; il ne se fait donc pas sur n’importe quel automate), donc certains labos ont à s’équiper. Il faut préciser que le test est très fiable à condition que le prélèvement nasal soit très précautionneux afin d’éviter des faux négatifs. Enfin, et je dirais surtout au vu de la logique de ceux qui nous gouvernent, il faut savoir que le test a le malheur d’être remboursé par la sécurité sociale. Tester 67 millions de personnes à un centaine d’euros le test coûterait « un pognon de dingue ». C’est ici toujours la même logique comptable, gestionnaire et pour tout dire économique qui nous a mené dans ce cul-de-sac sanitaire, et qui empêche que l’on en sorte. C’est triste à dire, mais ce qui préside à la gestion de cette crise sanitaire n’obéit pas à une logique de santé, mais à des impératifs économiques, c’est-à-dire politiques.
Qu’est-ce que vous inspire la situation ?
Ce qui me paraît scandaleux, c’est que depuis cinquante ans toutes les épidémies de ce type, malgré des extensions et des cinétiques variables, obéissent au même schéma : elles naissent le plus souvent en Asie pour se répandre ensuite à la faveur de la circulation mondiale des marchandises et des personnes ; or on n’a pas été foutus, quand en début janvier les premières nouvelles nous sont parvenues de Chine, d’envoyer immédiatement une équipe pour aller au contact et prendre la mesure de ce qui se passait à Wuhan, qui ne manque pas de connexions avec la France, ni d’ailleurs ensuite en Corée du Sud. Ces messieurs de la santé publique ont préféré rester à la cour, dans leurs ministères et manger dans les bons restaurants plutôt que de prendre le risque de sortir de leur milieu de culture et affronter la situation sur le terrain. On a là un symptôme sûr d’une organisation sociale sub-claquante. Depuis vingt ans que les risques de pandémie virale, bactériologique ou parasitaire se précisent, aucun plan concerté mondial n’a été vraiment mis sur pied ; les études sur ces pandémies, leur pourquoi et la résolution de ces crises, certainement parce qu’on les croyait réservées aux pauvres, sont justement le parent pauvre de la recherche mondiale (seule la Chine a investi massivement dans ce domaine) ; il n’y a aucune cellule d’alerte multidisciplinaire capable d’étudier le phénomène immédiatement sur place dès le début de chaque épidémie et de donner des recommandations à mettre en œuvre rapidement avant sa propagation élargie. En théorie, malgré la destruction organisée de l’hôpital public, notre organisation sanitaire est en mesure de circonscrire une pareille épidémie à condition qu’elle soit très réactive. Cela revêt une importance d’autant plus grande que de telles pandémies ont vocation à se répéter du fait de la mobilité internationale des humains et des marchandises, d’une population toujours plus nombreuse, de la concentration de celle-ci dans les villes, de la paupérisation induite par la logique capitaliste, du ravage écologique et de l’absence de toute éducation sanitaire de masse. À moins que tout cela ne cesse...
- Source : lundimatin