Quand le Conseil d’État soutient la censure de RT France par le CSA : que reste-t-il du pluralisme ?
Sans grande surprise, le Conseil d’État vient de confirmer la mise en demeure prise par le CSA le 28 juin 2019 à l’encontre de RT France au sujet d’un reportage datant du 13 avril de cette année sur la Syrie. Instrumentalisant une erreur technique concernant la traduction d’un témoignage d’un Syrien tenant un discours contraire à la doxa occidentale, puisque déclarant le caractère fabriqué des fameuses attaques chimiques, le CSA a sanctionné RT France pour manquement à l’honnêteté, à la rigueur et à la diversité des points de vue. Sans pour autant, étrangement, remettre en cause le fait que les propos aient bien été tenus … Ce que l’AFP a oublié en passant dans sa vague médiatique consécutive à cette décision. RT France a contesté devant le Conseil d’État cette étrange décision, mais le juge administratif suprême a couvert le CSA. La conception de la liberté d’expression en France devient de plus en plus inquiétante et le pluralisme est jeté dans le caniveau par ceux qui sont censés le défendre.
Le 13 avril, RT France diffuse un reportage sur la Syrie, avec un décalage entre les images diffusées et les paroles traduites. Suite à une erreur technique, la version plus longue du reportage qui contenait les paroles du témoin syrien affirmant avoir été forcé par des terroristes à simuler une attaque chimique a été remplacée par une version condensée (voir l’article de RT explicatif à ce sujet).
L’objet de tous les délits :
Le CSA, par une décision du 28 juin, a sanctionné RT France (voir le texte intégral ici) et sans recourir à la hiérarchie des sanctions en vigueur, pour une erreur technique, a immédiatement adopté une mise en demeure. Car le CSA refuse le caractère technique et sous-entend, sans le démontrer par ailleurs, que l’erreur est volontaire, donc vise à induire en erreur.
« Considérant que ce sujet comportait un extrait vidéo dans lequel des personnes civiles intervenaient en dialecte syrien ; que la traduction orale en français accompagnant l’extrait diffusé témoignant de la simulation de l’attaque chimique était dénuée de lien avec les propos effectivement tenus par les intervenants qui traitaient de la situation de famine sévissant dans la zone ; qu’il est apparu que cette traduction se rapportait à une autre version, plus longue de la vidéo, non diffusée ; que, même si les propos ayant fait l’objet d’une traduction erronée ont par ailleurs été tenus, un tel fait caractérise un manquement à l’exigence de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information.
Considérant que la traduction française de certains propos de témoins interviewés dans le sujet précité a substitué au pronom « ils », employé par les témoins, le nom du groupe « Jaysh al Islam » pour désigner ceux qui auraient demandé à la population locale de simuler les effets d’une attaque à l’arme chimique ; qu’une telle substitution, qui induit une lecture différente du sujet diffusé, caractérise un manquement aux exigences d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information.
Considérant en second lieu que lors de l’ensemble des éléments diffusés au cours du journal télévisé de 11 heures du 13 avril 2018 traitant de la situation syrienne, un point de vue a été présenté dans des conditions aboutissant à un déséquilibre marqué dans l’analyse du sujet et qu’en particulier un traitement univoque a été présenté de la question des armes chimiques, alors que la sensibilité et le caractère controversé du sujet imposaient que les différents points de vue soient exposés afin d’en garantir l’honnêteté ».
Or, la directrice de l’information RT France, Xenia Fedorova, répond également aux deux dernières accusations qui, elles, portent sur le fond, puisque la première est technique et a été corrigée. En ce qui concerne la traduction erronée de « ils » :
« Mohammed Khudr Mousa, un Syrien libéré à Douma des mains de Jaïch al-Islam interrogé le 12 avril. A son retour chez lui, il raconte face caméra à un pigiste de l’agence Ruptly ce qu’il a subi avec le groupe terroriste (l’intégralité de son témoignage est visible ici en arabe). Il évoque notamment les pénuries, la famine et la brutalité de Jaïch al-Islam vis-à-vis des habitants… ainsi qu’une fausse attaque chimique à laquelle il a été contraint de prendre part. C’est sur ce dernier point que portait le sujet diffusé sur notre antenne le 13 avril. Tout au long de son récit, Mohammed Khudr Mousa emploie le pronom « ils » pour désigner ses tortionnaires ».
En ce qui concerne le manque de diversité :
« Pourtant, au cours du même JT, nous diffusions les déclarations de Donald Trump et d’Emmanuel Macron sur le sujet – des propos évidemment à l’opposé des témoignages de ces civils syriens. De quoi, selon nous, faire entendre deux sons de cloche, là où l’écrasante majorité des médias se contentent d’un seul, particulièrement sur un sujet aussi délicat que la Syrie ».
En revanche, le fait que l’AFP s’empresse de diffuser, et les médias de reprendre en choeur, une version tronquée et orientée de la décision du CSA n’a en rien perturbé, justement, le CSA. L’objectivité de l’information ne doit, semble-t-il, pas s’appliquer à tous les médias. L’on notera aussi que cette attaque ciblée contre RT France tombe à pic au moment de la grande vague législative contre les fausses informations, alors que des députés français qualifiaient RT France d’agence du Kremlin. Dans ce cas, autant que l’AFP est l’agence de l’Élysée ou la BBC celle de Buckingham.
RT a donc décidé de s’adresser au Conseil d’État afin de contester cette décision, qui dans un premier temps reconnaît l’erreur autant que l’existence des paroles prononcées concernant la mise en scène des attaques chimiques et, d’autre part, développe non pas une argumentation, mais une « prise de position » contre ce JT en général.
L’enjeu de tout cela est, en filigrane, parfaitement expliqué dans cet article du Figaro, qui rappelle tout d’abord les grandes difficultés de RT France pour être diffusé et ensuite précise ceci :
« Si la plus haute juridiction administrative venait à dédouaner la chaîne, cela pourrait changer la donne, et possiblement débloquer les discussions avec les opérateurs ».
Évidemment, dans une décision qui n’est pas encore, malheureusement, accessible à l’heure où ce texte est écrit, le Conseil d’État, sans surprise aucune, confirme la mise en demeure du CSA contre RT France. Que les belles âmes se rassurent, les difficultés de RT France ne vont pas s’amenuiser. Comme le déclare Xenia Fedorova à juste titre :
« Cette décision est décevante car elle montre que, si vous donnez une perspective ou un point de vue différent des autres médias, vous serez sanctionnés et ce quelle que soit la solidité de vos arguments. Ce qui interroge concernant la liberté d’expression ».
Pouvait-on attendre autre chose ? Objectivement, non et c’est bien ce qui est dommage. À plusieurs titres. Tout d’abord, et surtout, parce que le champ de nos libertés se réduit à peau de chagrin et nous nous y habituons doucement, comme la grenouille que l’on plonge dans une casserole d’eau froide, que l’on réchauffe progressivement jusqu’à la cuire sans qu’elle ne tente de s’échapper. Nous sommes bientôt à point. Ensuite, parce que la diversité de l’information est le premier barrage contre le fanatisme. Remarquez, c’est justement pour cela que la police idéologique se renforce dans notre pays, où le fanatisme se porte à merveille.
En attendant, bon courage à RT France ! Travailler en terrain hostile n’est pas une partie de plaisir …
- Source : Russie politics