Napoléon l’avait compris. Pour mener une guerre hégémonique, il faut commencer par quelques annexions faciles qui fourniront les hommes nécessaires aux autres conquêtes. Il avait réussi à dominer l’Europe grâce à ses italiens, ses allemands, ses autrichiens, ses polonais, etc., bref, grâces aux européens eux-mêmes.
Par la suite, les anglais et les français ont réussi à coloniser le monde grâce aux soldats indigènes encadrés de métropolitains. Ils ont ainsi créé des armées coloniales composées de recrues locales qui étaient utilisées sur l’ensemble des colonies, partout où il fallait stabiliser une conquête, réprimer une révolte ou acquérir de nouveaux territoires. Ces soldats ont même été utilisés pour voler au secours des ‘’mères patries’’ menacées d’invasion.
Aujourd’hui c’est l’Amérique qui a repris le relai des anglais et des français, à travers la vaste machine de l’OTAN. A la différence de ses prédécesseurs, elle agit de manière beaucoup plus discrète, au point que la similitude ne saute pas tout de suite aux yeux, mais le processus est le même. Conquête de territoires pour lesquels on nomme des gouverneurs locaux (petite différence avec les colonies : les gouverneurs étaient rarement, sinon jamais locaux), recrutement sur place d’hommes qui seront ensuite formés pour les futures interventions. Là aussi, une petite différence : les recrues ne sont pas reconnues comme faisant partie de l’armée de l’occupant, ce qui permet beaucoup de souplesse dans l’utilisation de ces hommes.
Si les Etats-Unis ont utilisé ce type de combattants en Amérique latine, au Tibet, au Kossovo, en Afghanistan ou même en Irak, c’est durant la guerre de la Libye qu’il est vraiment apparu qu’ils n’étaient qu’une émanation de l’OTAN, donc des Etats-Unis.
Mais c’est surtout la guerre de Syrie qui, par sa durée, révèlera les liens étroits qui unissent ces soldats indigènes avec leur employeur. Aujourd’hui encore on nous les présente comme des salafistes, takfiristes, wahabites, frères musulmans, ou parfois, pour généraliser, simplement comme fondamentalistes ou islamistes. Certes ils sont tout ça. Mais est-ce à cause de ces appartenances qu’ils se battent à travers le monde, jusqu’en Chine ? Bien sûr que non. En les enfermant dans des cases sectaires, on veut nous faire croire que tous ces combattants (on dit djihadistes, pour enfoncer le clou) ne se battent que pour leurs convictions, et nous faire oublier que ce ne sont que des soldats indigènes recrutés, formés, armés et entretenus pour faire ce pourquoi ils sont là.
Dès les premiers jours des événements syriens, on a vu rappliquer les contingents libyens. Ne suffisant pas à la tâche, on a appelé en renfort quelques éléments de Tunisie, pays fraîchement presque conquis. Puis ce fut le tour des Tchétchènes, des kosovars et des irakiens. Ça ne suffisait toujours pas. Il a fallu ensuite racler le fond des prisons saoudiennes (ils ont dû se rappeler le film ‘’les douze salopards’’), aller puiser dans les réserves européennes qui étaient destinées à d’autres missions futures. On va même chercher les somaliens qui, du jour au lendemain, oublient leur raison de vivre, c’est-à-dire l’instauration de la charia en Somalie, pour venir secourir leurs frères bien-aimés en difficulté. Tous les indigènes de l’empire convergent vers la Syrie. Tous ? Il manquait encore la cavalerie, les troupes de choc : les talibans. Devant la débâcle de l’armée indigène face à l’armée syrienne, leur engagement devenait plus que nécessaire. Les voilà donc en route vers la Syrie, pour venir à la rescousse de l’empire mal en point, empire qu’ils combattent par ailleurs en Afghanistan depuis 12 ans, nous disait-on.
Comment seront-ils classés ? Salafistes, takfiristes ? Leur présence risque de changer la couleur de la guerre en Syrie. Ceux que l’on se plait à présenter comme des bouffeurs de chiites à chaque repas vont tomber nez à nez sur… le Hezbollah. Mais ça c’est une autre histoire.
Après les talibans, que reste-t-il ? Il y a bien les restes des contras latino-américains qui sont au chômage, pour le moment. Peut-être les réactivera-t-on ? Ils seront tellement bouleversés par le sort des chrétiens de Syrie, après un massacre savamment mis en scène dont le héros principal ne serait autre que Bachar Al Assad, qu’ils voleront à leur secours. Il reste aussi les philippins, les sud-coréens, les australiens. Mais alors, il sera difficile de rester dans le cadre strict du fanatisme religieux. Quoi que…
Il est donc fort possible que la Syrie soit, pour quelques temps encore, un haut lieu de rendez-vous. Mais le danger ne vient pas du fanatisme ou des qualités de combattants de ses visiteurs, mais du fait que tout ce beau monde n’est que de la chair à canon. Aujourd’hui comme hier, les combattants indigènes ne servent qu’à ça. Et tant qu’il en restera un vivant, l’OTAN peut se permettre de continuer la guerre. Pour gagner, l’armée syrienne devra les exterminer jusqu’au dernier, tâche presque impossible. Plus ils en tuent, plus il en débarque via les pays limitrophes. Jusqu’à quand cela durera-t-il ?
Il y a un constat sous-jacent : pour l’instant, tous ces combattants indigènes sont musulmans qui, tous les jours, tuent des syriens à majorité musulmane. Dans leurs rangs, c’est par dizaines, voire par centaines, tous les jours, qu’ils sont tués par l’armée syrienne. Ce sont donc quotidiennement par dizaines ou par centaines que des musulmans sont exterminés par la main d’autres musulmans. D’un certain point de vue, c’est véritablement une guerre civile attisée de l’extérieur qui se déroule sous nos yeux. Les protagonistes sont trop impliqués pour le voir ainsi. Mais les autres ?