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Lundi, 23 Déc. 2024

A quel point la Russie sera impériale?

Auteur : Fedor Lukianov via Agence de Presse Russe | Editeur : Stanislas | Jeudi, 25 Juill. 2013 - 20h12

Zbigniew Brzezinski disait au milieu des années 1990 que l'Empire russe ne pourrait survivre que si l'Ukraine restait dans sa sphère d'influence. Cette citation ressort souvent dans les débats, aussi bien en faveur de l'expansion russe que contre elle. Plus de deux décennies après l'effondrement de l'URSS la nature des rapports avec l'Ukraine reste floue. Tandis que le niveau d’"impérialité" de la Russie semble aujourd’hui dépendre d’une autre région du monde : l’Asie centrale.

Lorsque les républiques fondatrices de l'Union soviétique (la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie) ont décidé de la dissoudre dans la forêt de Bialowieza, les dirigeants d'Asie centrale ont été mis devant le fait accompli. Le sort de ces Etats fut dramatique, fait de guerres civiles et de coups d'Etat au Tadjikistan ou au Kirghizstan, de despotisme oriental au Turkménistan... Toutefois, il semblait aller de soi que ces pays faisaient partie de la sphère d'influence et d'intérêts de Moscou. Personne ne prétendait alors sérieusement à remplacer la Russie dans le rôle du patron géopolitique de la région. Bien sûr ces pays cherchaient à diversifier leurs contacts mais la Russie restait une constante - d'autres partenaires pouvaient aller et venir mais le Kremlin veillait toujours au grain. D'autant que le principal intérêt international pour la région était dû à ses ressources minières et le moyen de les faire transiter, noyau de la stratégie politique étrangère de Moscou.

Cependant, en 2010 la Russie n'a pas saisi l'opportunité d'affirmer son rôle dominant en Asie centrale et s'est abstenue d'intervenir dans les émeutes au sud du Kirghizstan. Le projet de l'Union douanière, lancé en 2009 et appelé à se transformer en Union économique eurasiatique en 2015, vise avant tout l'Ukraine et non pas les grandes étendues de l'Eurasie, comme son nom le suggère. Enfin, en Russie et notamment dans les grandes villes, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur de restrictions des migrations du travail par une baisse des quotas. Certains veulent même introduire un régime de visas pour les voisins d'Asie centrale. Le thème de l'immigration, typique pour la majorité des pays européens, prend une importance politique en Russie également. Les ressortissants des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale sont principalement visés. L'opposition nationaliste qui gagne en popularité depuis quelque temps n'est pas la seule à soulever ce sujet. Des hauts fonctionnaires comme le maire de Moscou Sergueï Sobianine et le vice-premier ministre Dmitri Rogozine en parlent également. D'ailleurs, ce thème est une priorité de campagne pour presque tous les candidats au poste de maire de Moscou, en prévision des élections le 8 septembre prochain.

Au vu des vagues globales d'immigration, problème pour l'ensemble du monde développé, la recherche de l'identité non soviétique de la Russie prend un côté protectionniste voire xénophobe. L'incertitude d'une partie de la population concernant le lendemain est à l'origine des accusations des étrangers comme étant l'élément le plus notable de changement. Mais la cause extérieure est aussi compréhensible : les sentiments impériaux disparaissent progressivement et l'aspiration à reprendre ce qui a été perdu, propre à la première phase suivant l'effondrement d'un pays, cède la place au calcul : est-ce nécessaire et si oui, à quel prix ?

La politique centrasiatique montrera comment la Russie conçoit son nouveau rôle sur la scène internationale. La région est au seuil de changements fondamentaux – les conséquences du changement imminent de générations dirigeantes en Ouzbékistan et au Tadjikistan sont imprévisibles - cela pourrait également concerner le Kazakhstan mais ce pays est plus stable. Le risque que l’instabilité se propage depuis l'Afghanistan après 2014 est élevé. La Russie devra déterminer si elle est prête, compte tenu de la situation nationale, à endosser la responsabilité de cette région de l'ex-URSS ou si ses intérêts vitaux se limitent au Kazakhstan.

Aucune réponse n’est meilleure que l’autre : les conséquences fatales et les dangers sont envisageables dans tous les cas. Si Moscou part d'Asie centrale cela ne signifie pas forcément l'arrivée d'une puissance concurrente mais plutôt la perte de son rôle de régulateur extérieur. Les pays quittés se retrouveraient livrés à eux-mêmes dans le contexte d'une instabilité intérieure et extérieure croissante. Il sera de toute façon impossible de construire un mur et d’oublier les anciens peuples frères tellement sont étroits les liens mutuels et les contacts humains : un grand nombre de ressortissants de ces pays vit en Russie.

Une ingérence impériale à grande échelle est pourtant tout aussi impensable – la population ne la soutiendrait pas et comme le montre la pratique des interventions américaines : cela ne donne aucun résultat. Aussi extravagante que soit l'idée de Viktor Ivanov, chef du Service fédéral russe de contrôle des stupéfiants, de créer une entreprise publique pour l'Asie centrale afin d'assurer le développement sur place et réduire l'afflux d’immigrés en Russie, cette idée suit la bonne direction. La Russie doit trouver un moyen d'y améliorer la situation sans s’ingérer directement. Le règlement de ce problème serait un test de maturité pour la Russie comme puissance régionale de type post-impérial.


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