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Lundi, 23 Déc. 2024

Il veut la tête des Turcs

Auteur : Olivier Cabanel via olivier-cabanel.fr | Editeur : Stanislas | Mercredi, 19 Juin 2013 - 14h01

L’occupation pacifiste de la place Tacsim vient de subir la violence d’un premier ministre qui se veut inflexible, intransigeant, convaincu de son bon droit, et au nom de celui-ci, a employé la manière forte, ainsi qu’un témoignage, celui de Defne Gursoy, le conte dans les détails.

Celle-ci à fait parvenir son récit à Jean Louis Comolli : « Tout a basculé à Taksim hier soir. Hier soir la guerre a été déclenchée par la police, j’en suis un témoin direct puisque j’étais sur place.

La violence démesurée de la police a fait des centaines de blessés, le parc a été évacué de force avec gaz, jet d’eau contenant des produits chimiques causant des brûlures sur la peau, les balles en plastiques ont blessé des dizaines de personnes, dont une femme enceinte.

Par ailleurs des grenades cataplexiantes (incapacitantes) ont semé la terreur dans tout le quartier. L’intervention a eu lieu alors qu’il n’y avait aucune manifestation, aucun rassemblement ni dans le parc Gezi, ni sur la place.

C’était un samedi ordinaire et les habitants étaient venus avec leurs enfants pour prendre l’air dans ce parc. Cette intervention a été faite hier (15 juin) à partir de 19h40 alors que la plateforme de Taksim avait annoncé à 11h00 le retrait pacifique des occupants dès lundi. Les affrontements ont duré jusqu’au petit matin, j’étais coincé entre les barricades et la police.

Je me suis réfugiée dans un passage commerçant, la police a même lancé le gaz à l’intérieur de tous ces passages où les gens s’étaient réfugiés. J’ai été gazée, et j’ai vu des gens tomber comme des mouches sur la rue Istiklal. Des milliers ont afflué de tous les quartiers d’Istanbul pour venir en soutien à Gézi Park et les manifestants.

La municipalité a annulé tous les transports en commun dès 11h00 pour empêcher cela mais les gens sont passés de la rive asiatique en marchant sur le pont du Bosphore. La police a gazé ces gens à pied sur le pont même, sans leur laisser une issue de sortie, sauf peut-être de se jeter par le pont.

Les hôtels qui ont accueilli les gens blessés ont été gazés de l’intérieur. Les touristes ont accueilli les blessés dans leur chambre d’hôtel mais ont subi également les violences car les réceptions, transformées en centre de soin médicaux de ces hôtels ont été attaqués par la police.

Ceci est un crime contre l’humanité, du jamais vu même dans les pays avec des régimes les plus répressifs. Toute cette violence n’a pas arrêtée le peuple qui s’est regroupé dans chaque quartier.

Nous ne connaissons pas exactement le nombre de blessés, mais nous savons qu’il y a plusieurs blessés dans un état grave, nous en saurons plus dans quelques heures. Des centaines de gens blessés n’ont pas pu recevoir de soins médicaux car les forces de l’ordre ont interdit l’accès des ambulances à Taksim. Aujourd’hui Erdogan tient un meeting à Istanbul avec ses supporters, qu’il n’hésitera sans doute pas à lâcher contres les résistants.

Les habitants des 70 villes du pays sont dans la rue aujourd’hui pour protester. Des dizaines de milliers sont en train de marcher vers la place Taksim. La violence du pouvoir actuel contre ses citoyens doit être arrêtée au plus vite.

Je vous demande de divulguer le message partout où vous pouvez. C’est vraiment très grave et cela va sans doute continuer.

La désinformation du pouvoir ne doit pas être relayée par les médias européens, mais la vérité doit être entendue partout dans le monde. Merci à tous de faire en sorte que l’information circule le plus vite et le plus largement possible.

Ce dimanche 16 juin, nous nous attendons malheureusement à la suite des violences.

J’ajoute que depuis, les médecins qui aidaient les blessés ont été arrêtés, au sein même de l’hôtel Divan qui avait accueilli les blessés. Dans ce même hôtel, la co-présidente des verts allemands, Claudia Roth, à Istanbul en soutien des verts turcs, a été également été gazée. Ce qui se passe en Turquie est grave, s’il vous plaît faites circuler l’information autour de vous ».

Tout cela était pourtant prévisible s’il faut en croire Ragip Zarakolu, l’une des têtes de proue de l’opposition de gauche. lien

Le 15 juin, à 17h, il avait déclaré : «  ils interviendront ce soir. Les manifestants de Gezi n’auraient pas du reconduire le mouvement. Pas la peine de jouer avec le feu. Il y aura une opération de police ce soir, ou cette nuit, j’en suis presque sur ».

Il ne s’est pas trompé.

Pour autant, il dénonce la spirale de la violence dans laquelle s’est enfermé Erdogan, et ne croit pas à la possibilité d’une « conciliation ».

Quelques heures avant l’arrivée des forces de l’ordre, le parc Gezi était complètement investi par la foule dans une ambiance de fête, avec danse, musique… : des enfants, (qui seront plus tard gazés) (photo) des parents, des visiteurs, et pas mal d’étrangers. lien

Comme l’a raconté Defne Gursoy, la police est intervenue dans au moins un hôpital, et dans plusieurs hôtels pour en chasser ceux qui y avaient trouvé refuge pour s’y faire soigner. D’autres témoignages confirment ces interventions des forces de polices dans la cour de l’hôpital Alman Hastanesi, le plus grand centre privé de la ville, en utilisant les canons et eau, et les gaz lacrymogènes. lien

Une vidéo en apporte la preuve flagrante.

En convoquant une partie de la population qui le soutient encore, Erdogan joue donc la division, et manie sans scrupules la violence, évoquant pourtant la possibilité d’une concertation, à laquelle pas grand monde ne croit. lien

Au-delà de cette situation, dont on ne voit pas l’issue prochaine, il faut s’interroger sur l’usage de produits chimiques dangereux mis dans les réservoirs des canons à eau. Ce produit s’appelle Jenix, et des photos prouvent qu’il était versé directement dans les réservoirs des camions anti-émeute. lien

Le fabriquant se veut rassurant, affirmant qu’il n’y a pas de danger ni pour la santé ni pour l’environnement…et cerise sur le gâteau, il n’attaque pas la couche d’ozone. lien Etonnant alors que ce produit, dont l’utilisation est confirmée par le gouverneur d’Istanbul, qu’il qualifie de « médicament », (lien) provoque des brulures sur la peau, des dommages aux yeux, cernant le visage de plaies, et soit considéré comme inoffensif. lien

En outre de ces jets toxiques, la police a utilisé des grenades incapacitantes, des gaz lacrymogènes, et tiré des balles plastiques.

Ces grenades incapacitantes, appelées GSS, sont un mélange d’ammonium et de magnésium : elles émettent un flash aveuglant de 6 à 8 millions de candelas, privant pour quelques secondes le manifestant de vision et émettant un son de 170 Db provoquant une perte de coordination et d’équilibre. Elles peuvent causer des blessures sérieuses si elles explosent à proximité d’une personne. Une autre grenade incapacitante, appelée « Stinger » éjecte, lors son explosion, des balles de caoutchouc, qui peuvent aussi sérieusement blesser quelqu’un si la grenade explose à proximité immédiate d’un manifestant. lien

En attendant, d’autres questions se posent.

Amnesty international, représenté par Andrew Gardner, sur place à Istanbul, a constitué une liste de 70 personnes, capturées par les policiers et dont on est sans nouvelles : le gouvernement refuse de leur appliquer les procédures régulières, leur permettant de prendre contact avec famille, et avocat, d’autant qu’il est probable que le nombre des manifestants arrêtés soit plus nombreux, la police turque refusant de reconnaitre qu’elle en détient. lien

Le bilan actuel connu est déjà lourd : 5 morts et plus de 5000 blessés, et de milliers d’autres auraient été arrêtés. lien

Malgré la gravité de ce qui se passe, les médias européens ne sont pas trop bavards. Alors un homme, seul, s’est dressé. Il s’appelle Erdem Gunduz, il est chorégraphe, et la nouvelle de son action s’est propagée comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux.

Duranadam (l’homme à l’arrêt).consiste pour cet homme à rester seul, debout, face à la statue d’Atatürk, (le fondateur de l’état laïc de Turquie), les mains dans les poches, défiant le pouvoir qui interdit le rassemblement sur cette place. Il a décidé d’y rester un mois, une manière de poursuivre le combat des Turcs dans la paix. lien

Ses amis se sont mobilisés pour empêcher la foule de le rejoindre, afin de ne pas donner à la police un motif pour intervenir. lien

Ils sont maintenant de plus en plus nombreux à l’avoir imité, main dans les poches, le regard dans celui d’Atatürk. lien

La Turquie étant l’un des prochains pays qui pourrait intégrer l’Union Européenne, il est possible que ces évènements ne soient pas de nature à faciliter son entrée, d’autant qu’elle était déjà âprement discutée. lien

Comme dit mon vieil ami africain : « la politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde  ».


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