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Mardi, 14 Mai 2024

Le meilleur des mondes de François Hollande !

Auteur : Guillaume Berlat | Editeur : Walt | Mardi, 08 Nov. 2016 - 21h56

« On ne se prépare pas à avoir du talent » (Paul Morand, 1954).

C’est le moins que l’on puisse dire à l’examen du bilan de la politique étrangère de François Hollande alors que son quinquennat touche presque à son terme. La neutralité est impossible et au demeurant pas souhaitable. Au-delà des nombreuses analyses – le plus souvent critiques – qui lui ont déjà été consacrées au cours des dernières années par d’éminents experts, nous disposons désormais d’un instrument de mesure partiel, confessons le, mais utile pour l’analyste de relations internationales. Il s’agit de l’ouvrage de ses confessions à deux journalistes d’investigation du quotidien Le Monde, ouvrage qui a été largement commentée. Nous n’aurons donc pas à attendre que les archives de l’Élysée soient accessibles pour être informés en temps réel des pensées et arrière-pensées de notre président.

D’une analyse rapide de cet ouvrage, plusieurs éléments méritent d’être relevés qui ont une relation directe avec notre démarche. Il s’agit d’une source de première main, les propos rapportés étant ceux du principal intéressé et non ceux de ses communicants, ses « spin doctors » attachés à bâtir un récit irénique pour le bon peuple. Il s’agit aussi d’une source de première importance, celle d’un homme qui peut déclencher le feu nucléaire et qui a en charge la définition de la politique étrangère de la France. Il s’agit enfin d’une source qui est l’acteur principal de la mise en œuvre de cette politique étrangère depuis mai 2012. Quelles conclusions, y compris non définitives, peut-on tirer de ce voyage en Hollandie sans pour autant tomber dans le « Hollande Bashing » ? Tout en assumant le caractère arbitraire de ce choix, nous nous limiterons à trois principales conclusions. François Hollande semble être en marge du monde, seul au monde et incompris du monde.

FRANÇOIS HOLLANDE EN MARGE DU MONDE

A prendre au pied de la lettre l’analyse retenue par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui ne passent pas pour des experts en relations internationales mais pour des chercheurs de scoops et des faiseurs de buzz, on est en droit de se livrer à un double constat. Dans les préoccupations du chef de l’État, les préoccupations diplomatiques sont reléguées à la portion congrue et ne sont appréhendées que par le petit bout de la lorgnette.

La portion congrue : l’hexagone d’abord

Quelques remarques méthodologiques liminaires s’imposent pour mieux appréhender le sujet. Ce récit, qui s’étale sur plusieurs années de rencontres et plusieurs dizaines d’heures d’enregistrement avec ces deux journalistes, donne lieu à un ouvrage assez volumineux (663 pages) décomposées en sept chapitres. Un seul chapitre (le numéro VI) est consacré au « Monde ». Il couvre les pages 459 à 529, soit 70 pages, ce qui correspond à un peu moins d’un dixième du total. Comparé aux longs développements qui sont consacrés à la politique intérieure (on pourrait dire à la politicaillerie et aux flèches assassines décochées autant contre ses adversaires que contre ses « amis » qui en nourrissent un certain ressentiment), on pourrait en déduire que le président de la République a une appétence modérée pour les relations internationales alors que le monde bouillonne, que le nombre des crises de toutes natures ayant un impact sur la France ne cesse de croitre.

François Hollande serait donc plus à l’aise dans son habit de Monsieur blaguounettes que dans celui d’un président expert en stratégie internationale. Ce qui serait a priori plus dans son rôle de chef d’un État membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, faisant partie du club fermé des puissances nucléaires, membre fondateur de l’Union européenne, disposant d’un des plus importants réseaux diplomatiques au monde et d’une force armée capable de se projeter seule et en premier à l’extérieur (en Afrique en particulier), parlant l’une des six langues officielles de l’ONU… Les préoccupations du président sont à l’évidence hexagonales.

Le petit bout de la lorgnette : la tactique d’abord

A défaut de quantité, on imagine en avoir pour son argent en termes de qualité. On s’attend à découvrir la quintessence de la pensée stratégique d’un homme qui dispose du meilleur réseau d’informations du pays sur l’international (ambassades, communauté du renseignement, instituts de recherche, hommes d’affaires, visiteurs du soir…). Même de ce point de vue, le lecteur reste sur sa faim. En effet, ce chapitre VI s’articule autour de cinq développements : le général, la mort, le pacificateur, le facilitateur, le diplomate. Curieusement, le terme de guerrier est absent de cette énumération alors même que François Hollande engage nos forces armées sur plusieurs théâtres d’opération extérieures, excepté celles conduites sur le territoire national (plus connue sous son nom de « Sentinelle ») : « Sangaris » en RCA, « Barkhane » au Sahel et « Chammal » en Irak et en Syrie. Pour l’expert qui attendait une grande fresque sur l’état du monde en ce début de XXIe siècle, la déception est immense. La focale est réduite à quelques sujets importants mais peu significatifs car decontextualisés alors que nous vivons dans un monde globalisé, que nous le voulions ou non. Nous sommes dans une approche qualifiée « d’inward looking » par les anglo-saxons, d’égocentrique en français. S’il donne l’impression d’être un habile tacticien, François Hollande apparaît à tout le moins comme un piètre stratège qui a du mal à anticiper les coups d’après avant d’avancer sa pièce sur l’échiquier international.

De ces considérations méthodologiques, quelles conclusions peuvent être tirées de la pratique hollandaise de la politique étrangère de la France, sans parler de la théorie si tant est qu’elle existe, à travers ses confidences enregistrées sur magnétophone ?

FRANÇOIS HOLLANDE SEUL AU MONDE

Manifestement, le président de la République ne craint pas les journalistes. Il leur livre son approche tactique des sujets d’actualité, ses pensées du moment, parfois ses doutes (après le décès de soldats français), parfois des secrets d’état qui sont à la limite du délit de compromission (plans de bataille pour des frappes en Syrie, quatre attentats ciblés qu’il a ordonnés…). Si ce qui est dit ne manque pas de saveur, le non-dit l’est tout autant, si ce n’est plus.

La lecture des mots : les traductions du dit

Les développements consacrés au monde de François Hollande se résument à trois principaux sujets qui tournent autour de la crise syrienne : l’indécision de Barack Obama après l’affaire des lignes rouges tenant à l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad, l’intransigeance de Vladimir Poutine et la question des réfugiés. Pour ce qui est de l’intervention qui n’a pas eu lieu en Syrie à l’été 2013, nous découvrons au passage que les journalistes ont eu accès au « timeline du raid » (note ultra-confidentielle rédigée par l’état-major). Le chef de l’État est convaincu qu’il fallait frapper à ce moment pour affaiblir le régime syrien et renforcer l’opposition modérée (ASL). Il n’en démord pas. Le cours des évènements en aurait été transformé, à l’en croire. S’agissant des États-Unis, le président de la République n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser l’absence de stratégie de Barack Obama qui ne veut plus assumer le rôle de gendarme du monde. Quant à la Russie, François Hollande critique la dureté de Vladimir Poutine qui place la lutte contre les terroristes avant toute chose. La crise des migrants conjuguée aux attentats terroristes le conduit à fermer les vannes de l’immigration et à mettre la lutte contre l’EIIL en tête des priorités françaises. Pour ce qui est du reste : Afrique en particulier crise malienne et libération d’otages, Ukraine, refus de ventes des Mistral à la Russie, Union européenne évoquée à travers la crise grecque, le « Brexit » et la nécessité pour la France de respecter ses engagements budgétaire (problème du dépassement de 3%), Cuba…nous sommes plus en face d’un gestionnaire que d’un visionnaire.

L’analyse en creux : les révélations du non-dit

Malheureusement, pour les esprits chagrins et attardés qui en sont restés à la formule désormais célèbre d’une « certaine idée de la France » du général de Gaulle, le mot France est peu présent dans la bouche du président de la République française. Est-il désormais incongru dans un monde qui rêvait de la fin de l’histoire, de la fin des nations et du village global ? Est-ce une omission volontaire ? On se perd en conjectures. Quant à l’Union européenne qui traverse une grave crise structurelle et au couple franco-allemand déséquilibré au profit de Berlin (concept aujourd’hui galvaudé), nous peinons à entrevoir les linéaments d’une pensée structurée et prospective.

Les propos du chef de l’État se résument le plus souvent à des anecdotes (parfois non dénuées d’intérêt), à la relation d’entretiens téléphoniques avec ses homologues (François Hollande y ayant toujours le beau rôle), à des coups de griffes à ses adversaires politiques de l’intérieur (ceux de droite mais aussi parfois à ses « amis » de gauche). A traduire sa pensée, on a la nette impression d’être en face d’une politique de communication et d’émotion et non d’une authentique politique étrangère. Nulle trace de contrition face aux erreurs avérées sur le dossier syrien. Bien au contraire, il estime avoir fait un parcours sans faute sur le sujet.

« L’international, cela ne rapporte pas » déclare François Hollande. Cette formule traduit parfaitement l’approche hollandaise de la politique étrangère, voire de sa la diplomatie qu’il oriente. S’il se sent très bien auprès de ses pairs sur la scène internationale, à l’évidence mieux que sur la scène nationale, impressionne-t-il par la clairvoyance de ses vues, par sa vision prospective sur les situations de crise (Proche et Moyen-Orient) ? On est droit d’en douter. Il aurait pu s’inspirer de la formule de François Mitterrand (dont il louait récemment encore les qualités) : « on n’apprend rien par la parole, mais tout par l’exemple ».

FRANÇOIS HOLLANDE INCOMPRIS DU MONDE

Cinq ans après le début du quinquennat de François Hollande, le bilan objectif est peu probant pour employer une litote diplomatique ou pour parler-vrai disons que sa politique étrangère est incohérente. Son successeur aura la lourde tâche d’en imaginer une plus ambitieuse et conforme à nos moyens. La tâche ne sera pas aisée tant la dernière décennie a été marquée au sceau de l’abandon des fondamentaux qui ont fait leur preuve au cours des siècles passés.

Le bilan objectif : une politique étrangère incohérente

Le monde de François Hollande n’est pas tel qu’il le voudrait et ne risque guère de le devenir à échéance prévisible. Son principal handicap est de ne pas le regarder avec lucidité afin de promouvoir les intérêts de la France tout en contribuant à la paix et à la sécurité internationales. Il a trop souvent été aveuglé par une idéologie manichéenne (celle de Washington) ou par des « amitiés » (celle de l’Arabie saoudite) de nature à altérer notre perception et infléchir nos orientations. Force est de constater que notre diplomatie, censée être la déclinaison au quotidien de notre politique étrangère, se caractérise aujourd’hui par des errements successifs (Syrie, Russie, Iran, Libye…) qui la rendent incohérente et partisane, et qui nous ont fait perdre, en une décennie, une grande part de notre crédibilité internationale quoiqu’en pense et en dise François Hollande dans ses confessions d’un président solitaire.

Le lecteur, y compris avec la meilleure volonté du monde, ne sait pas où il veut conduire le bateau France sur une mer agitée. Que propose-t-il pour l’avenir de la (dé)construction européenne, de la relation avec les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Afrique, de la mondialisation (TAFTA) ? Quelle sortie de crise propose-t-il pour l’Irak, la Syrie, la Libye… ? Toutes ces questions resteront sans réponses à ce jour à l’aune de ses confidences sur magnétophone ! Peut-être a-t-il des plans B que nous ignorons ?

Le bilan prospectif : une politique étrangère amitieuse

Toute stratégie, pour être efficace, suppose une connaissance minimale de son interlocuteur. Nous ne pourrons pas échapper au dialogue, y compris avec ceux dont les régimes ne nous plaisent pas (Russie, Iran…). De notre capacité à concilier un nouvel ordre mondial avec le respect des droits de l’homme et celui des droits des peuples dépendra notre avenir. Nos partenaires sont et seront de plus en plus difficiles. C’est une raison supplémentaire pour regarder les réalités en face. Souvent l’idée que nous nous faisons d’un pays n’est pas conforme à ses réalités profondes qui sont multiples et contradictoires. Nous nous en tenons à une vision optimiste de l’Histoire, une vision romantique des révolutions (Cf. les mals nommés « printemps arabes »), une vision médiatique, compassionnelle, idéalisée du monde. « On est vraiment en asymétrie totale de puissance diplomatique ».

Tout en remettant de l’ordre dans sa maison (cesser de quémander des délais supplémentaires à Bruxelles pour la remise en ordre de ses finances comme le mauvais élève de la classe européenne), la France doit redevenir une force de proposition (comme elle l’a été sur l’Ukraine avec l’Allemagne), une force de dialogue (comme elle ne l’a pas été avec la Russie, l’Iran), plus diplomate que guerrière. C’est ainsi qu’elle sera de nouveau écoutée et suivie dans un monde où l’on n’a jamais le choix entre le bien et le mal mais entre le pire et le détestable pour reprendre la très belle formule de Raymond Aron.

« Une politique extérieure fermement et prudemment conduite n’est-elle pas, en bien des cas, la seule garantie de la sécurité intérieure ? ». François Hollande l’aura appris, à ses dépens, seulement avec les attentats de Paris du 13 novembre 2015, admettant implicitement qu’il était intenable de mettre sur le même plan l’EIIL et le régime de Bachar Al-Assad, si critiquable soit-il ! Force est de constater que les remèdes employés (l’usage immodéré de la force pour régler les crises) sont au pire inefficaces (maintien d’un statu quo intenable sur l’Union européenne), au mieux insuffisants (maux environnementaux traités par des mots) voire catastrophiques (Libye, Irak, Syrie, Afghanistan…). Dans cet ouvrage, le président de la République reconnait-il ses erreurs de jugement ? Jamais. Il participe d’une candeur diplomatique rafraichissante. Avec une constance qui mérite louange, il se cantonne à prévoir le passé, exercice par définition vain.

« J’aime les gens qui travaillent, persévèrent, y croient et changent le monde avec des idées » déclare le milliardaire nigérian Tony Elumelu. Dans la sphère de la politique étrangère, nous en sommes malheureusement encore loin alors que c’était la vocation établie de la France d’avancer des idées, la France, cette « embêteuse du monde » selon l’expression d’André Fontaine. Ce quinquennat s’achève, au-dedans comme au dehors, dans une confusion qui disqualifie la politique de la France et son prestige dans le monde. Comme le dit Hubert Védrine, « nous ne comptons plus assez pour impressionner ». Jamais, en tout cas, l’amateurisme en diplomatie n’aura été aussi délétère. Par une démarche incohérente patente, nous avons dilapidé le capital de sympathie dont nous disposions dans le monde au titre de l’héritage gaullo-mitterrandien. Rien de bien neuf dans cet appel au passé. Cahin caha, ainsi va le monde, le meilleur des mondes de François Hollande !


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