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Mercredi, 27 Nov. 2024

Les banques françaises accros aux paradis fiscaux

Auteur : Christian Chavagneux | Editeur : Walt | Mardi, 05 Avr. 2016 - 22h29

Une directive européenne votée en 2013 impose aux banques de la zone de fournir, de manière publique, dans chaque pays d’implantation, une comptabilité pays par pays : chiffre d’affaires, effectifs, profits réalisés et impôts payés. Les ONG Oxfam, le CCFD Terre Solidaire et le Secours catholique-Caritas  ont analysé ces données qui permettent d’avoir une idée précise de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux. Et c’est édifiant !

Une présence active dans les paradis fiscaux

En 2014, un tiers des profits internationaux des banques françaises était logé dans les paradis fiscaux pour un total, déclaré, de 5 milliards d’euros. Si BNP Paribas arrive en tête en termes de volume – avec 2,4 milliards –, en pourcentage des activités internationales, le Crédit Mutuel-CIC affiche une part de 44 % de ses bénéfices internationaux situés dans les paradis fiscaux.

Une part conséquente des bénéfices des banques dans les paradis fiscaux

Côté territoires, l’étude des ONG confirme, encore une fois, qu’en dépit de la mondialisation financière, les pratiques fiscales douteuses restent une activité de proximité, le Luxembourg arrivant en tête avec un tiers des bénéfices logés dans les paradis fiscaux. Suivent la Belgique et les Pays-Bas.

C’est très rentable un paradis fiscal !

Lorsque l’on ramène les bénéfices au chiffre d’affaires, on peut calculer une forme de rentabilité des activités bancaires. Ce petit calcul permet de comprendre tout de suite pourquoi les banques françaises sont dans les paradis fiscaux : les activités y sont 20 fois plus rentables qu’en France pour le Crédit agricole, 16 fois plus pour la Société générale, 6 fois plus pour BNP Paribas !

Et encore, soulignent les ONG, ces moyennes générales cachent quelques territoires champions de la profitabilité. De manière intéressante, ce ne sont pas les mêmes pour chaque banque, sauf l’Irlande qui revient deux fois. Les banques ont même trouvé la martingale à six occasions : les bénéfices sont égaux au chiffre d’affaires !1

Les pays champions de la profitabilité

Et l’employé de l’année est… l’Irlandais de BPCE !

Un petit regard sur les statistiques permet de comprendre pourquoi ce pays arrive en tête. C’est que, voyez-vous, l’Irlandais est d’une productivité exceptionnelle ! En moyenne, 18 fois plus qu’un Français !

L’Irlandais : une productivité exceptionnelle !

« L’employé du groupe BPCE irlandais a certainement mérité sa place dans le Guinness Book »

Ainsi, s’amuse le rapport, « l’employé du groupe BPCE irlandais a certainement mérité sa place dans le Guinness Book. Avec en moyenne 1,8 million d’euros générés en une seule année, il est 31 fois plus rentable qu’un salarié moyen de sa banque. Il est suivi par le salarié de la BNP et celui du Crédit agricole, tous deux en Irlande et rapportant respectivement 845 000 euros et 596 000 euros. Notons que la rentabilité de l’employé irlandais du Crédit agricole est ainsi 147 fois supérieure à celle de l’employé français – une vraie performance ! »

Bien évidemment, tout cela résulte d’un transfert artificiel d’une partie des bénéfices vers les paradis fiscaux. On mesure avec ces données combien les banques françaises – comme les autres grandes banques internationales – sont devenues dépendantes de ces territoires.

Le poids des activités de marché

Enfin, l’étude permet de faire ressortir un dernier point : si les banques françaises sont dans les paradis fiscaux, c’est essentiellement pour y développer des activités financières plutôt que de banques de détail. Ainsi, les ONG confirment que si les paradis fiscaux posent par définition un problème fiscal, ils sont également des territoires susceptibles de mettre à mal la stabilité financière en permettant des prises de risque opaques.

On observe une spécialisation par territoires offshore

Les paradis fiscaux concentrent les activités financières complexes et la gestion de portefeuille. Ils abritent par exemple « la moitié des filiales de la BNP Security services, ainsi que plus de la moitié de ses filiales spécialisées dans la gestion de fortune. Les neuf filiales de la BPCE dédiées à la finance structurée sont quant à elles toutes situées dans des paradis fiscaux (Irlande, îles Caïmans, Malte, île Maurice, Singapour) ».

Et le rapport d’ajouter : « On observe enfin une spécialisation par territoires offshore : par exemple, 23 des 29 filiales de la Société générale au Luxembourg sont des sociétés financières. La totalité des filiales suisses et bahamiennes du Crédit Mutuel sont quant à elles spécialisées dans la gestion d’actifs et la banque privée, tandis que trois des quatre filiales de la BNP à Jersey sont spécialisées dans les solutions d’investissement ».

Un risque de stabilité financière

La transparence de la comptabilité pays par pays des banques permet de relever des bizarreries comptables. Certes, leur présence dans tel ou tel territoire peut être légitime. Désormais, les banques doivent la justifier. La productivité des employés et les rentabilités affichées laissent supposer des pratiques de transfert artificiel des bénéfices. L’administration fiscale dispose depuis plusieurs mois des mêmes données. On espère qu’elle a su les utiliser.

Cette transparence est un pas dans le bon sens en matière fiscale. Mais il faudra que la France, l’Europe et le G20 se préoccupent également de l’instabilité financière que peuvent porter les paradis fiscaux. Dans son communiqué consacré au renforcement du système financier, le G20 de Londres de 2009 pointait du doigt ces territoires comme source de contournement des politiques publiques de contrôle des risques dans la finance. Malheureusement, rien n’a été fait depuis. L’étude que viennent de publier les ONG devrait l’inciter à se préoccuper du sujet.

Des données qui restent imprécises

Premier constat : les banques rechignent à fournir des données facilement exploitables. Elles l’ont fait de manière discrète à l’été 2015 et en format PDF, obligeant à re-saisir les informations pour tout exercice d’analyse. Ensuite, les données restent incomplètes : des filiales sont indiquées dans certains pays mais sans information et d’autres manquent à l’appel dans les listes fournies. Les banques le justifient, ici, par un chiffre d’affaire faible, là, parce que les comptes ont été consolidés dans une entité de rang supérieur, etc.

Bref, l’enseignement à en tirer est que la loi européenne doit imposer une standardisation de la fourniture des données. Surtout si celles-ci doivent à l’avenir être fournies par toutes les grandes entreprises européennes, comme la Commission semble s’y résoudre.

1. BPCE, Crédit agricole et Crédit mutuel-CIC aux Caïmans, Société générale à Chypre et aux Bermudes, BPCE à Malte


- Source : Alterecoplus

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