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La Russie casse le monopole de Wall Street sur la cotation du pétrole

Auteur : New Eastern Outlook (Russie) | Editeur : Walt | Lundi, 11 Janv. 2016 - 19h50

La Russie a tout simplement pris d’importantes mesures qui, au moins pour une énorme partie du marché pétrolier mondial, briseront le monopole actuel de Wall Street sur la cotation du pétrole. Ces mesures font partie d’une stratégie à long terme visant en particulier à découpler le dollar US de la très importante exportation pétrolière russe, aujourd’hui talon d’Achille de l’économie russe.

En novembre dernier, le ministère de l’Énergie russe a annoncé qu’il allait commencer à tester le négoce de son pétrole coté sous son nouveau standard. Bien que cela puisse sembler de la petite bière pour beaucoup, c’est capital. En cas de succès, et il n’y a aucune raison pour que ce n’en soit pas un, le prix standard du contrat à terme pour le pétrole brut russe sera négocié sur les marchés russes, et son prix sera fixé en roubles et non plus en dollars US. Cela fait partie de la démarche de dé-dollarisation discrètement lancée par la Russie, la Chine et un nombre croissant d’autres pays.

La cotation standard du pétrole est au cœur de la méthode utilisée par les grandes banques de Wall Street pour contrôler les prix mondiaux du pétrole. Le pétrole est la plus importante matière première négociée en dollars dans le monde. Aujourd’hui, le prix du pétrole brut russe est référencé à ce qui est appelé le standard Brent. Le problème est que le gisement Brent, et d’autres grands champs pétrolifères de mer du Nord, étant en grand déclin, cela signifie que Wall Street peut utiliser un étalon dégressif pour tirer profit du contrôle de volumes de pétrole extrêmement plus grands. L’autre problème est que le contrat Brent est contrôlé essentiellement par Wall Street et les manipulations de dérivés des banques, comme Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP MorganChase et Citibank.

La disparition du « pétrodollar »

La vente de pétrole libellée en dollars est essentielle pour soutenir le dollar US. À son tour, le maintien de la demande de dollars des banques centrales du monde – afin d’alimenter les réserves de change servant à financer le commerce extérieur des pays comme la Chine, le Japon ou l’Allemagne – est essentiel pour que le dollar US garde le statut de première monnaie de réserve mondiale. Ce statut est l’un des deux piliers de l’hégémonie US depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, son deuxième pilier étant sa suprématie militaire mondiale.

Les USA financent leurs guerres avec l’argent des autres

Comme toutes les autres nations ont besoin de dollars pour payer leurs importations pétrolières et de la plupart des autres matières premières, les pays comme la Russie ou la Chine investissent en général les dollars excédentaires gagnés par le commerce de leurs sociétés, sous la forme d’obligations et de titres similaires du régime US. Le seul autre candidat assez grand, l’euro, est considéré comme plus risqué depuis la crise grecque de 2010.

Depuis août 1971, époque où le dollar US n’a plus été adossé à l’or, son rôle de première monnaie de réserve a essentiellement permis au régime US d’entretenir un déficit budgétaire apparemment infini, sans avoir à se soucier de la montée des taux d’intérêt, comme s’il disposait d’un crédit par découvert permanent à sa banque.

En fait, cela a permis à Washington de créer sans grand souci une dette fédérale de 18 600 milliards de dollars. Aujourd’hui, la dette du régime US se monte à 111% de son PIB. En 2001, quand George W. Bush a pris ses fonctions et avant la dépense de milliards dans la « guerre contre le terrorisme » en Afghanistan et en Irak, la dette se montait à environ la moitié, soit 55% du PIB. À Washington, ils disent avec désinvolture que « la dette est sans importance », car ils supposent que le monde – Russie, Chine, Japon, Inde, Allemagne – achètera toujours de la dette US avec les dollars des excédents commerciaux. La capacité de Washington à maintenir le dollar dans le rôle de première monnaie de réserve, une priorité stratégique pour Washington et Wall Street, est liée avant tout à la cotation des prix pétroliers mondiaux.

Dans la période allant jusqu’à la fin des années 1980, les prix du pétrole étaient largement déterminés par l’offre et la demande mondiale quotidienne réelle. C’était du ressort des acheteurs et des vendeurs de pétrole. Ensuite, Goldman Sachs décida d’acheter J. Aron, un petit courtage de matières premières de Wall Street, dans le but de transformer le négoce pétrolier sur les marchés mondiaux.

Ce fut l’avènement du « pétrole papier », du pétrole négocié à terme, des contrats affranchis de la livraison physique du pétrole brut. C’était plus facile pour les grandes banques à manipuler sur la base de rumeurs et des magouilles du marché des instruments dérivés, car une poignée de banques de Wall Street dominaient le négoce pétrolier à terme et savaient précisément qui tiendrait telle ou telle position ; un rôle d’initié commode, rarement mentionné en bonne société. Ce fut le début de la transformation du négoce pétrolier en un casino dans lequel Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP MorganChase et quelques autres banques géantes de Wall Street font marcher des tables de saloperies.

En 1973, suite au bond du prix du pétrole de l’OPEP d’environ 400% en quelques mois, après la guerre du Kippour d’octobre 1973, le Trésor US envoya un émissaire de haut vol à Riyad, en Saoudie. En 1975, Jack F. Bennett, Secrétaire adjoint au Trésor US, fut envoyé rencontrer la monarchie saoudienne pour fixer un accord selon lequel tout le pétrole saoudien et de l’OPEP sera négocié uniquement en dollars US, pas en yen japonais ni en mark allemand, avec aucune autre devise. Bennett obtint ensuite un poste privilégié chez Exxon. En retour et depuis ce moment, les Saoudiens ont obtenu d’importantes garanties et des équipements militaires. Depuis ce jour, en dépit de grands efforts des pays importateurs, le pétrole est vendu sur les marchés mondiaux en dollars et sa cotation est du ressort de Wall Street par le biais du contrôle des dérivés ou des marchés à terme comme Intercontinental Exchange ou ICE de Londres, la bourse de marchandises NYMEX de New York, ou Dubai Mercantile Exchange, qui fixe les prix standards du brut arabe. Tous appartiennent à un groupe très soudé de banques de Wall Street – Goldman Sachs, JP MorganChase, Citigroup et d’autres. À l’époque, le Secrétaire d’État Henry Kissinger aurait déclaré : « Si vous contrôlez le pétrole, vous contrôlez toutes les nations. » Le pétrole est au cœur du Système Dollar depuis 1945.

L’importance du standard pétrolier russe

Le prix du pétrole russe exporté est fixé de nos jours par le standard Brent négocié à Londres et à New York. Avec le lancement du standard commercial russe, cette situation est censée changer, sans doute très dramatiquement. La nouvelle transaction de brut russe en roubles, et non en dollars, se négociera au St. Petersburg International Mercantile Exchange (SPIMEX).

Actuellement, le standard Brent ne sert pas seulement à fixer le prix du pétrole brut russe. Il sert d’étalon à plus des deux tiers de toutes les exportations pétrolières mondiales. Le problème est que la production en mer du Nord diminue au point de ne produire aujourd’hui qu’à peine un million de barils de mélange Brent, et qu’il fixe le prix de 67% de la totalité du pétrole négocié à l’international. Une fois qu’il sera accepté, il se pourrait que le négoce en rouble russe amenuise grandement la demande de pétrole en dollars.

La Russie étant le plus grand producteur pétrolier mondial, la création d’un standard pétrolier russe indépendant du dollar est importante, pour ne pas en dire plus. En 2013, la Russie a produit 10,5 millions de barils par jour, soit légèrement plus que la Saoudie. Comme le gaz naturel est principalement utilisé en Russie, 75% de son pétrole peut être entièrement exporté. Achetant 3,5 millions de barils par jour, soit 80% du total des exportations de pétrole russe, l’Europe est de loin le principal client de la Russie. Le mélange Oural, un mélange de divers pétroles russes, est la principale qualité de pétrole exporté par la Russie. Les principaux clients européens sont l’Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne. Pour mettre en perspective le standard pétrolier russe, la production des autres grands fournisseurs de pétrole brut de l’Europe – Saoudie (890 000 barils par jour), Nigeria (810 000 bpj), Kazakhstan (580 000 bpj) et Libye (560 000 bpj) – reste à un niveau très inférieur à celui de la Russie. En outre, la production intérieure de pétrole brut décline rapidement en Europe. La production pétrolière européenne est tombée juste sous les 3 millions de barils par jour en 2013, à la suite de la baisse constante en mer du Nord, qui est la base du standard Brent.

La fin de l’hégémonie du dollar serait bonne pour les USA

La démarche des Russes visant à coter en roubles, au St. Petersburg International Mercantile Exchange, le prix des grandes exportations de pétrole vers les marchés mondiaux, en particulier vers l’Europe occidentale, et de plus en plus vers la Chine et l’Asie via l’oléoduc ESPO et d’autres itinéraires, n’est pas la seule mesure visant à réduire la dépendance du pétrole au dollar. Un jour ou l’autre au début de l’an prochain, la Chine, deuxième plus grand importateur de pétrole du monde, prévoit de lancer son propre standard pour ses transactions pétrolières. Comme le russe, le standard chinois ne sera pas libellé en dollars, mais en yuans chinois. Il sera coté au Shanghai International Energy Exchange.

Étape après étape, la Russie, la Chine et d’autres économies émergentes prennent des mesures pour réduire leur dépendance au dollar US, pour se « dé-dollariser ». Le pétrole est la plus importante matière première négociée dans le monde et son prix est presque entièrement fixé en dollars. Si cela cessait, le complexe militaro-industriel étasunien aurait un grave problème, il serait dans l’incapacité de faire ses guerres sans fin.

Peut-être que cela ouvrirait la porte à des idées plus pacifiques, du genre dépenser l’argent du contribuable pour reconstruire l’infrastructure économique de base horriblement détériorée aux USA. En 2013, l’American Society of Civil Engineers a estimé à 3600 milliards de dollars l’investissement dont aura besoin l’infrastructure de base au cours des cinq prochaines années. Son rapport indique qu’un pont sur neuf, plus de 70 000 dans tout le pays, est déficient. Près d’un tiers des routes principales sont en mauvais état. Seulement deux des quatorze principaux ports de la côte Est seront adaptés aux cargos de très gros tonnage qui viendront bientôt en passant à travers le canal de Panama nouvellement élargi. Il existe plus de 22 530 kilomètres de lignes ferroviaires à grande vitesse en fonctionnement dans le monde, mais aucune aux USA.

Les dépenses dans l’infrastructure de base seraient une source de bénéfice économique bien plus conséquente en matière de vrais emplois et de vraies recettes fiscales que les autres guerres sans fin de John McCain. L’investissement dans les infrastructures, comme je l’ai déjà écrit, a un effet multiplicateur de création de nouveaux marchés. L’infrastructure crée l’efficacité économique et des recettes fiscales rapportant environ onze fois chaque dollar investi, parce que l’économie tourne mieux.

Avec un très grand déclin du rôle de monnaie de réserve mondiale du dollar, si comme l’ont fait les Russes, les USA se recentraient sur la reconstruction de l’économie intérieure, au lieu de tout externaliser, cela pourrait rééquilibrer de façon importante un monde devenu fou de guerres. Paradoxalement, en privant Washington de la capacité de financer ses guerres futures par l’investissement dans la dette du Trésor US des Chinois, des Russes et des autres acheteurs d’obligations étrangères, la dé-dollarisation pourrait constituer une précieuse contribution à la véritable paix dans le monde. Ne serait-ce pas un agréable changement ?

F. William Engdahl

Traduction Petrus Lombard


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