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L’Ukraine sous ingérence du FMI sombre dans la récession

Auteur : CADTM (Belgique) | Editeur : Walt | Jeudi, 26 Nov. 2015 - 10h26

Qu’importe si les politiques du FMI disséminées partout sur la planète provoquent le chaos social comme en Grèce ou ailleurs, l’objectif reste le même : le renforcement du capital aux dépens des biens et services publics. L’institution tant redoutée pour s’être fortement impliquée dans la vague de privatisations désastreuses en Europe de l’Est lors de la transition post-communiste au début des années 1990 poursuit sa route en Ukraine. Dès le début de la crise, en novembre 2008, l’Ukraine figure parmi les premiers pays européens à tomber dans la nasse du FMI peu après l’Islande, la Géorgie et la Hongrie.

Suite à un puissant mouvement insurrectionnel aboutissant à la destitution du président ukrainien Viktor Ianoukovytch, le nouveau gouvernement transitoire mis en place le 27 février 2014, offre au FMI l’opportunité d’infliger une violente cure d’austérité au peuple ukrainien. Sans même attendre les élections, des négociations opaques avec ce gouvernement non élu aboutissent à l’adoption de politiques ultra libérales en échange d’un prêt du FMI. Pourtant rejeté en première lecture par les députés du Parlement ukrainien le 27 mars, ce programme impopulaire exigé par le FMI, est finalement adopté suite à de fébriles négociations.

Pour l’actuel Premier ministre Arseni Iatseniouk, il n’existerait aucune alternative aux diktats du FMI. Déjà en octobre 2008, lorsqu’il était président du Parlement, Iatseniouk déclarait à propos du programme de l’institution internationale basée à Washington : « Nous n’avons pas le choix. Ce n’est pas une question de politique, c’est une question vitale pour l’activité du pays ». Cinq ans et demi plus tard, en mars 2014, Arseni Iatseniouk, devenu Premier ministre du gouvernement transitoire, affirme à propos d’un imminent programme d’austérité du FMI : « Le gouvernement répondra à toutes les conditions fixées par le FMI, parce que nous n’avons pas d’autre choix ». Avec le nouveau gouvernement de l’oligarque et milliardaire Petro Porochenko, investi président d’Ukraine en juin 2014 avec la promesse de mettre un terme à la guerre en trois mois, peu de changements sont à espérer puisqu’il maintient Arseni Iatseniouk dans ses fonctions de Premier ministre. L’Ukraine poursuit sa route sur le monorail libéral des politiques d’austérité dictées par le FMI. Quel qu’en soit le prix à payer, aucune autre option n’est valable aux yeux du pouvoir en place. Le fameux dogme de Margaret Thatcher, « There is no Alternative » (TINA), règne.

Pourtant, tous les indicateurs économiques du pays sous le joug de l’institution créancière virent au rouge. Le produit intérieur brut (PIB) accuse une chute de 6,8 % en 2014 (celui-ci est passé de 180 milliards de dollars en 2013 à 130 milliards en 2014). En 2015, le PIB par habitant rejoint celui du Soudan, à près de 2 100 dollars (!). Le pays voit ses réserves en devises fondre de plus de moitié (-63 %) en 2014 (elles passent sous le seuil des 10 milliards de dollars pour la première fois depuis dix ans) afin de soutenir la monnaie nationale, la hryvnia, qui a fortement chuté face au dollar, et financer huit mois de campagne contre les rebelles prorusses dans l’est industriel du pays qui a fait plus de 8000 morts en 18 mois.

La dette publique de l’État a plus que doublé en moins de 2 ans et est passée de 480 milliards de hryvnias (la monnaie nationale, UAH) au 31 décembre 2013 à 1 185 milliards le 30 avril 2015, soit une progression d’environ 19 à 47,5 milliards d’euros au taux de change de début novembre 2015. Tout indique que le pronostic de la Banque nationale qui prévoit que la dette souveraine atteigne 95 % du PIB à la fin 2015 soit dépassé. L’imposition des sociétés est allégée tandis que celle sur les personnes physiques augmente lourdement. Selon le FMI, 9 des 15 plus grandes banques ont besoin d’être recapitalisées, ce qui sous-entend que le FMI plaiderait pour socialiser la dette privée des banques avec de l’argent frais des contribuables. Recette bien connue de nombreux autres peuples européens qui, bien conscients que cela se fait à leurs dépens, sont déjà laminés par de sévères politiques d’austérité.

L’ingérence du FMI

Ayant encore en mémoire la décision du gouvernement d’augmenter les salaires en 2009, ce qui avait amené le FMI à suspendre ses versements, l’institution exerce un contrôle minutieux des dépenses de l’État. Le budget, dont l’approbation avant la fin de l’année 2014 était l’une des conditions posées par le FMI pour l’octroi de sa prochaine tranche d’aide, a été adopté en urgence le 29 décembre 2014 par le Parlement ukrainien. Celui-ci multiplie quasiment par 5 les crédits Défense et Sécurité à près de 100 milliards de hryvnias (3,8 milliards d’euros), soit 5 % du PIB et 14,3 % des dépenses pour 2015. « Un niveau sans précédent » selon le Premier ministre Arseni Iatseniouk. Alors que dans le même temps, les allocations sociales ou le budget de la Science et de l’Éducation subissent des coupes sévères, ce budget Sécurité comprend la construction sur trois ans d’un mur de près de 2000 kilomètres ponctué de miradors à la frontière russo-ukrainienne qui coûterait à l’Ukraine environ 4 milliards de hryvnias (200 millions de dollars).

Conformément aux vœux du FMI, et avec la privatisation en toile de fond, le gouvernement a multiplié par trois les tarifs du gaz et par six ceux du chauffage pour la population à partir d’avril 2015. Les tarifs de l’eau chaude et de l’électricité ont doublé. La lettre d’intention du gouvernement ukrainien adressée au FMI le 21 juillet 2015 pour satisfaire les exigences de l’institution parle de 285 % d’augmentation des prix du gaz (!).

Une restructuration qui permet de poursuivre l’asservissement par la dette

Au terme de cinq mois de négociations, les principaux créanciers privés de l’Ukraine (PIMCO, Blackrock, Fidelity, Stone Harbor…), regroupés au sein d’un comité mené par le fonds d’investissement Franklin Templeton, ont obtenu un accord avec Kiev pour restructurer leur dette. L’accord obtenu fin août 2015 prévoit l’effacement de 20 % de la dette due au secteur privé (qui s’élève à 18 milliards de dollars), soit environ 3,6 milliards de dollars, et un allongement de quatre ans de la durée du remboursement de 11,5 milliards de dollars. Franklin Templeton, détenteur d’environ 6,5 milliards de dollars de créances (un tiers des euro-obligations ukrainiennes), a passé un contrat avec le fonds d’investissement Blackstone pour conseiller ce groupe de créanciers privés lors des négociations de restructuration de la dette avec Kiev. Blackstone, responsable en Espagne de spéculations immobilières et d’expulsions de logements pour non-paiement, est bien connu en Grèce puisqu’il conseillait déjà ses créanciers privés en 2012. Il divulgue donc ses conseils aux mêmes créanciers privés face à d’autres pays débiteurs comme l’Ukraine. De l’autre côté, l’Ukraine, comme la Grèce il y a quelques années, est représentée par la banque Lazard lors de ces négociations sur sa dette. Autrement dit, l’Ukraine se retrouve coincée entre les mêmes acteurs avides de profits qui ont enfoncé la Grèce dans une crise sans précédent : d’un côté Lazard qui a – sans doute bien mal – conseillé la Grèce et de l’autre, le fonds d’investissements Blackstone, qui a si bien représenté les créanciers en Grèce. On prend les mêmes et on recommence ?

« Les paramètres annoncés de l’accord vont aider à rétablir la viabilité de la dette et avec les efforts de réformes entreprises par les autorités, permettront en substance d’atteindre les objectifs fixés par le programme soutenu par le FMI », indiquait fin août 2015 la directrice générale du FMI, Mme Lagarde. Dans un autre communiqué, le secrétaire américain au Trésor Jack Lew a salué l’accord qui « va aider à améliorer les finances publiques ukrainiennes et fournir aux autorités une marge de manœuvre pour exécuter leur programme ambitieux de réformes (…) soutenu de tout cœur par les États-Unis ». On ne peut être plus clair quant à la volonté affirmée du FMI et de son actionnaire majoritaire, les États-Unis : l’allègement de la dette, ridicule au regard des nouveaux crédits à venir, n’intervient que pour permettre la poursuite des remboursements avec intérêts et l’application des politiques capitalistes. Si les oligarques se portent bien, le peuple ukrainien n’est pas sorti de la crise.

D’autre part, la Russie exige le remboursement de 3 milliards de dollars (qui constitue la 1re tranche versée en décembre 2013 d’un accord de prêt de 15 milliards de dollars de Poutine à l’ex président Yanukovitch) arrivant à échéance le 20 décembre 2015. Mais la Russie qui n’a pas de droit de veto au FMI (elle ne détient que 2,39 % des voix au sein de l’institution), aura du mal à se faire entendre sur ces euro-obligations qui sont soumises à la loi britannique… D’ailleurs le régime de Poutine, qui, dans un premier temps, a refusé de participer à la restructuration de la dette privée menée par Franklin Templeton que Kiev a finalement obtenue, propose le rééchelonnement des remboursements par tranches de 1 milliard sur les 3 prochaines années à partir de 2016 alors que le FMI proposait de reporter la totalité du paiement d’un an.

Une nouvelle mission du FMI a commencé à travailler à Kiev le 12 novembre 2015 pour reprendre les discussions et évaluer les avancées des contre-réformes dictées par le Fonds pour l’octroi d’une nouvelle tranche de crédit à Kiev. La troisième et la quatrième tranche de crédit d’un prêt de 17,5 milliards de dollars du FMI, chacune étant de 1,7 milliard de dollars étaient alors restées en suspens en attendant les élections régionales du 25 octobre 2015. Par ailleurs, le FMI souhaite urgemment modifier ses propres règles afin de pouvoir poursuivre son plan d’aide à l’Ukraine même si Kiev ne rembourse pas sa dette envers Moscou. En effet, selon ses propres statuts, l’institution n’est pas autorisée à prêter à un pays membre si celui-ci fait défaut sur sa dette. Le FMI, contrôlé depuis sa création par les États-Unis, exige une libéralisation effrénée de l’Ukraine, même si celle-ci ressemble plus à une véritable descente aux enfers.

Comme le réclamaient les participants au séminaire international, « Crise économique ou crise du néolibéralisme ? » réalisé à l’Université Polytechnique de Kiev le 7 novembre 2015 avec la participation du CADTM, il est plus que temps de démarrer une initiative d’audit citoyen de la dette ukrainienne et de mener la bataille pour mettre fin au paiement d’une dette largement illégitime, illégale, odieuse et insoutenable.

 

Jérôme Duval


- Source : CADTM (Belgique)

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