Giulietto Chiesa : Une Europe schizophrénique aux ordres des USA dans un G7 sans Poutine (Vidéo)
Alors que le G7 se tient en Allemagne sans Vladimir Poutine qui n’est pas invité, le journaliste italien Giulietto Chiesa commente la situation en Europe et les manoeuvres américaines pour déclencher ou relancer de nouveaux conflits au coeur même de l’Europe, le tout avec le consentement apparent de tous les principaux dirigeants européens.
Transcription de la vidéo :
Nous assistons actuellement à un G7 en Allemagne totalement défensif et même par certains aspects, schizophrénique.
[Les dirigeants occidentaux semblent] inquiets d’un possible et imminent succès de la politique de Poutine ; ce dernier n’est d’ailleurs pas présent, il sera bientôt en Italie, mais il n’est pas en Allemagne.
Pourtant, cet Occident qui parait si fort en réalité a peur des événements. Comme s’ils craignaient que Poutine parvienne à séparer l’Europe des États-Unis. Le fameux quotidien New York Times nous parle d’un gigantesque effort politico-diplomatique du Kremlin et de Poutine lui-même, à travers de l’argent - on ne sait pas bien lequel, peut-être parle-t-il de la FIFA -, de l’idéologie, idem, aucune idéologie ne nous vient de Russie, de désinformation et de propagande, ce qui est assez comique de la part d’un Occident passé maitre en matière de propagande, et de la diffusion d’une vision hollywoodienne du monde. Et tout d’un coup, on dirait que l’Occident craint la puissance de désinformation et de propagande russe, qui n’a pourtant pas les moyens de pénétrer en Occident, ou très peu. Deux Obama sont arrivés [en Allemagne] dans ce contexte schizophrénique : le premier est celui qui voudrait (mais ne peut plus) rouvrir le dialogue avec Moscou. Il avait envoyé Kerry à Sochi avant qu’il ne se casse le fémur à vélo, pour parler avec Poutine, après l’avoir couvert d’insultes pendant un an. Il voudrait bien, mais l’autre Obama, qui compte bien plus, est celui au service des néoconservateurs américains, ceux qui commandent désormais à Washington, au Sénat, les Républicains, et le Tea-Party.
Madame Merkel et Hollande ont embrassé le premier des deux Obama, celui conciliant. Et Renzi a fait de même. Mais le deuxième Obama les a vite refroidis, dès le 1er jour. Obama est évidemment venu avec une marge de manoeuvre très limitée. Il a d’ailleurs reproché à l’Italie son manque d’enthousiasme pour les sanctions [contre la Russie]. L’Italie a été la pire exécutrice des ordres de Washington, et nos échanges avec la Russie ont diminué moins que ceux des autres pays européens, et beaucoup moins que celui des USA, comme l’a rappelé Obama.
Mais les vassaux doivent obéir au maitre, lequel peut parfois prendre certaines libertés. C’est comme ça. À tous les autres, y compris à Merkel, il a dit qu’il fallait réagir ensemble à l’agression russe contre l’Ukraine. Tous se sont mis en file indienne, aux ordres d’Obama, sans exception. Un autre aspect de cette schizophrénie, qui n’est sans doute qu’apparente. En effet, ils ont surement dit à Obama que deux autres situations de guerre se développent en Europe, à cause de l’Amérique, son Amérique, qui n’est plus vraiment sienne d’ailleurs. C’est bien elle qui est derrière tout ça. L’un se passe en Macédoine, la révolution colorée qui a déjà commencé, sous couverture, pour l’instant limitée, d’agression militaire depuis le Kosovo, et avec le début de la construction de la nouvelle "Grande Albanie" qui devrait réunir l’Albanie, le Kosovo, et une partie de la Macédoine.
Les frontières au centre de l’Europe éclatent, de long de la Serbie, et nous avons là une poudrière qui n’attend que cela pour exploser. Et l’autre foyer de conflits qui évolue très rapidement, lui aussi organisé par les USA, est le prochain blocus total de la République de Transnitrie. Personne ne sait de quoi je parle. La Transnitrie est une petite république d’un 1/2 million d’habitants, située le long du fleuve Dnister, avec d’un côté la Moldavie, et de l’autre l’Ukraine. Il s’y passe des choses dont évidemment la presse occidentale ne parle absolument pas, mais qui sont pourtant au coeur du problème, puisqu’il s’agit de la nomination de Mikheil Saakachvili, l’ancien président de la Géorgie, comme gouverneur de la région d’Odessa. Rendez-vous compte. L’ex-président de la Géorgie, battu par les Russes en 2007, devient président de la région d’Odessa, juste à la frontière de la Transnitrie.
Et ce n’est qu’un aspect. Je rappelle que Saakachvili est un agent des États-Unis, au sens propre du terme. Il l’était comme président, il l’est toujours maintenant, comme envoyé de Poroshenko. Mais, comme on le voit, l’opération est bien plus vaste. La Rada, le parlement ukrainien, a approuvé le 21 mai dernier, la dénonciation de cinq accords militaires avec la Russie, dont un qui garantissait le passage des troupes russes, qui sont stationnées en Transnitrie pour maintenir la paix entre cette république et la Moldavie. Cet accord existe depuis plusieurs années avec la bénédiction de l’ONU, car les troupes russes y constituent une force d’interposition.
Et donc, à partir de maintenant, la Russie ne pourra plus ramener ni envoyer de troupes, dans une zone qui, même si elle n’est pas reconnue internationalement, héberge 150 000 citoyens russes, avec passeport russe, etc. On voit bien que la Russie a désormais un problème insoluble pacifiquement, puisqu’il faudrait faire un pont aérien, en cas de réel blocage total des frontières. La République de Transnitrie n’a pas de débouchés sur la mer ou ailleurs, et est entourée par deux pays ennemis, la Moldavie qui est un protectorat de l’Union européenne, et l’Ukraine qui est un protectorat des États-Unis. Voilà pour le cadre global. Tout ceci est l’oeuvre de l’Amérique d’Obama, qui vient nous dire de façon schizophrénique qu’il faut réagir à l’agression russe. L’Ukraine est en train de s’écrouler, aux plans économiques et politiques, tandis que les néocons et le Pentagone mobilisent les pays de ce que j’appellerais le croissant de lune non dénazifié en Europe, à savoir, la Pologne, et des trois républiques baltes, auxquels vient s’ajouter ce nouvel allié qu’est l’Ukraine nazie.
Poutine est donc absent, en Allemagne. Mais il vient à Rome, invité par Renzi, qui lui aussi voudrait, sans le pouvoir, être un allié fidèle d’Obama. Et Gentiloni, le ministre italien des Affaires étrangères, répète aujourd’hui dans le Corriere della Sera, en réponse à l’interview de Poutine faite la veille, par de misérables rameaux d’olivier, en affirmant, à juste titre d’ailleurs, que l’Ukraine n’entrera pas dans l’OTAN. Je ne sais pas qui décidera, sans doute pas Gentiloni, mais en tout cas l’Italie fait savoir qu’elle n’apprécierait pas l’arrivée de l’Ukraine dans l’OTAN. En même temps, ce même Gentiloni défend l’OTAN de façon assez comique en disant que Poutine a tort de parler de comportement agressif de l’OTAN, puisque celle-ci ne fait que défendre ses frontières. Le problème, que Gentiloni oublie, est que l’OTAN n’a cessé d’étendre ses frontières vers la Russie et contre la Russie.
Alors certes, elle défend ses frontières, mais de façon assez agressive, justement. Et Gentiloni a aussi déclaré qu’il ne fallait pas avoir peur de l’OTAN puisque c’est par définition une organisation défensive. Ce que Gentiloni oublie, lui qui n’était d’ailleurs pas, durant ces années, ministre de la Défense, ni ministre des Affaires étrangères, c’est que l’OTAN n’est plus, depuis longtemps, une alliance défensive. Le contingent international envoyé en Afghanistan est depuis longtemps sous le commandement de l’OTAN. Rien de défensif là-dedans, cela ne se produit même pas sur le territoire d’un pays membre, mais bien hors de ses territoires. Comme on dirait à Florence, ce G7 est plein d’ironie. Sauf que tout indique une reprise rapide des hostilités en Ukraine, en Transnitrie et sans doute en Macédoine.
En somme, l’an dernier Mme Merkel s’imaginait devenir la Reine de l’Europe. Son optimisme lui a sans doute fait tourner la tête. Profitant de Maïdan, Mme Merkel pensait devenir la patronne de l’Est européen. Mais les vrais chefs d’orchestre derrière Maïdan, ce sont Mme Nuland et les néocons américains, qui ont entrainé tout le monde dans le conflit contre la Russie.
Pauvre Merkel, et pauvre Obama. La vraie question est maintenant de savoir qui arrêtera les walkyries américaines que sont Victoria Nuland et Hillary Clinton. En effet, dans 1 an et demi, ce sont elles qui dirigeront la politique américaine. Que Dieu nous vienne en aide, durant notre inexorable voyage autour du soleil.
- Source : Giulietto Chiesa-IlfattoQuotidiano.fr