Loi sur le renseignement : l'affaire Sid Ahmed Ghlam qui tombe à pic
Ainsi, donc, si l'on en croit les très évitables chaînes télévisées d'information en continu, auxquelles il faut ajouter, en l'occurrence, France-Info d'ordinaire mieux inspirée, la France aurait évité une nouvelle vague d'attentats meurtriers, et cela, bien sûr, grâce au sang-froid du premier ministre, dont la propension à sauter dans tous les trains en marche pour justifier un état ultra-sécuritaire confine à un mimétisme saisissant avec Nicolas Sarkozy. Champ libre lui a été laissé par François Hollande, « Monsieur Un-discours-par-jour », qui feint de regarder d'autres horizons pour tenter d'oublier sa propre déconfiture.
Le suspect arrêté, Sid Ahmed Ghlam, aurait laissé « un véritable arsenal » dans son véhicule et son appartement. La débauche de détails laisse un peu sceptique et rappelle étrangement ceux donnés par la presse allemande (de l'ouest à l'époque) pour justifier le suicide de deux des membres de la bande à Baader en prison, au milieu des années 1970. Dans les cellules respectives la police allemande aurait découvert aussi « un véritable arsenal », pour un peu, comme Le Canard Enchaîné avait ironisé à l'époque, on aurait retrouvé un AMX 30 dans ces mêmes cellules. Si l'on veut bien admettre que le suspect en question est un égaré socio-politique, qui, dans l'immédiat, relève du droit commun, comment peut-on affirmer avec certitude que cet individu s'apprêtait à organiser des massacres de grande envergure dans des églises et qu'il était une menace pour l'ordre public? A lire à ce sujet l'excellent billet de l'édition Prendre le Droit au Sérieux, Polices &Co.
Si l'on en croit encore les maîtres en manipulation d'émotions qui occupent actuellement le pouvoir exécutif, il faudrait être éternellement reconnaissant à la police et aux services de surveillance intérieure et extérieure pour avoir déjoué une sérieuse menace. Mais, en vérité, c'est au hasard qu'il faut montrer de la gratitude. En effet, ils ne sont généralement pas nombreux « les dangereux terroristes » qui se blessent eux-mêmes, appellent le Samu, et laissent derrière eux des traces dignes d'un authentique jeu de piste. En conséquence pratiquer l'auto-glorification avec de telles bases conduit à s'interroger sur l'équilibre mental de ceux qui se lancent dans une telle exploitation. Jusqu'à plus ample informer, les véritables menaces sur les libertés et la société viennent de la loi sur le renseignement concoctée par le trio Hollande-Valls-Cazeneuve, une conclusion évidente qui n'a pas encore atteint les pauvres — on serait même tenté de dire pobrecitos — perroquets du PAF.
Commentaire : Complétons ce qui précède par ce qui suit :
Un attentat a-t-il été déjoué ? Ou lorsque la réalité rejoint la fiction
La presse se fait largement l'écho des envolées du Premier Ministre et du Ministre de l'Intérieur selon lesquelles nous aurions échappé de peu à un carnage perpétré dans une église par Sid Ahmed Ghlam.
En clair, elle joue à se faire peur et à nous faire peur en relayant leur propos.
Mais sur quoi reposent ces informations ? Sur un dossier auquel personne, hors mis les fonctionnaires de police et le Procureur de la République, n'a encore accès. En tout cas, sur une enquête qui n'a encore rien démontré.
Aurait-il reçu des messages de Syrie lui enjoignant de commettre ces actes et quand bien même aurait-on retrouvé des armes à son domicile ou dans sa voiture que cela ne changerait rien.
Car il y a tout de même un gouffre entre le commencement d'exécution, qui caractérise la tentative, et le seul projet même concrétisé par des actes préparatoires, qui ne peut que qualifier le délit d'association de malfaiteurs.
Un attentat aurait été sans doute déjoué s'il avait été interpellé armé sur le parvis d'une église à l'heure de la sortie de la messe, dans la mesure où son intention aurait, alors, été matérialisée par des actes univoques, donc susceptibles d'une seule interprétation. Encore que la discussion soit encore possible à ce stade.
Le journal Libération, dans son édition du 23 avril, ne s'y est pas trompé en titrant, avec le conditionnel qui sied : « Le suspect de Villejuif aurait projeté d'attaquer des églises ». L'aurait-il fait ? Se serait-il ravisé ? Peut-être. On ne le saura jamais et c'est heureux.
Pourquoi alors cette dramatisation, cette extrapolation ? Pour permettre l'adoption plus aisée encore de la loi renseignement ? Sans doute. Pour enliser le peuple dans ce sentiment délétère d'insécurité et s'assurer plus encore de sa soumission ? Probablement.
Il est certain en revanche que lorsqu'une société en est à tenir pour établi ce qui n'est encore qu'un dessein, situation prophétisée par Steven Spielberg dans son film 'Minority Report', elle risque bien de verser irrémédiablement dans l'arbitraire et, finalement, le chaos (The Lawyer. Lu ici).
- Source : Jean-Louis Legalery-The Lawyer