Les banques rachètent des forêts et des espaces protégés… pour faire de l’argent
De plus en plus de sociétés financières et d’assurances attribuent un coût à la nature, voulant donner, par exemple, une valeur marchande à la forêt d’Amazonie. Des banques et des fonds d’investissements profitent de la raréfaction des ressources et de la disparition programmée de certaines espèces animales pour acheter de véritables réserves qu’ils transforment en produits boursiers potentiellement spéculatifs. Interrogeant des financiers, experts et penseurs, les réalisateurs ont enquêté sur ce système qui soulève des questions morales et pourrait mener à une nouvelle crise financière.
Nature, le nouvel eldorado de la finance
La nature n’a pas de prix… Eh bien, détrompez-vous, et ruez-vous sur le captivant documentaire « Nature, nouvel eldorado de la finance » d’Arte, disponible ici. Ce film de Sandrine Feydel et Denis Delestrac nous explique, façon thriller, comment la finance et les banques sont en train de mettre petit à petit le grappin sur les ressources naturelles et la protection de la biodiversité.
But — affiché — de la manœuvre ? « Sauver la planète » en adoptant — là où la volonté politique a échoué — une logique de marché.
Concrètement, ça donne quoi ? Des « biobanques » qui achètent des forêts primaires, ou des parcelles peuplées d’espèces menacées, et vendent aux entreprises des « actions marécages », « cactus », « chien de prairie » ou « lézard » ! En clair : nombre d’industriels achètent le droit de polluer, en se donnant bonne conscience. Exemple : la Malua Bank, détentrice d’une jungle de 34 M$ à Bornéo, vend ses « actions jungle » aux producteurs d’huile de palme. Mais en quoi faire payer ceux qui détruisent la jungle sauve-t-il les grands singes ?
Jamais manichéen
Le lien entre les deux semble quelque peu tortueux. Pablo Solon, ancien ambassadeur de Bolivie à l’ONU, démonte point par point ces « permis de polluer ». « C’est une logique perverse, car celui qui a de l’argent peut acheter des certificats et détruire la nature. » Jamais manichéen, et laissant chaque camp développer sa pensée, le film donne aussi la parole à Pavan Sukhdev, gourou planétaire de cette économie de la biodiversité. Calculer la valeur de la nature est devenu le combat de sa vie. Et l’on voit cet ancien banquier estimer — en public — le prix de la barrière de corail — 600 000 $ par km2 (étant donné qu’« elle fournit de la nourriture à un demi-milliard de personnes »). Visiblement, son discours plaît à l’ONU, puisque le représentant pour l’Environnement l’en a nommé ambassadeur. Un ex-banquier pour incarner la protection de l’environnement au nom de toutes les nations ? L’idée peut surprendre, ou inquiéter. Car, comme le dit Pablo Solon, « la croissance a une limite, qui est la capacité de régénération de notre planète Terre, et nous l’avons déjà dépassée ».
La dernière fois qu’il y a eu une crise de biodiversité aussi violente, c’était il y a 65 millions d’années lors de la disparition des dinosaures. Imaginer qu’en se triturant les méninges pour donner un prix — 240 Mds$ — à la pluie amazonienne (qui conditionne l’agriculture sud-américaine) on pourrait régler le problème… est-ce bien raisonnable ?
- Source : Laurent Freeman