Comment les États-Unis font entrer de nouveaux membres dans l’OTAN : subversion, puis coup d’État, puis nettoyage ethnique
Voici le schéma qui a été suivi depuis la fin de l’Union soviétique, en 1991, lorsque l’excuse « anti-communiste » étayant l’impérialisme global de l’après-guerre n’était plus invocable (comme tel avait été le cas en Corée, et au Vietnam, et au Guatemala, et en Iran, et au Chili, et dans de nombreux autres pays) avant 1991. Mais le schéma de subversion puis de conquête fut créé en 1965 en Indonésie (et peut-être avant cela, dans d’autres « républiques bananières ») ; et nous allons donc commencer ici en décrivant ce premier jalon, en Indonésie, qui établit ce qui est devenu une routine utilisée par le gouvernement étasunien après 1991 :
L’extermination, entre octobre 1965 et mars 1966, de 500 000 à 2 000 000 de soutiens indonésiens du communisme et de tout autre parti de gauche, réalisée au travers du gouvernement indonésien — elle a ciblé également des soutiens du dirigeant indonésien, le général Sukarno, qui avait des soutiens de gauche — fut sans doute conçue et ordonnée par le président étasunien Lyndon Johnson, pour le compte des propriétaires des méga-corporations qui soutenaient le Parti démocrate. Et sans doute LBJ travailla-t-il à ce « nettoyage ethnique » bien avant qu’il fût lancé. Dès le mois de mars 1965, l’entourage de Johnson avait traité Sukarno au vitriol, qui faisait du bruit avec une réforme agraire et une possible nationalisation des ressources naturelles. Par exemple, le 18 mars 1965, « 118. Mémorandum du sous-secrétaire d’État (Ball) au président Johnson » commençait comme suit : « Nos relations avec l’Indonésie sont sur le point de s’effondrer. Sukarno se tourne de plus en plus vers le PKI communiste. L’Armée, qui a constitué traditionnellement la force compensatrice, a ses propres problèmes de cohésion interne. Au cours des derniers jours, la situation s’est faite de plus en plus inquiétante. Non seulement la gestion des usines de caoutchouc étasuniennes a-t-elle été confisquée, mais le risque plane d’une saisie imminente des entreprises pétrolières étasuniennes ».
Le coup d’État démarra le 1er octobre 1965 ; le général Suharto fut installé pour prendre la place de Sukarno, et la campagne d’extermination commença peu après. Mais il ne savait pas qui massacrer ; aussi, comme l’a excellemment résumé le livre The Jakarta Method: Washington’s Anticommunist Crusade and the Mass Murder Program that Shaped Our World écrit par Vincent Bevin, « Les États-Unis ont livré des armes, de l’entraînement, des équipements de communication et de listes de gauchistes avérés et supposés qu’il fallait tuer. Les plantations détenues par les États-Unis ont produit des listes d’employés ‘à problème’. Les dirigeants étasuniens envoyèrent de manière répétée des câbles au dirigeant de la boucherie, le général Suharto, pour qu’il tuât les gauchistes plus rapidement ». On trouve d’autres bonnes revues de ce livre ici et ici. Cependant, comme les autres ouvrages publiés sur cette campagne d’extermination, le point de focus de Bevin n’est pas les organisateurs qui ont planifié et corrompu pour le réaliser (les bénéficiaires du projet), mais plutôt les auteurs sur place et leurs victimes. Il ne nomme pas les bénéficiaires ultimes du coup d’État et de l’extermination, ni ne les identifie. Ce sont les États-Unis qui ont fait cela, en conjonction avec d’autres membres du gang étasunien, surtout en Europe. Le Juge du Tribunal Populaire International a affirmé que « les États-Unis d’Amérique, le Royaume-Uni et l’Australie ont tous été complices à divers niveaux dans la commission de ces crimes contre l’humanité ». Il s’est agi d’une opération rhodésiste, pratiquée au bénéfice des aristocraties étasunienne et alliées (surtout hollandaise).
Ensuite, dans l’ère post-soviétique, l’objectif de l’Ukraine et du gouvernement étasunien est d’installer ses missiles à tête nucléaire dans cette nation la plus proche de Moscou parmi toutes (à peine 500 km), en faisant entrer l’Ukraine dans l’OTAN. Voici la séquence d’événements :
Entre 2003 et 2009, 20 % environ des Ukrainiens voulaient devenir membres de l’OTAN, et 55 % s’y opposaient. En 2010, l’institut de sondage Gallup a établi que si 17 % des Ukrainiens considéraient l’OTAN comme une « protection pour votre pays », 40 % exprimaient qu’il s’agissait d’« une menace pour votre pays ». Les Ukrainiens voyaient surtout l’OTAN comme en ennemi, pas un ami. Mais après le coup d’État mené en 2014 par Obama en Ukraine, « l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN recevait 53,4% des voix, cependant qu’un tiers des Ukrainiens (33,6%) s’y opposaient. » Cependant, après cela, le soutien s’est établi en moyenne autour des 45 % — encore le double de ce qu’il avait été avant le coup d’État. L’opinion ukrainienne a basculé en faveur de cette adhésion à l’OTAN parce que les milliardaires qui financent les candidats politiques qui gagnent et qui contrôlent les médias aux États-Unis et en Ukraine avaient mené une campagne de propagande massive sur le sujet après le coup d’État, et les gouvernements et médias qui se sont mis à décrire la Russie comme ennemie de l’Ukraine, et à décrire les États-Unis, l’UE et l’OTAN (qui, avant le coup d’État, était considérée par les Ukrainiens comme leur ennemie) comme les amis de l’Ukraine. Ainsi, les Ukrainiens, après le coup d’État étasunien, se sont mis à vouloir rallier l’UE, et l’OTAN.
Juste après le coup d’État d’Obama qui s’est emparé de l’Ukraine, le nouveau gouvernement qu’il y a installé s’est mis rapidement à pratiquer un nettoyage ethnique pour se débarrasser par millions d’Ukrainiens qui avaient voté pour le président ukrainien favorable à la neutralité (ni pro-étasunien, ni pro-russe) qu’Obama avait fait tomber, afin de permettre au nouveau régime ukrainien, favorable aux États-Unis, de se maintenir au pouvoir au travers d’élections « démocratiques », où tous les candidats seraient anti-russes. Et on en est arrivé à l’Ukraine d’aujourd’hui.
Cela a démontré l’extrême efficacité de la propagande menée par le régime après le coup d’État, préparée et mise en œuvre dans les médias en 2014, et encore intensifiée après le changement de régime. Le régime de junte étasunien et ses médias d’« information » ont arrosé l’opinion publique de propagande anti-russe après le coup, si bien que la nation, un ou deux ans à peine après avoir considéré l’OTAN comme son ennemi, jusqu’en 2013, se mit à considérer cette organisation comme sa protectrice, contre le pays que la majorité des Ukrainiens considéraient encore 1 ou 2 ans auparavant comme leur protecteur. (Bien sûr, après que la Russie a fini par répondre à la saisie de l’Ukraine par les États-Unis et ont envahi l’Ukraine en 2022, de vastes majorités d’Ukrainiens considèrent désormais le pays envahisseur, la Russie, comme leur ennemi).
La clé est ici le fait qu’en s’emparant d’un pays — tout d’abord par la subversion (qui, dans le cas de l’Ukraine, a été désignée sous le nom de « Révolution Orange » et a installé le président Viktor Yushchenko pro-étasunien en 2004) — puis au travers d’un coup d’État pur et simple pour terminer le travail ; il est donc possible de retourner effectivement complètement l’opinion publique. En 1922, l’analyste politique Walter Lippman a introduit la phrase « fabrique du consentement » en référence à la manière dont l’aristocratie des temps modernes contrôle son public au travers de la détention, du financement et de la mise aux ordres des médias, des think-tanks et des universités par ces aristocrates (qui sont désormais les milliardaires d’un pays), en cet âge d’« experts » désignés sur les affaires publiques. C’est ainsi que sont fabriquées les opinions publiques, pour penser ce que cette aristocratie (les milliardaires de la nation) veut qu’elles pensent. La séquence d’événements en Ukraine est un exemple excellent de ce dessein.
On trouve un autre exemple de ce fonctionnement avec ce qui est en cours de préparation en Moldavie. Le 6 décembre 2022, l’agence de presse russe Tass a titré « Une majorité des Moldaves considèrent la Russie comme meilleur partenaire du pays — sondage d’opinion » et indiqué que l’Institute of Marketing and Polls, en Moldavie (une organisation de sondage qui travaille principalement pour les corporations moldaves, et non les organes de presse, et qui a donc besoin de savoir ce que veulent les Moldaves), avait rapporté la veille à titre privé ses découvertes sur les opinions des Moldaves au sujet des relations internationales du pays. Tass a indiqué que :
La plupart des Moldaves considèrent la Russie comme meilleur partenaire de leur pays dans les sphères économiques, politiques et de sécurité, selon les résultats d’un sondage d’opinion auprès du public publié mardi par l’Institute of Marketing and Polls (IMAS).
« Pas moins de 38 % des sondés se sont exprimés en faveur d’un partenariat avec la Russie dans la sphère économique, 30 % ont opté pour l’Union européenne, et 12 % — pour la Roumanie. Seuls 4 % ont choisi un partenariat avec les États-Unis, et 2 % ont préféré la Chine d’une part et l’OTAN d’autre part. Dans la sphère politique, la Russie a été choisie par 37 % des sondés, l’Union européenne par 29 %, la Roumanie par 11 %, les États-Unis par 5 %, la Chine par 1 %, et l’OTAN par 3 %. Dans la sphère de la sécurité, 36 % des sondés ont affirmé considérer la Russie comme partenaire fiable. L’Union européenne a obtenu 21 % des opinions, la Roumanie et l’OTAN 10 % chacune, les États-Unis 5 %, et la Chine 1 % » ont affirmé les sondeurs.
Le sondage a interrogé 1100 personnes sur 90 lieux différents, et a été mené entre le 10 et le 29 novembre. La marge d’erreur est établie à 3 %.
Selon les résultats du sondage, 62 % des répondants estiment que la Moldavie devrait nouer des relations étroites avec la Russie, 21 % veulent des relations neutres, 10 % veulent une distanciation des relations, et seulement 5 % se sont exprimés pour un durcissement des relations avec la Russie.
Le 21 janvier 2023, RT News, le média russe, a titré « La Moldavie envisage de rallier ‘une alliance plus vaste’ : sous la présidente Maia Sandu, le pays a mené une intégration plus poussée avec l’Occident ». Sandu est à la Moldavie ce que le président Viktor Yushchenko a été pour l’Ukraine — un agent clé de la subversion étasunienne de son pays, servant les intérêts de ses maîtres étasuniens. Elle faisait référence ou bien à l’UE, ou bien à l’OTAN, mais n’a désigné aucune des deux organisations, car elles sont toutes deux impopulaires en Moldavie, tout comme elles l’étaient en Ukraine avant le coup d’État réussi par les États-Unis en Ukraine en 2014.
Si elle parvient à ses fins, elle ne sera sans doute plus à la tête de son pays lorsque le coup d’État étasunien s’y produira, mais son mandat en Moldavie aura contribué à amener son pays jusqu’à ce coup d’État, et au nettoyage ethnique, et à la popularité de l’UE et de l’OTAN dans son pays, et peut-être également à se faire envahir par la Russie avant que la Moldavie ait été désignée candidate et acceptée dans ces organisations économiques et militaires anti-russes. À l’instar de Yushchenko, qui constitua un tremplin très important dans la destruction de l’Ukraine à partir de 2013, elle jouera un rôle pivot dans la destruction de la Moldavie.
Il est possible de manipuler les opinions publiques, et cela peut aller jusqu’à provoquer la destruction ultime d’un pays, au moyen non seulement de la tromperie, mais également de la subversion, suivie du coup d’État, suivi d’un nettoyage ethnique, suivie d’une invasion militaire de ce pays.
Le grand public ne tire aucun enseignement de l’histoire. C’est peut-être pour cela que l’histoire ne cesse de se répéter, comme elle le fait depuis des milliers d’années, même si les méthodes ont changé. On devrait enseigner la compréhension des schémas historiques dès le lycée, mais les aristocraties n’ont jamais voulu que cela soit enseigné à quelque degré que ce fût ; ainsi, jusqu’au niveau du doctorat, il s’agit d’un sujet particulièrement orphelin dans l’enseignement académique.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
- Source : Oriental Review (Russie)