En Suède, la résistance grandit contre la société sans cash
La Suède, qui préparait depuis des années la disparition du cash, a brusquement changé de cap. Elle a adopté cette année une loi obligeant les banques à « assurer l'approvisionnement d'un niveau suffisant de services pour obtenir de l'argent liquide ».
C'est l'histoire d'un pays qui est allé trop vite et qui s'est fait peur. Il y a encore peu, rien ne semblait arrêter la disparition du cash en Suède. Mis en place dès 2012 par les banques du pays, le service de paiement instantané électronique Swish a été adopté naturellement dans un pays confiant envers ses autorités, ouvert à l'innovation technologique et où l'accès à Internet est quasi-total.
L'application est venue renforcer un mouvement déjà bien entamé par l'usage généralisé de la carte bancaire, au point que même les enfants sont habitués à se passer d'espèces. Quatre transactions sur cinq sont ainsi réalisées de façon électronique, selon les chiffres de la banque centrale suédoise, la Riksbank. Pour les économistes, le pays était bien parti pour devenir totalement « cashless » d'ici à 2030. Mais il a brusquement fait machine arrière.
Le premier janvier dernier, Stockholm a adopté une nouvelle loi obligeant les banques suédoises à « assurer l'approvisionnement d'un niveau suffisant de services pour obtenir de l'argent liquide ». Cette loi vise en effet à protéger les plus précaires ainsi que les personnes n'ayant pas la possibilité d'accéder aux paiements numériques, qu'il s'agisse des handicapés ou de personnes vivant en zone très rurale, a alors défendu le gouvernement.
Trop vite, trop fort
Il faut dire que la disparition de l'argent liquide était particulièrement rapide dans le pays. En valeur, le montant de cash en circulation a en effet été divisé par deux entre 2007 et 2018. Et, alors qu'en 2010, 40 % des achats dans le commerce se réglaient en espèces, ce pourcentage est tombé à 15 % en 2016, selon la banque centrale suédoise. « Environ 60 % des agences bancaires de Suède n'ont plus de services pour distribuer des espèces, affirmait récemment dans la presse suédoise Niklas Arvidsson, de l'Institut royal de technologie de Stockholm et auteur du livre « Building a Cashless Society ».
Cette évolution n'était pas du goût de tous. Le mouvement populaire de réaction, baptisé « Kontantupproret » pour « rébellion en faveur du liquide », fait valoir depuis 2015 que les paiements électroniques ne sont pas adaptés aux personnes âgées, aux malvoyants, ou encore aux immigrants, et qu'ils participent à l'exclusion de cette population. D'autres ont alerté sur les risques de paralysie de la société suédoise en cas de cyberattaque ou de panne électrique généralisée. La Riksbank, elle-même, a commencé à s'interroger sur cette évolution dès 2017, en lançant un projet de monnaie numérique, l'e-krona, afin de garder le contrôle sur les paiements.
La Suède n'est pas la seule
La Suède n'est pas le seul pays à vouloir s'assurer que le cash ne disparaîtra pas malgré l'arrivée d'un grand nombre de nouveaux acteurs numériques dans le secteur du paiement. Les autorités britanniques se sont engagées à prendre des mesures similaires. La France est prudente.
« A la Banque de France, nous ne souhaitons pas privilégier un moyen de paiement par rapport à un autre, souligne Christophe Baud-Berthier, le directeur de l'activité fiduciaire. Nous nous devons d'assurer l'équilibre entre eux avec le même niveau de sécurité et d'accessibilité. Il ne faut pas oublier que nous avons un rôle d'inclusion et les espèces sont primordiales pour la partie la plus précaire de la population française qui est contrainte de gérer son argent à l'euro prêt ».
- Source : Les Echos