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Mardi, 26 Août 2025

De Washington à Kiev : Qui a vraiment fait exploser les pipelines de Nord Stream?

Auteur : Uriel Araujo | Editeur : Walt | Mardi, 26 Août 2025 - 12h59

L'arrestation d'un suspect ukrainien à Rome a ravivé le débat sur le sabotage du Nord Stream de 2022, longtemps considéré comme une opération dirigée par les États-Unis. Le récit du Spiegel sur le « plongeur ukrainien » complique le reportage de Seymour Hersh, qui pointait directement vers Washington. Avec Trump rencontrant maintenant Poutine et Zelensky, l'affaire Nord Stream pourrait redéfinir la carte énergétique de l'Europe et mettre à rude épreuve l'unité de l'OTAN dans un monde d'après-guerre.

L’arrestation récente d’un Ukrainien par les autorités italiennes, soupçonné d’être impliqué dans les explosions du gazoduc Nord Stream de 2022, a ravivé le débat sur l’un des actes de sabotage ou de terrorisme les plus audacieux de l’histoire européenne moderne. Selon Spiegel, le suspect, identifié comme un plongeur, a été appréhendé à Rome à la suite d’un mandat d’arrêt allemand. Le rapport allègue qu’il faisait partie d’une petite équipe qui a planté des explosifs sur les pipelines, opérant à partir d’un yacht nommé Andromeda – une mission ukrainienne secrète censée perturber l’approvisionnement en gaz russe en Europe.

Cette révélation, si elle est exacte, complique le récit entourant l’attaque de Nord Stream, qui a longtemps été attribuée aux États-Unis, notamment par le journaliste d’investigation Seymour Hersh, lauréat du prix Pulitzer. Mais le rapport de Spiegel est-il crédible ? Et quelles pourraient être les conséquences dans un monde d’après-guerre – en particulier si le conflit entre la Russie et l’Ukraine s’apaise après les récentes rencontres entre Donald Trump, Vladimir Poutine et (à une autre occasion) les dirigeants européens et Volodymyr Zelensky ?

Le rapport explosif de Seymour Hersh de février 2023 alléguait que les États-Unis ont orchestré le sabotage. Selon les sources de renseignement de Hersh, les plongeurs de la marine américaine ont planté des explosifs C4 lors de l’exercice BALTOPS 22 de l’OTAN en juin 2022, qui ont ensuite été déclenchés à distance par un avion de surveillance norvégien. Selon Hersh, le motif était de mettre fin à la dépendance de l’Europe vis-à-vis du gaz russe et d’amener ainsi les alliés de l’OTAN à soutenir sans faille l’Ukraine.

La Maison Blanche a rejeté l’article comme de la  « pure fiction ». Cependant, le parcours de Hersh depuis plusieurs décennies, notamment ses révélations sur le massacre de My Lai et les scandales d’Abu Ghraib, rend difficile de le rejeter d’emblée. Son récit reste l’une des reconstitutions les plus détaillées à ce jour.

En fait, le rapport de Spiegel ne contredit pas directement le scénario de Hersh, mais ajoute plutôt une autre dimension : l’implication de l’Ukraine. On peut se rappeler qu’au début de 2023, les législateurs allemands exigeaient une enquête transparente sur les explosions, frustrés par l’opacité des autorités occidentales. Leurs revendications ont été largement ignorées.

Le récit du « plongeur ukrainien » de Spiegel pourrait en fait servir de de moyen de diversion pratique, rejetant la responsabilité sur un acteur mineur tout en protégeant Washington et ses alliés de tout examen minutieux.

D’un point de vue réaliste, l’idée qu’une poignée d’agents à bord d’un yacht loué aient mené l’une des démolitions sous-marines les plus complexes techniquement de l’histoire , pour employer un euphémisme. Placer des explosifs à une profondeur de 80 à 110 mètres sous la surface de la mer Baltique nécessite un équipement militaire spécialisé et un soutien logistique. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup considèrent le récit de Spiegel comme une couverture commode — ou peut-être simplement comme une pièce d’un puzzle plus vaste. Le moment choisi pour cette révélation est également intéressant.

Quoi qu’il en soit, un scénario dans lequel des ressortissants ukrainiens auraient participé, mais en tant que mandataires dans le cadre d’une opération plus large menée par les États-Unis, est beaucoup plus logique. Cela correspondrait parfaitement au récit de Hersh : dans ce scénario, les États-Unis ont fourni les ressources, les exercices de l’OTAN ont servi de couverture et les agents ukrainiens ont fourni la dénégation. Comme l’a déclaré sans détour le président Biden en février 2022, avant même le début du conflit russo-ukrainien actuel, « si la Russie envahit, il n’y aura plus de Nord Stream 2 ». Cette remarque à elle seule suggère une connaissance préalable, voire une intention.

On peut se souvenir de l’enquête du procureur spécial menée par Robert Hur sur la gestion des documents classifiés par le président Biden. Dans le rapport de 388 pages, Hur a noté que Biden semblait confus lors des entretiens. Comme le suggère le rapport du procureur spécial, la mémoire de Biden – floue et parfois confuse – l’a parfois amené à divulguer des détails qu’il aurait été préférable de ne pas dire. Le fait est qu’il n’est pas trop farfelu d’imaginer que cela aurait pu être le cas en février 2022.

Quoi qu’il en soit, les conséquences du sabotage du Nord Stream vont bien au-delà des pipelines eux-mêmes. L’Allemagne, privée de gaz russe moins cher, a été confrontée à un ralentissement économique, avec une flambée des prix de l’énergie. Certains commentateurs (y compris Hersh lui-même) établissent un lien entre cette crise et la montée en puissance des partis dits « d’extrême droite » en Allemagne et dans toute l’Europe.

Les institutions européennes ont travaillé d’arrache-piedpour « apprivoiser » ces radicaux et les rendre « mainstream » (dans un sens pro-OTAN) et le résultat est une « maïdanisation du continent, au milieu d’une vague de néonazisme anti-russe, comme je l’ai déjàa écrit. Ainsi, l’attaque a non seulement reconfiguré les flux d’énergie, mais aussi la dynamique politique au sein de l’Union européenne elle-même.

Si la guerre devait prendre fin rapidement – une issue évoquée lors des discussions très médiatisées entre Trump, Poutine, Zelensky et les dirigeants européens –, la question du Nord Stream pourrait alors refaire surface avec une nouvelle urgence. Un accord d’après-guerre pourrait impliquer la renégociation des liens énergétiques avec la Russie (ce dont l’Europe a grandement besoin).

Il est intéressant de noter qu’en novembre 2024, un homme d’affaires pro-Trump essayait d’acheter les pipelines pendant les pourparlers avec Poutine et Scholz, comme je l’avais souligné à l’époque. Dans un tel scénario d’après-guerre, le sort des pipelines pourrait devenir un moyen de pression. Si des preuves de l’implication des États-Unis apparaissent, le mépris flagrant de la souveraineté européenne pourrait ainsi déclencher une crise au sein de l’OTAN, affaiblissant la confiance dans les dirigeants de Washington. Voilà pour « l’unité » au sein de l’alliance.

Par ailleurs,  si l’Ukraine est considérée comme ayant agi de manière indépendante, Kiev risque risque de se mettre à dos ses soutiens au moment même où elle aurait le plus besoin d’aide à la reconstruction. Jusqu’à présent, les capitales occidentales ont évité d’exercer une pression trop forte, préférant l’ambiguïté à la responsabilité. Mais l’arrestation de l’Ukrainien en Italie pourrait raviver les demandes, notamment en Allemagne, en faveur d’une enquête sérieuse visant à déterminer qui était en fin de compte responsable.

Jusqu’à présent, la saga Nord Stream a été une véritable leçon de dissimulation. Le plongeur ukrainien de Spiegel est soit un bouc émissaire isolé, soit un intermédiaire (proxy), soit un petit rouage dans une machine beaucoup plus grande. Tous les indices désignent les États-Unis comme les orchestrateurs, l’Ukraine fournissant éventuellement une couverture opérationnelle.

Traduit par Maya pour Mondialisation.ca  

Image en vedette via InfoBrics

L'auteur, Uriel Araujo, est un chercheur spécialisé dans les conflits internationaux et ethniques.


- Source : InfoBrics

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