L’entreprise : être ou ne pas être un État souverain…
Le chemin du droit de l’entreprise : de la perte de souveraineté de l’État à la dictature universelle.
Une récente manifestation médiatique arrive à point nommé pour illustrer la réalité politique de la question juridique de l’entreprise.
Le droit de l’entreprise est au cœur de la souveraineté des États car il est le lieu privilégié où s’affrontent les forces économiques globalistes menées par les banquiers et les forces politiques légitimistes menées par les États. N’en déplaise aux esprits faux, la traduction de la souveraineté est éminemment juridique, aussi il n’existe pas de souveraineté politique sans souveraineté juridique. Dit autrement, la souveraineté politique passe de façon essentielle par la souveraineté juridique. Derrière tous les faux semblants et les jérémiades des actuels dirigeants économiques, qui contrôlent en réalité l’État français, est un principe général : « Dieu se rit des hommes – et des États – qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » On ne peut dans le même temps à la fois jouer le jeu globaliste de ses adversaires, tout de droit anglo-saxon vêtu, et déplorer son propre asservissement, c’est-à-dire son impuissance et sa domination !
Qu’en est-il de la souveraineté juridique française ? Sa disparition est parfaitement illustrée par l’évolution juridique du droit de l’entreprise. De ce point de vue, la France, comme la plupart des pays du monde, a abandonné son pouvoir régalien de régulation au profit de la mise en œuvre réglementaire illimitée du pouvoir de ses créanciers – les banquiers globalistes. Concrètement, la France a abandonné sa capacité a générer une économie politique autonome – comprendre « non contrôlée par les banquiers globalistes » – lorsqu’elle a refusé au Général De Gaulle la mise en œuvre juridique de la souveraineté économique, qui passait par un renouveau du droit de l’entreprise.
Alors que l’oligarchie compradore française faisait politiquement « tomber », en 1969, le chef de la France Libre, pour ne pas avoir à mettre en œuvre le principe général de « l’entreprise participative », je fus moi-même en 2005 – de longues décennies plus tard – bannie du système universitaire pour avoir eu l’audace de proposer une réforme de l’entreprise qui lutte contre l’anonymat et la prédation financière en réimposant la notion de contrôle économique, lequel passe par le rétablissement de frontières juridiques (1). Ma propre théorie juridique de l’entreprise avait pour objet d’éviter et même d’interdire la généralisation de l’immixtion dans la gestion des entreprises par les banquiers fournisseurs de crédit, immixtion déplorée dans l’article sur Goldman Sachs ci-dessus mentionné. Par ce choix de l’éviction des intrusions bancaires, ma théorie de l’entreprise reprenait les fondamentaux de « l’entreprise participative ». Or, il faut comprendre que quarante ans durant, tous les efforts politiques avaient été consciencieusement fait pour effacer toute trace juridique de l’entreprise participative dans les enseignements universitaires ! Sans revenir sur cet épisode épique de ma propre vie, il convient d’insister sur les tenants et les aboutissants d’une conception strictement financière de l’entreprise qui nous vient des pays anglo-saxons. Car, in fine, l’immixtion des banquiers dans la gestion des entreprises, qui se manifeste notamment par des actions sur le choix des dirigeants, a pour corollaire une prise de pouvoir des banquiers globalistes sur l’intégralité de la vie économique d’un pays.
Le pouvoir hégémonique des banquiers sur l’entreprise et sur l’économie des pays a été – sans surprise – véhiculé par le droit anglo-saxon.
Si le droit « anglo-saxon » a pris le contrôle politique du monde, aussi bien au niveau des institutions internationales qu’à celui des institutions nationales, c’est parce qu’il est conçu, depuis 1531, comme un instrument des puissants pour asservir les populations. Le « droit anglo-saxon » n’est pas à strictement parler du « droit », il est un moyen d’asservir les masses.
Depuis que les puissances d’argent ont pris, en occident, le contrôle du phénomène politique, le « droit anglo-saxon » a naturellement été utilisé par ces dernières car il est le plus adapté à leur entreprise de domination. Utile à la domination des puissants contre les humbles, le « droit anglo-saxon » repose sur deux piliers essentiels :
Premièrement, le prétendu « droit » anglo-saxon n’est pas du « droit » à strictement parler car il ne cherche à établir de façon générale ni « justice », ni « intégrité », ni « vérité », il cherche simplement à assurer la domination de quelques-uns sur la majorité ;
Deuxièmement, le prétendu « droit » anglo-saxon s’est construit, depuis le XVIème siècle, conformément au « positivisme juridique », c’est-à-dire en opposition au droit continental traditionnel qui véhiculait le principe opposé de « droit naturel ». Le positivisme juridique est la liberté d’établir, sans limite qualitative et quantitative, autant de règles qu’il est utile aux puissants de le faire. Ce positivisme s’est peu à peu techniquement imposé en France et en Europe continentale à la faveur de deux phénomènes : d’une part, matériellement, par le système du « Parlement représentatif » et d’autre part, théoriquement, par la « théorie pure du droit » d’Hans Kelsen.
Pour en revenir à l’entreprise, son évolution juridique a suivie, en France, celle de l’inversion du rapport de force entre banquiers globalistes et État politique : elle a validé, au fil du temps, la domination irrémédiable des entreprises par les quelques actionnaires actifs, majoritaires en terme relatif et la plupart du temps minoritaires en terme absolu, souvent réellement anonymes.
Cette prise de pouvoir actionnarial et financier sur l’entreprise s’est brutalement accélérée lors de la mise en œuvre en France et dans le monde de la théorie dite de l’Agence, laquelle a notamment – parmi beaucoup d’autres vilenies – justifié l’introduction en France des stock-options, transformant les dirigeants des grandes entreprises en serviteurs dociles des intérêts patrimoniaux dominants.
Faisant fi de la tradition française, conforme au droit continental, de l’entreprise, le législateur a fini par rejeter la conception institutionnelle de l’entreprise, pour désormais considérer cette dernière comme un « nœud gordien », un simple enchevêtrement contractuel, dans lequel les plus forts sont toujours les « meilleurs ». Dire que l’entreprise est une institution signifie que l’entreprise, en tant qu’institution juridique, a une fonction politique d’organisation sociale qui relève de l’intérêt commun ; dire que l’entreprise est le simple siège d’un nœud contractuel, a pour effet juridique de livrer cette dernière aux contractants les plus forts, lesquels sont les principaux propriétaires de capitaux.
C’est ainsi que fut bannie du paysage juridique français l’entreprise participative en 1969 et ma propre théorie de l’entreprise en 2005.
Les enjeux politiques de ces bannissements successifs sont les suivants : l’entreprise ne doit en aucun cas échapper aux dominants économiques pour bénéficier à la collectivité, elle doit rester sous le complète dépendance des fournisseurs de crédits, ces derniers ayant pour objectif avoué la prise de contrôle politique totale et l’établissement d’un gouvernement mondial.
J’ai longuement décrit (2) comment l’entreprise avait dégénéré – au niveau mondial – en concept congloméral et comment ces conglomérats étaient aujourd’hui considérés comme des institutions qui soumettaient les États ; ces derniers étant aujourd’hui internationalement ravalés au rang de simple acteur économique non dominant, c’est-à-dire soumis.
Or précisément, l’entreprise participative, tout comme ma propre théorie de l’entreprise, en tant qu’elles sont les héritières du droit continental traditionnel, permettraient de s’opposer à cette domination capitalistique mondiale. Malheureusement en France les instances décisionnaires, politiques, universitaires et juridiques (qu’elles soient ou non fonctionnaires), sont soumises à la domination des principaux détenteurs de capitaux ; elles ont, par esprit de cour ou par corruption avérée, renoncé à lutter.
Les dirigeants français de tout bord ont, depuis 1969, renoncé au principe de liberté, d’indépendance et de souveraineté, pour suivre la voie ignoble de l’asservissement et de la collaboration. Tant et si bien que nous assistons aujourd’hui à une nouvelle évolution du droit de l’entreprise qui, comme toujours, suit l’évolution des rapports de force entre « fait économique » et « fait politique ». Validant l’abjuration définitive du concept étatique, les « dirigeants politiques » français ont permis une nouvelle évolution de l’entreprise allant dans le sens, bien compris, de l’intérêt bancaire supérieur mais paré de vertus collectives que les banquiers ont faites leurs. Ainsi, conformément aux développements initiés par le Club de Rome, qui seront matérialisés plus tard par les Giorgia Guidestones, l’entreprise devient un enjeu « écologique ». L’entreprise est dès lors sommée de répondre aux défis environnementaux tels que compris par les puissances économiques dominantes, lesquelles ont parfaitement intégré l’insoutenabilité de leur domination par le jeu capitalistique dans un univers où les ressources naturelles sont limitées. Nous avons ainsi vu apparaître le RSE, ou Responsabilité Sociale de l’Entreprise, avant de voir la naissance, récente, de l’entreprise à mission (3). Conformément à la méthode des petits pas traditionnellement utilisée par la caste bancaire monopoliste, le fondement initial du « volontariat » s’atténue peu à peu pour bientôt se transformer en droit impératif, rigoureusement sanctionné. Nous avons ici, en matière d’évolution du droit de l’entreprise, la même méthodologie que celle appliquée à l’évolution du droit de propriété.
L’objectif ultime étant la disparition juridiquement validée de la liberté et de la démocratie, afin de laisser la place à la dictature bancaire universelle.
Derrière les faux semblants de la prise en compte de l’intérêt commun – intérêt commun entièrement défini à l’aune de celui des dominants financiers – l’entreprise est vouée à devenir un des instruments, juridiquement validé, de la dictature universelle. Conformément à la volonté des dominants économiques, le droit de l’entreprise va devenir un droit dictatorial chargé de mettre en œuvre la dictature universelle parée de « vert » mais armée de rouge sang.
L'auteur, Valérie Bugault, est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.
Notes:
(1) Cf. « La nouvelle entreprise » publiée en 2018 aux éditions Sigest ; https://lesakerfrancophone.fr/valerie-bugault-la-nouvelle-entreprise ; https://lesakerfrancophone.fr/valerie-bugault-les-raisons-cachees-du-desordre-mondial
(2) Lire « La nouvelle entreprise », publié en 2018 aux éditions Sigest
(3) Cf. Loi dite Pacte : https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/isr-rse/les-entreprises-a-mission-le-modele-qui-seduit-de-plus-en-plus-de-patrons-francais-145465.html
- Source : le Saker Francophone