Le conte de fées nauséabond du « héros de l’Hyper Cacher »
Je vais revenir dans le présent article sur le parcours de l’homme qui fut présenté comme le « héros de l’Hyper Cacher » début janvier 2015 : un Malien sans papiers de 25 ans, à peu près analphabète, du nom de Lassana Bathily. Comme je me trouve en train de compiler toutes les attaques en France attribuables à et/ou revendiquées par l’EI depuis 2014, je suis fatalement tombé sur le morceau de bravoure de Lassana Bathily dans l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, le musulman qui a sauvé des vies juives. Il s’avère finalement qu’il s’agit pour sa partie la plus essentielle d’une histoire qui a été promue, déformée, et amplifiée pour les besoins d’un certain storytelling que médias et politiques, et les organisations communautaires juives qui les influencent, souhaitaient diffuser dans l’opinion mondiale, alors que l’émotion était à son comble.
Cette histoire n’est pas seulement immorale, elle est emblématique de cette société du spectacle où les fausses gloires sont couvertes de toutes les louanges et tous les honneurs, jusqu’à la nausée, et dont les gens honnêtes et véritablement courageux sont méthodiquement exclus, tenus à distance, voire diffamés et poursuivis. Lassana Bathily n’a pas seulement accédé au statut de héros national grâce à cette fable, il a pu acquérir la nationalité française en un temps record, obtenir un emploi à la mairie de Paris, être invité à l’étranger par de prestigieuses associations et organismes – juifs pour l’essentiel -, être reçu plus généralement par des grands de ce monde, fonder une association à son nom, écrire et publier son autobiographie chez un grand éditeur, et finalement entrer en politique en février 2019, pour les élections européennes. Mais revenons pour commencer à ce conte de fées tel qu’il a été unanimement présenté dans les médias dans les jours suivants l’attaque de l’Hyper Cacher, et par l’intéressé dans son livre un an plus tard, les deux versions se recoupant peu ou prou.
Sommaire
- Retour sur l’attaque de l’Hyper Cacher du 9 janvier 2015
- Naissance d’un mythe moderne
- Les otages du sous-sol démentent la version de Lassana Bathily
- Parution de son autobiographie
- Lassana Bathily nommé président du comité de soutien à la liste PCF de Ian Brossat
Retour sur l’attaque de l’Hyper Cacher du 9 janvier 2015
Le 9 janvier, un peu avant 13 heures, Amedy Coulibaly pénètre lourdement armé dans le magasin du groupe Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, est de Paris, à deux pas du boulevard périphérique. Il abat deux personnes, et en retient quatorze autres en otage. Ceux-ci se ruent d’abord vers l’issue de secours au fond du magasin, mais celle-ci s’avère impossible à ouvrir, et ils descendent au sous-sol par un escalier en colimaçon. Au sous-sol ils trouvent un manutentionnaire de la supérette, Lassana Bathily, qui était en train de ranger des produits surgelés. Il leur propose d’abord de s’enfuir par le monte-charges qui donne non loin de l’issue de secours, mais ceux-ci refusent arguant de leur échec précédent et du bruit très fort du moteur du monte-charge qui les découvrirait immanquablement. Il parvient à en convaincre certains de se réfugier dans le congélateur, dont il a le sang froid de couper le moteur pour éviter qu’ils ne gèlent. Il prend quant à lui le risque du monte-charge. Parvenu à l’étage, d’un côté le magasin par où il peut être repéré, de l’autre la sortie de secours à deux mètres de là. La porte est bloquée par une barrette de sécurité en métal pour dissuader les voleurs. Il parvient à la faire sauter, la faisant retomber bruyamment sur le sol en béton, alertant Coulibaly qui se précipite dans sa direction, mais Bathily parvient à s’enfuir. Les autres otages qui ne sont pas entrés dans le congélateur sont contraints sous la menace de Coulibaly de remonter. L’un d’eux sera abattu quelques instants plus tard par Coulibaly en tentant de s’emparer de l’une de ses kalachnikovs. La caissière Zarie Siboni a le cran de lui mentir en prétendant qu’il ne reste plus aucun otage au sous-sol.
Parvenu à l’extérieur, il est vivement hélé par des forces de police qui le mettent en joue, le neutralisent et le menottent, le soupçonnant d’abord d’être un terroriste. Il lui faudra attendre près d’une heure pour faire valoir son identité, reconnu formellement par une personne habituée des lieux. Il se montre alors pour les policiers d’un précieux secours : bon dessinateur, il les aide à établir le plan du magasin, et, très à propos, leur indique que l’ensemble des clés du magasin se trouve sur un trousseau autour du cou de son patron blessé à la main qui se trouve non loin. Comme le trousseau en comporte beaucoup, il leur indique précisément celles qui leur seront utiles, en particulier la clé du rideau de fer défendant l’entrée du magasin.
Le RAID et la BRI lancent l’assaut à 17h20, Coulibaly est tué alors qu’il se précipite au dehors, apparemment sans aucune des armes dont il s’était muni pour l’attaque – 3 kalachnikovs, deux pistolets mitrailleurs, 15 bâtons de dynamite. Tous les otages libérés sont saufs, notamment les sept personnes enfermées dans le congélateur qui étaient restés en contact permanent avec l’extérieur grâce à leurs téléphones portables.
Lassana Bathily, modeste manutentionnaire de 25 ans, arrivé à l’âge de 16 ans en France, de confession musulmane, s’exprimant dans un français des plus incertains, détenteur d’un titre de séjour renouvelable mais courant depuis cinq ans derrière un passeport français, se trouve alors pris dans un maelström politico-médiatique inattendu et stupéfiant. Tel Cendrillon, le voilà soudain, d’un coup de baguette magique, passer de l’ombre à la lumière, de la précarité à l’aisance, de l’indifférence à l’adulation : sans le savoir il vient de gagner le premier prix d’une loterie improvisée dont il n’a pas acheté le billet.
Lassana Bathily, le 16 janvier 2015, assistant au discours de John Kerry rendant hommage aux victimes des attentats. A sa droite le propriétaire du groupe Hyper Cacher jusqu’au 8 janvier, Michel Emsalem, à sa gauche Joël Mergui, président du Consistoire central israléite de France
Naissance d’un mythe moderne
Le CRAN lance une pétition (Conseil Représentatif des Associations Noires) demandant la naturalisation de Lassana Bathily et que lui soit remise la Légion d’honneur ; celle-ci atteint rapidement les 300 000 signatures.
Le jeudi 15 janvier, il reçoit un coup de téléphone personnel du président de la République, François Hollande, qui lui annonce que sa procédure de naturalisation est en train d’être accélérée.
Le 20 janvier, le précieux sésame lui est délivré à l’occasion d’une impressionnante cérémonie organisée à 19h30 dans la salle des fêtes du Ministère de l’Intérieur. C’est le Premier ministre en personne, Manuel Valls, qui le lui remet, en même temps qu’une lettre signée du président de la République, et la Légion d’honneur. Sont également présents le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, la garde des Sceaux Christiane Taubira, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud Belkacem, les représentants principaux des grandes religions. Alors qu’il tentait en vain depuis 2011 d’obtenir la nationalité française, ne parvenant qu’à obtenir un permis de séjour renouvelable d’année en année, le voilà soudain en à peine une semaine propulsé citoyen français par la voie expresse et par la plus grande portei.
Les messages de félicitation pleuvent du monde entier et cela va durer des mois. Dans son livre, Bathily raconte avoir reçu les premiers temps près de 300 appels par jour, du monde entier. Une attachée de presse lui est même adjointe pour l’assister dans la gestion des multiples sollicitations dont il fait l’objet.
Le 10 janvier, il est publiquement remercié par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors de la cérémonie organisée à la Grande synagogue de Paris.
Lors d’un voyage officiel à Paris le 16 janvier, le vice-président des États-Unis John Kerry tient à le rencontrer et fait son éloge dans un discours prononcé à la mairie de Paris, auquel assiste Bathily, invité par madame le maire.
Le président Barack Obama lui rend également hommage : « Le monde sait que des juifs ont été attaqués dans un supermarché casher à Paris. Nous devons nous souvenir de l’employé de ce supermarché, un musulman, qui a caché des clients juifs et leur a sauvé la vie. Et quand on lui a demandé pourquoi il avait fait cela, il a répondu: “Nous sommes frères”. Nous venons de pays différents, de différentes cultures et de différentes religions, mais il est important de nous inspirer des actes héroïques de ce modeste employé ».
Le 25 janvier, il est accueilli à l’Élysée, et François Hollande a ces mots : « Ah ! Voilà mon Français préféré ! »
Le 29 janvier, c’est en héros national qu’il est accueilli sur sa terre natale, le Mali, les autorités lui réservant un accueil officiel. Accueilli par le secrétaire général du haut conseil des Maliens de l’extérieur, Cheickna Kamissoko, il est ensuite reçu par la président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta. On lui sait en particulier gré d’avoir « relevé le drapeau malien qu’Amedy Coulibaly avait jeté à terre ». Coïncidence, il se trouve en effet que Bathily et Coulibaly sont tous les deux Maliens, qu’ils sont de la même ethnie Soninké, et que les villages dont ils sont originaires ne sont distants que de 20 km l’un de l’autre. Le milieu dans lequel ils ont pris forme de 0 à 16 ans n’est pas le même.
Le 25 février, il reçoit un prix du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) lors de son dîner annuel, auquel participent 700 invités parmi lesquels François Hollande, Manuel Valls et une douzaine de ministres. Son président Roger Cukierman le présente sur Europe 1comme « le jeune Malien devenu Français qui a été héroïque pendant la prise d’otages à la porte de Vincennes et qui montre encore une fois que, tous unis, on peut combattre le terrorisme. » Est récompensé également en cette occasion un film qui a par ailleurs fait un bide retentissant : « 24 jours », d’Alexandre Arcady, consacré à l’affaire Halimi.
Le 3 mars, il est invité par des membres de la communauté juive de Cleveland en tant qu’orateur d’honneur pour la réunion annuelle de l’Ansche Chesed Fairmount Temple, dont la raison d’être est « de perpétuer la tradition juive et renforcer les vies juives grâce à l’apprentissage tout au long de la vie, le culte l’action sociale, des actes de bonté » Le rabbin Robert Nosanchuk le félicite en ces termes : « Si M. Bathily n’avait pas accompli cet acte héroïque de cacher des Juifs, plus de vies auraient été emportées. Il a fait comprendre au monde que la haine ne l’emporterait pas. » Au nom de la communauté juive de Cleveland, Cheryl Davis lui a remis une médaille en disant : « M. Bathily a démontré comment, sans faire cas de la religion, de la race, et de l’origine ethnique, on peut agir en vue de la paix, comme une reflet de notre humanité partagée ».
A Cleveland il est également reçu par le conseil des associations américano-musulmanes qui lui remettent le « prix de l’honneur et du courage ».
Le 24 mars, le Centre Simon-Wiesenthal, dont la mission est de préserver la mémoire de l’Holocauste et de lutter contre le racisme, l’invite pour son congrès annuel à Los Angeles, et lui remet en cette occasion la médaille du courage. Il explique qu’il compte « créer une association pour son village au Mali », et « un autre projet en France pour aider les enfants d’immigrés ».
Lassana Bathily au centre Simon-Wiesenthal
Le 9 juin, il fait partie des trois personnes à qui est décernée la médaille du courage moral lors du forum annuel global de l’American Jewish Committe (AJCii) à Washington. Il y déclare notamment : « Le meilleur que nous pouvons apporter à la barbarie et au terrorisme, c’est l’éducation pour tous, la construction de la paix, la promotion des droits de l’homme, et l’esprit de la liberté, la fraternité, et l’égalité. » Les organisateurs quant à eux lui expliquent : « Les rabbins enseignent que celui qui sauve une simple vie, c’est comme s’il avait sauvé tout un monde, car chaque génération contient en son sein le potentiel d’engendrer d’innombrables générations. Lassana, vous avez sauvé quinze mondes, ce jour-là à Paris. En agissant ainsi, vous avez fait ce monde, notre monde, plus brillant, plus porteur d’espoir, un monde plus humain. » L’initiative de son invitation et de sa mise à l’honneur vient notamment de Michel Emsalem, le fondateur et actionnaire unique du groupe Hyper Cacher qui avait vendu ses parts de la société le 8 janvier, la veille de l’attentat.
Lassana Bathily, à la tribune du Forum Global de l’AJC. Le tapis rouge lui est déroulé. Il est introduit par une vidéo de présentation holywoodienne dans laquelle son rôle est encore plus magnifié que dans les médias français.
Le 18 novembre 2016, il est invité en Tunisie à l’ouverture de l’exposition « Lieux saints partagés », en même temps que les familles de victimes françaises de l’attentat du musée du Bardo du 18 mars 2015, lors duquel 22 personnes avaient trouvé la mort, fauchés par deux assaillants munis d’armes automatiques se réclamant de l’EI. Il s’agissait de célébrer la fin officielle de l’enquête. A noter que des familles de victimes ont réfusé l’invitation, dénonçant le déroulement de l’enquête et ses nombreuses zones d’ombre, ainsi que l’indifférence des autorités françaises face à leur sort. Ironie de l’histoire, lors de cet attentat, un gardien du musée, Ala Eddine s’est distingué par son courage exceptionnel, sauvant la vie de pas moins de 40 personnes, dont de nombreux Français, mais lui n’a pas eu le même destin que Lassana Bathily. Il a subi de grosses pressions, a été suspendu provisoirement puis licencié, et n’a pas reçu le moindre signe de reconnaissance des autorités françaises.
Les otages du sous-sol démentent la version de Lassana Bathily
Le 7 juin 2015, une note dissonante vient jeter un doute sur l’idéalité du conte de fée du Cendrillon malien : le témoignage de trois des otages enfermés dans le congélateur. Leur témoignage – avec noms modifiés, sauf celui de Yoann – est rapporté dans un article d’Ondine Millot, dans Libération.
Extrait 1 : Lassana Bathily, manutentionnaire de l’Hyper Cacher qui se trouvait au sous-sol au moment de l’arrivée du terroriste, leur demande «ce qui se passe», puis propose aux otages de grimper avec lui dans le monte-charge. «Il nous disait qu’on allait pouvoir déboucher à l’étage sur la sortie de secours, et fuir, explique Yohann. Mais c’était super risqué. La sortie de secours, je n’avais pas réussi à l’ouvrir et à l’étage, il y avait le tireur». «C’est vrai qu’il nous a proposé ça, renchérit Jean-Luc. Mais nous, on s’est tous dit : c’est la mort assurée. Le monte-charge fait du bruit, et il n’y a pas de place pour tout le monde». Lassana Bathily part seul.
Extrait 2 : Ensuite, ils ont «essayé» de reprendre leur vie, ont été reçus à l’Élysée, sauf Jean-Luc, qui est resté chez lui : «J’ai préféré regarder ça de l’extérieur, à la télé, comme si je n’étais pas concerné». Aucun, à part Yohann «pour les petits fours», n’a été à la cérémonie en l’honneur de Lassana Bathily. « Ce qui s’est passé le 7 et le 9 janvier, c’est tellement horrible que les médias et les politiques ont besoin de trouver une belle histoire », dit Sandra. «Lassana Bathily est quelqu’un de vraiment bien, adoré de tous ses collègues de l’Hyper Cacher, et qui effectivement nous a proposé de nous sauver, en prenant avec lui le monte-charge, continue Jean-Luc. Mais il n’a pas pu nous sauver, puisque nous avons tous refusé. Dehors, il a aidé la police. Les médias et les officiels ont voulu enjoliver le tableau, ajoutant qu’il nous aurait fait descendre, cachés, etc. Ce n’est pas vrai, mais ce n’est pas de la faute de Lassana. A ce moment-là, la France avait besoin d’un héros».
Début janvier 2016, ces révélations sont confirmées dans un ouvrage écrit par Yohann Dorai, en collaboration avec Michel Taubmann, intitulé « Hyper caché, quatre heures dans la tête d’un otage ».
Dans un article publié le 8 janvier sur le site du Huffington Post, ce dernier est catégorique : « L’un [des otages], Yohann Dorai, témoigne dans le livre que nous signons ensemble. C’est lui et non Lassana Bathily qui a débranché le système de réfrigération afin de permettre une survie précaire des otages dans un espace glacial qui aurait pu devenir leur tombeau. Logique. Yohann Dorai est chauffagiste de profession. C’est lui aussi et non Lassana Bathily qui a verrouillé la porte du congélateur après que les otages s’y sont cachés sans aucune aide du jeune malien, comme en attestent plusieurs témoignages. C’est lui encore et non Lassana Bathily qui a caché une clef du congélateur dans un recoin du sous-sol et en a prévenu la police comme en témoigne un documentaire, Les Hommes du Raid, diffusé en septembre dernier par la Cinquième. C’est lui enfin qui a donné sa doudoune pour couvrir le bébé enfermé avec sa maman dans cette pièce minuscule où il faisait moins cinq degrés ».
Enfin, selon Patrick Klugman, l’avocatiii des otages de la chambre froide : « Lassana Bathily, qui n’a jamais, lui-même, exagéré son rôle, s’est vu embarqué, de par l’emballement médiatique, dans une histoire assez éloignée de la réalité. Il s’est retrouvé malgré lui investi de pouvoirs surnaturels. Il aurait sauvé des vies au détriment de la sienne. Du point de vue de mes clients, c’est vraiment exagéré. Il a eu une action positive même s’il n’a pas permis de sortir les personnes dans la chambre froide ».
Parution de son autobiographie
C’est au même moment, afin de coller aussi à la date du premier anniversaire des attentats, que Lassana Bathily publie son autobiographie aux éditions Flammarion, dans lesquels ce « vendredi pas comme les autres » occupe une large place. Le français dans lequel il s’y livre est étonnamment parfait, alors qu’il peine encore, un an après, à construire correctement les phrases les plus simples quand il répond oralement à des interviews ou participe à des émissions pour la promotion du livre, et nulle part n’apparaît le nom de celui ou celle sans qui il aurait été naturellement incapable d’écrire un tel livre. Il y répète sa version des faits : il a demandé aux otages de sortir avec lui dans le monte-charge, ceux-ci refusant il les a fait rentrer dans le congélateur dont il a eu la présence d’esprit de couper le moteur. Étant donnée sa connaissance des lieux, il était un peu le « chef du groupe », pendant cette première phase de nombreuses minutes dans le sous-sol. Parvenu dehors il a ensuite pu aider les policiers. Il faut patienter jusqu’à la page 183 pour le voir éprouver le besoin de tordre le cou à certaines rumeurs malfaisantes :
« A l’époque, certains ont prétendu que mon rôle à l’Hyper Cacher s’était limité à sauver ma peau. Les personnes présentes au cours de l’attaque dans le sous-sol ainsi que les policiers que j’avais renseignés peuvent témoigner du contraire (…). Mais est-ce nécessaire encore de polémiquer ? Je préfère traiter ce genre de critique par le mépris. Car ce n’est pas le plus inquiétant. Le plus inquiétant est que ces ragots trouvaient leur fondement dans de fumeuses théories selon lesquelles j’étais l’alibi de la bonne conscience. La France, disaient certains, avaient besoin d’un héros noir et musulman. Mais où allaient-ils chercher de telles bêtises ? Pour moi ces propos sont tout bonnement racistes. Je ne serais donc pas un humain ordinaire ayant agi comme homme ; mais d’abord et avant tout comme un noir et un musulman ? Est-il démocratique, éthique de limiter un homme à sa couleur de peau et à sa religion ? N’est-ce pas insulter le nom de tous les noirs et tous les Musulmans que de proférer des idées semblables, même si, moi, je suis fier d’être musulman, noir et immigré ? Qu’on m’insulte n’est pas grave en soi ; ce qui l’est davantage, c’est d’atteindre à travers une personne, tous les noirs et tous les immigrés ».
Il est impossible de croire que Bathily soit le véritable instigateur d’une telle mise au point qui rappelle furieusement les éléments de langage typiques dont le monde politico-médiatique est saturé. Dans tous les cas, ce qui est également typique de cette forme d’esprit, l’homme n’explique pas à ses lecteurs en quoi consisteraient ces « ragots » et ces « théories fumeuses ». Quand il parle de « racistes » qu’il faut « traiter par le mépris », il ne peut, avec le recul, s’agir que des otages de la chambre froide, qui avons-nous vu ont témoigné contre sa version des faits, les seuls en mesure de démentir son histoire, et qui curieusement paraissent à peine lui en vouloir. Les déclarations ultérieures de ces derniers sont pourtant catégoriques : ils ne doivent rien à Lassana Bathily et sont unanimes à ce sujet. Pire, il se pourrait que s’ils avaient suivi son premier conseil et l’avaient accompagné sur le monte-charge, Coulibaly les aurait plus facilement repérés et en aurait tué quelques uns, sinon tous.
Lassana Bathily a intitulé son autobiographie « Je ne suis pas un héros » : cette phrase à première vue destinée à mettre en avant la modestie du héros doit en fait être prise au pied de la lettre. Cette jolie histoire du jeune africain musulman cachant des juifs dans une chambre pour leur sauver la vie, cette trajectoire de « juste » des temps modernes, si prisée en ces temps de promotion frénétique de la lutte contre l’antisémitisme, est une histoire frelatée, tout du moins concernant sa partie « héroïque » dans le sous-sol du magasin, la plus symbolique. Peut-être Lassana Bathily n’a-t-il pas délibérément menti, peut-être s’est-il laissé embarquer dans un storytelling dont il n’est pas à l’origine. Mais une fois que la machine a été lancée, il a laissé faire. Quand on demande à Michel Taubmann si Bathily a menti, il répond : « Disons qu’il n’a pas démenti la presse et les politiques qui ont enjolivé son histoire. On peut le comprendre… Sans-papiers, en situation irrégulière, il a eu très peur ».
Les médias ne se sont pas engouffrés dans cette polémique pourtant prometteuse. Au pire ils n’en ont pas dit un mot, au mieux ils ont expliqué, avec une mansuétude à laquelle on est peu accoutumé, que ce n’était pas de la faute de Bathily, que tout le monde – qui, au fait ? – voulait une belle histoire et qu’il a donné le change… du reste il y avait un climat à l’époque, n’est-ce pas, cela excuse bien des choses… Bref, si les faits ont été déformés quelle importance au fond puisque c’était pour une cause noble, hein ?
Lassana Bathily lui-même se défend vigoureusement d’avoir menti, et les commentateurs semblent lui donner raison en accusant les « médias » d’avoir amplifié à plaisir cette histoire pour en faire un mythe. C’est peut-être vrai, il est très difficile de comprendre Bathily quand il s’exprime, et il ne peut à l’évidence pas avoir écrit ses Mémoires seul, encore moins les relire, les vérifier, et les assaisonner d’une multitude d’éléments de langage typiques. Sans doute cette histoire, à laquelle il ne semble pas comprendre grand-chose encore aujourd’hui, lui a-t-elle échappé… Maintenant notons que dans son ouvrage non seulement il n’apporte aucune modification au récit officiel initial, mais traite par le mépris de « raciste » toute personne qui douterait de sa bonne foi.
On aurait pu s’attendre à ce que Lassana Bathily retourne dans l’ombre de laquelle il n’aurait jamais été tiré sans cette invraisemblable mythification de son rôle ce 9 janvier pas comme les autres.
C’est l’inverse qui s’est passé. Au fil de ces quatre dernières années, ce sont plutôt ces révélations qui ont rejoint l’ombre, sans entamer sa réputation de héros de l’Hyper Cacher, qui a fini par prendre le dessus, pour s’imposer.
C’est ainsi qu’après avoir obtenu ses papiers en un temps record, un emploi confortable à la mairie de Paris (cours de français intensifs le matin, participation logistique à des matchs de football l’après-midi), des facilités pour louer un logement, des invitations en pagaille pour voyager à l’étranger, publier ses Mémoires chez un grand éditeur, et fonder une association – nous le découvrons, début février 2019, se lançant en politique !
Lassana Bathily nommé président du comité de soutien à la liste PCF de Ian Brossat
Le 6 février 2019, il est nommé par Ian Brossat, adjoint au maire de Paris Anne Hidalgo, président du comité de soutien à la candidature de Ian Brossat aux élections européennes de 2019 sur la liste du PCF. Il fut un temps question qu’il figure sur cette liste comme candidat, mais Bathily a refusé, explique-t-il, pour des raisons personnelles. Dans une vidéo de propagande caricaturale publiée sur Tweeter par Ian Brossat il explique son engagement : « Je suis né au Mali, je suis devenu Français. Aujourd’hui, je vois l’extrême droite monter partout en Europe et je ne peux pas rester les bras croisés. (…) Nous voulons défendre nos valeurs pour vivre ensemble en frères humains ». M. Brossat s’est félicité du soutien d’un homme qui est « le symbole des valeurs de notre République ».
Clip de campagne dans lequel Lassana Bathily exprime son soutien à Ian Brossat et sa volonté de faire rempart contre l’extrême-droite
Cette annonce est favorablement relayée dans tous les grands médias alignés. Tous rappellent son passé de « héros de l’Hyper Cacher », aucun ne rappelle les révélations ultérieures des otages expliquant clairement et sans pathos que ce rôle est une forgerie. Des sites extrémistes juifs prennent le contre-pied du concert de louanges en rappelant cette tache, à leurs yeux, dans l’autobiographie de l’ancien sans-papiers, ainsi liguededefensejuive.com qui titre : « Européennes : le faux héros de l’Hyper Cacher soutient les communistes soutiens du terrorisme anti juif ! ». On peut supposer que si Lassana Bathily se mettait à soutenir un peu trop ostensiblement des militants de la cause palestinienne, tous ceux qui le présentent encore comme un symbole de la pureté républicaine et de cette France nouvelle, ouverte, tolérante et tournée vers l’avenir, tourneraient bientôt casaque, rappelleraient les révélations des otages, et le feraient tomber de son piédestal aussi vite qu’ils l’y auront hissé. Ce seront alors les mêmes qui ont transformé la citrouille en carrosse doré, qui sonneront les douze coups de minuit pour le Cendrillon malien.
Le 5 avril dernier, Lassana Bathily était dans le public de l’émission politique sur les élections européennes rassemblant 12 têtes de liste. Il a été pris à témoin par Ian Brossat à un moment où il le débat portait sur l’immigration. Parlant après la tête de liste LREM Nathalie Loiseau il a déclaré : « D’abord, moi j’assume l’accueil des réfugiés. Et quand j’entends toute cette série de discours, qui consistent à parler de ces hommes, de ces femmes, de ces mômes comme si c’étaient des animaux, parce que les migrants c’est comme si c’étaient des oiseaux migrateurs, des animaux. C’est profondément honteux et moi j’assume, je sais qu’aujourd’hui quand on regarde les sondages on dit non à l’accueil, et bien moi je dis oui à l’accueil, c’est notre dignité d’hommes et d’Européens d’accueillir des hommes et des femmes qui crèvent chez eux. Et vous savez, j’ai en face de moi un homme, Lassana Bathily, c’est le héros de l’Hyper Cacher. Quand il est arrivé en France il avait 16 ans. Il n’avait pas de papiers. Il a été régularisé parce qu’il y avait des associations qui se sont battues avec lui, et notamment le Réseau éducation sans frontière, pour lui permettre d’avoir des papiers en règle, et ensuite il s’est révélé au moment des attentats de l’Hyper Cacher, et bien je peux vous dire que je suis très fier, très fier, d’avoir un compatriote comme lui. Il est né au Mali, il a grandi au Mali, et il est aussi français que nous, donc je commence à en avoir un peu ras-le-bol, de ces amalgames, de cette manière de stigmatiser les migrants en permanence, c’est honteux. Quand je vous entends Mme Loiseau, dire que vous êtes fière d’avoir diminué le nombre de réfugiés par dix… je vous dis que Lassana Bathily avec vos critères il était migrant, il ne serait pas rentré. Et bien je vous le dis vous devriez regarder vos pompes parce que pendant ce temps-là, il y a des gens qui sont morts en Méditerranée, 2000 en 2018, à cause de votre politique ».
Les grands médias qui rendent compte du débat soulignent pour beaucoup l’excellente performance du candidat du PCF, dont il est même présenté comme l’une des « révélations »iv – dans le même temps où d’autres candidats sont escamotés ou caricaturés – et tous ou presque citent des extraits de cette tirade d’une minute trente. L’instrumentalisation du « héros de l’Hyper Cacher » continue donc de battre son plein, comme aux premières heures du 10 janvier 2015. Bathily est ici utilisé par Ian Brossat, comme le petit Aylan Kurdi en 2015, pour susciter artificiellement l’émotion et le soutien en faveur de l’accueil des migrants par les démocraties occidentales. Une nouvelle fois on efface Bathily en tant que personne – laquelle n’est pas le « héros de l’Hyper Cacher » – pour l’exhiber en fétiche. Si vraiment Lassana Bathily est le parangon de courage et d’honnêteté qui nous est présenté par les médias depuis quatre ans, gageons qu’il doit éprouver un désarroi croissant – éclairé par sa par sa meilleure compréhension de la langue française – quant au nouveau rôle qu’on semble lui demander de tenir, en contrepartie de l’auréole de Saint de la République – et des avantages qui vont avec – dont il a été mondialement illuminé à dater du 10 janvier 2015.
Notes:
i On relève dans le discours du ministre de l’intérieur la définition suivante – unique au monde – de la citoyenneté française qui explique peut-être aussi pourquoi ce statut est de plus en plus facilement accordé à quasiment n’importe qui : « Selon cette conception, comme l’a magnifiquement écrit Renan, « l’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. » Être donc français, ce n’est donc pas forcément naître en France, ce n’est pas professer une religion plutôt qu’une autre, ce n’est pas nécessairement avoir le français pour langue d’origine, ce n’est pas non plus posséder une carte d’identité ou bénéficier d’une protection sociale étendue, c’est, comme l’a rappelé le Premier ministre avec force mercredi dernier, adhérer à une histoire, à un projet commun. » Techniquement, selon cette définition, ce qu’on appelle un « français » est à peine moins vague qu’être humain.
ii L’AJC, fondé en 1906, est l’une des plus vieilles organisations de défense des Juifs aux USA et dans le monde. Il s’agit d’une organisation sioniste dont l’objectif affiché sur son site est de « Défendre Israël et le peuple juif. Défendre les valeurs démocratiques pour tous ». Dans la section Qui sommes-nous on peut lire : « l’AJC est l’organisation globale principale de défense des Juifs, avec un accès sans pareil aux officiels des gouvernements, aux diplomates et aux autres dirigeants mondiaux. Grâce à ces relations et à notre présence partout dans le monde, l’AJC est à même d’influencer l’opinion sur les sujets qui importent le plus : combattre la montée de l’anti-sémitisme et de l’extrémisme, défendre la place d’Israël dans le monde, et préserver les droits et libertés des droits de tous les peuples. » De « tous les peuples », il semble que l’on doive tout de même – au très grand minimum – exclure le peuple palestinien.
iii Patrick Klugman a été sollicité par ces otages pour une autre affaire, celle de la fuite de BFMTV révélant en direct la présence d’otages au sous-sol de l’hypercacher alors que l’assaut n’a pas encore été décidé et que Coulibaly pouvait tomber sur cette information à tout moment. Les otages ont saisi la justice pour « mise en danger de la vie d’autrui ». La chaîne présente ses excuses, reconnaît sa faute, et accepte de formuler une charte de bonnes pratiques à laquelle elle devra se soumettre dans le futur [ce n’est pas une blague]. Les otages acceptent de retirer leur plainte, dans un souci d’apaisement, mais aussi parce que la chaîne accepte de verser 60 000 euros au Fonds Social Juif Unifié, pour le soutien des victimes de terrorisme. Sur leur site on peut lire que le FSJU est « l’Institution centrale de la communauté juive de France, dans les domaines du social, de l’éducation, de la culture, de la jeunesse et de la vie associative. Il combat la pauvreté et l’exclusion en finançant des programmes sociaux, favorise la transmission de l’identité avec des programmes culturels et éducatifs, renforce les liens entre la France et Israël grâce à des partenariats avec des organismes qui s’attaquent sur le terrain à la précarité et favorisent une éducation de qualité. » Il s’agit d’un organisme à tropisme exclusivement communautaire : « Le FSJU est l’interlocuteur du Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes et bénéficie d’une convention annuelle avec la Direction Générale de la Cohésion Sociale. Il est membre de l’UNIOPSS au niveau national et des URIOPSS au niveau régional, mais également de l’European Council of Jewish Communities et du Social Welfare Committee. Il participe aux travaux de collectifs tels qu’Alerte (lutte contre la pauvreté) ou encore l’European Anti-Poverty Network… En tant que tête de réseau, il nourrit des relations étroites avec des fondations telles que : La fondation pour la Mémoire de la Shoah, la Fondation Sacta – Rachi, la Fondation du judaïsme Français … »
iv Voici quelques éléments de langage d’un article hagiographique d’un article du Parisien du 7 mai 2019, intitulé « Ian Brossat, communiste new look » : « C’est l’une des révélations de cette campagne des européennes. Ian Brossat, la tête de liste communiste, prend la lumière comme personne au PC depuis Georges Marchais. »/ « Brossat a aussi le sens de la formule. »/ « Même l’opposition parisienne le loue »/ « Brossat préfère la démonstration à la polémique, le débat à l’anathème. »/ « la « Brossat touch » c’est l’affirmation d’une ligne réaliste face aux idéologues. ». Son double statut d’homosexuel et de juif, deux catégories d’individus présentées dans les médias, contre toute évidence, comme devant affronter au quotidien – comme les immigrés et les migrants – de féroces et ignobles discriminations et agressions, n’est sans doute pas étrangère à la sympathie universelle qu’il suscite dans les medias : « Ce timide, à l’allure plus bobo que prolo, vivant avec le même compagnon depuis dix-huit ans, conserve la foi. »/ « ce petit-fils d’un médecin juif polonais qui, pour fuir les camps nazis, s’était engagé dans l’Armée rouge avant d’immigrer en 1947 à la naissance de l’État d’Israël… où il fut ensuite emprisonné vingt ans pour espionnage au profit de l’URSS. »
- Source : François Belliot