La gestion "mafieuse" du Théâtre national de Bretagne
La chambre régionale des comptes de Bretagne vient de rendre un rapport cinglant sur la gestion du Théâtre national de Bretagne (TNB), dont le président, François Le Pillouër (photo ci-contre), est un proche de Nathalie Appéré et du Parti socialiste d'Ille-et-Vilaine.
Tellement proche que lors des dernières élections municipales, le président de cette société d’économie mixte locale, financée majoritairement par l’Etat, la ville de Rennes et Rennes Métropole (donc le contribuable), avait cru bon d’envoyer un e-mail aux 14 000 abonnés du TNB appelant indirectement à voter pour la candidate du Parti Socialiste et actuelle maire de Rennes.
Un acte militant qui n’avait valu aucune sanction à celui qui est pourtant tenu à une certaine réserve eu égard de son poste, financé en grande partie par les contribuables, toutes étiquettes politiques confondues.
Une gestion calamiteuse et intéressée
Le rapport de la chambre régionale des comptes de Bretagne paru ces derniers jours met notamment en avant les dépenses exorbitantes engagées par la direction en frais de réception, de déplacements, de mission depuis 2009. Cela ne devrait pas empêcher le « parrain » rennais d’achever son mandat en 2016, après 22 années passées à la tête du TNB. Et pourtant, il suffit de consulter le rapport dans son intégralité pour y déceler de nombreuses anomalies.
« La gestion du TNB est à l’image de la gestion de la ville de Rennes et de Rennes Métropole par le Parti socialiste et ses amis : une gestion mafieuse, au profit d’un cercle restreint d’individus tous liés de près ou de loin au PS » lâche sous couvert d’anonymat un conseiller municipal de la ville de Rennes.
La convention de 2002 signé par l’Etat, la ville de Rennes et le TNB fixaità ce dernier un objectif de démocratisation culturelle. Un objectif absolument pas atteint aujourd’hui, puisque les ouvriers et agents de maîtrise ne représentent que 8,6% des abonnés au TNB alors que les cadres, professions libérales et enseignants représentent 28% des abonnés, le reste étant en grande partie couvert par les scolaires, dont les frais sont financés par le contribuable.
« Ainsi, le taux de couverture des charges par les recettes n’est que de 30 %, hors cinéma. » indique le rapport. »Au total, la démocratisation, un des objectifs assignés au TNB, ne trouve pas sa concrétisation directe dans l’origine socio-professionnelle des abonnés bien qu’une politique tarifaire incitative soit appliquée. »
Quant aux 11 millions d’euros de recette en 2012, elles sont constituées principalement des subventions du conseil général, de la commune de Rennes et de l’Etat (62% des recettes d’exploitation) . « Si on ajoute à cela une fréquentation « tout juste conforme » aux objectifs assignés (fréquentation gonflée par les scolaires comme vu plus haut), tout un chacun se rendra compte que le TNB de Rennes est un réalité une institution culturelle qui tourne pour le profit économique et le plaisir d’une petite minorité, loin de « l’accès à la culture pour tous » que promeuvent les socialistes » explique le conseiller municipal d’opposition.
Le rapport souligne également que des cadres du TNB ont bénéficié de primes exceptionnelles et d’heures supplémentaires alors que cela était exclu de leur contrat de travail ou de leur convention collective.
» le TNB est soumis aux principes fondamentaux du droit de la commande publique : liberté d’accès, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures. Ces principes ne sont pas respectés, en particulier pour ce qui concerne les règles de publicité et de mise en concurrence. » peut-on lire, ce qui signifie que la direction du TNB a favorisé les « copains » en bafouant toutes les règles régissant les marchés publics.
Certaines lignes de ce rapport laissent perplexe : ainsi , le TNB a été intégré au projet européen PROSPERO (2008-2013), qui vise à « accomplir un geste artistique et culturel, et promouvoir un projet théâtral ambitieux qui soit aussi un geste politique, participant ainsi à la construction d’une Europe artistique et culturelle ». Etonnamment, « Le TNB a été retenu malgré une assise financière jugée peu solide avec des capitaux propres insuffisants et inférieurs aux subventions d’investissement, la Commission exigeant la production d’une garantie bancaire de premier rang portant sur les subventions versées. Grâce au programme PROSPERO, le TNB a perçu 2,2 M€ sur un budget global du programme s’élevant à 5,3 M€ ». Il est vrai que le Parti socialiste a de nombreux amis au sein de la Commission européenne en charge de la culture. Ceci explique peut-être cela.
Des connivences avec la municipalité PS
Mais les connivences vont bien plus loin : ainsi, dans les statuts du TNB, il est clairement stipulé que le directeur est épaulé et surveillé par un « conseil de surveillance » de 5 membres… dont 4 réservés à la ville de Rennes, donc dans les faits à la majorité socialiste. Ce conseil, qui a notamment pour mission d’adopter chaque année un rapport d’observations sur les comptes de l’exercice et le rapport du directeur général unique a bien entendu « approuvé à l’unanimité chaque exercice« .
On apprend également que le directeur général unique est nommé par ce conseil de surveillance, pour une durée de 4 ans. Or la convention passée avec l’Etat et la ville de Rennes en 2002 prévoit que le DGU est nommé par le conseil de surveillance, après accord de la ville et de l’Etat, pour une période de quatre ans renouvelable deux fois au vu d’un projet. Président depuis 1994, élu en 2002, 2006 et 2010, M. Le Pillouër est actuellement toujours en poste, en contradiction avec la convention de 2002.
« Au total, la procédure de nomination, s’inspirant de celle des centres dramatiques nationaux et cherchant à respecter formellement celle d’une société d’économie mixte, n’apparaît par conséquent pas satisfaisante, sans réel appel à projets préalable permettant d’élargir le choix des candidats. » indique le rapport.
Le TNB semble ne survivre que grâce aux subventions, au regard des capitaux propres . Il est ainsi observé que « sans les subventions d’investissement perçues en 2009 et 2010, les capitaux propres seraient négatifs et auraient nécessité une recapitalisation. Cette situation est la conséquence d’un résultat déficitaire cumulé (report à nouveau), qui s’élevait à 319 318 € en 2011 et 315 337 € en 2012. »
Concernant les salariés, ceux-ci ont vu leurs salaires revalorisés (pour les agents de maîtrise) de 1% et 1,5% pour les employés. Du côté de la direction, les chiffres ne sont plus les mêmes, puisque les salaires de la secrétaire générale adjointe, de la secrétaire générale, de l’administratrice et du directeur délégué ont progressé respectivement de 24,37 %, 15,10 %, 12,70 % et 8,99 % entre 2009 et 2012. Un socialisme à deux vitesses en quelque sorte.
Conclusion des magistrats : « Il demeure que les évolutions salariales de l’encadrement apparaissent favorables dans le contexte budgétairement contraint d’une structure très majoritairement financée par des fonds publics. »
Au delà des salaires, ce sont aussi les frais de déplacement qui interrogent : « Les frais de déplacement, de mission et de réception représentaient plus de 163 000 € en 2009. Ces charges ont diminué pour revenir à 129 082 € en 2012. Même si des refacturations sont effectuées, notamment à destination du syndicat national des entreprises culturelles et de spectacles (SYNDEAC) au titre du mandat de président détenu par le directeur général – entre 8 000 et 14 000 € environ par an -, ces charges, qui concernent majoritairement l’encadrement, demandent à être davantage maîtrisées. »
Sans parler de l’utilisation des 5 cartes bancaires de l’établissement, dont l’une attribué au régisseur du TNB, pourtant non salarié. « Le TNB est détenteur de cinq cartes de paiement occasionnant une cotisation annuelle globale de 553 €. Ces cartes ont été attribuées nominativement au directeur général unique, à son directeur délégué, à la chef costumière et au régisseur général. Par ailleurs, une carte est dévolue à l’administration. En 2011, 90 000 € de dépenses ont été réglées, dont 50 000 € par les deux cartes de la direction.apport d’observations définitives de la chambre régionale des comptes de BretagneThéâtre national de Bretagne – Centre européen de production théâtrale et chorégraphique – Exercices 2009 et suivants L’utilisation de ces cartes n’obéit à aucun formalisme précis. En particulier, aucun plafond de dépenses autorisées n’est précisé, en dehors de ceux régis par les contrats bancaires.
L’analyse des paiements effectués révèle également des paiements circonstanciés ou plus inhabituels, comme la prise en charge de frais médicaux au bénéfice de collaborateur lors de tournées à l’étranger. Par ailleurs, certaines facturettes relatives à des consommations dans des restaurants ne mentionnent pas la qualité ou le nombre des personnes invitées, rendant difficile un contrôle effectif de l’utilisation des cartes de paiement. La chambre incite le TNB à élaborer sans tarder un règlement d’utilisation des cartes bancaires et à renforcer son contrôle interne. »
« il faudrait un grand coup de balais pour faire éclater au grand jour ce qu’il se passe »
« M. Pillouër terminera son mandat » affirme Nathalie Appéré. Et qu’importe si les contribuables continuent de financer cette « institution rennaise ». Ainsi, étudiant la part payée par le spectateur du théâtre, les auteurs du rapport précisent que « pour l’année 2009, le prix de revient (d’une place hors cinéma) ressort à 53,31 € par place de spectacle. La recette par place vendue s’élève à 14,65 €. Ce sont donc les subventions publiques qui financent la différence entre le prix de revient et les recettes enregistrées pour une place de spectacle, soit 38,66 € correspondant à plus de 72 % du coût moyen d’une place. »
Dans la lettre adressée suite au rapport par la ville de Rennes à la chambre des comptes, Nathalie Appéré et la Ville de Rennes « se félicitent des nombreux constats positifs dressés par la chambre » (sic).
« La presse a essentiellement titré sur les dépenses folles de la direction du TNB, mais elle devrait plutôt se pencher sur les relations existantes entre les différents acteurs, du TNB, de la Ville de Rennes, du Parti socialiste, de Rennes Metropole, mais aussi de certains artistes programmés. C’est un petit monde, un petit cercle, dans lequel tout le monde se connaît, tout le monde s’entraide, y compris avec l’argent du contribuable et tout cela au nom de la sacro-sainte « culture » , mot derrière lequel on met désormais tout et n »importe quoi. Il faudrait un grand coup de balais pour faire éclater au grand jour ce qu’il se passe depuis des années, c’est tentaculaire. » conclut le conseiller municipal d’opposition de la ville de Rennes, qui n a pas oublié la contestation qui avait eu lieu à proximité du TNB en 2011, lorsque la direction avait programmé la pièce très controversée de Castelluci sur le visage du Christ.
- Source : redacbzhinfo