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Une alimentation «accro» au pétrole

Auteur : Esther VIVAS | Editeur : Walt | Vendredi, 06 Juin 2014 - 22h47

Même si nous ne nous en rendons pas compte, nous mangeons du pétrole. Le mode actuel de production, de distribution et de consommation d’aliments est «accro» à l’ «or noir». Sans pétrole, nous ne pourrions pas manger comme nous le faisons. Néanmoins, dans un contexte où il sera de plus en plus difficile d’exploiter un pétrole de plus en plus cher, comment ferons-nous pour nous alimenter ?

L’introduction de mécanisation agricole à grande échelle fut l’un des premiers pas. En 1850 aux Etats-Unis, par exemple, la traction animale était la principale source d’énergie à la campagne, représentant 53% du total, suivie par la force humaine, avec 13%. Cent ans plus tard, en 1950, toutes deux ne représentaient qu’à peine 1% à la suite de l’introduction de machines à combustible fossile. La dépendance des machines agricoles (tracteurs, moissonneuses-batteuses, camions…), plus nécessaire encore dans les grandes exploitations et les monocultures, est énorme. C’est donc dès la production que l’agriculture est «accro» au pétrole.

Le système agricole actuel, avec les cultures d’aliments dans d’immenses serres indépendamment de la saison et du climat, a besoin des produits dérivés du pétrole et signifie une consommation d’énergie élevée. Des tuyaux aux emballages rembourrés, des bâches jusqu’aux toits, tout est en plastique. L’utilisation intensive de fertilisants et de pesticides chimiques est une illustration de plus de l’addiction du modèle alimentaire actuel au pétrole. La commercialisation de fertilisants et de pesticides a augmenté de 18% à 160% entre les années 1980 et 1998. Le système agricole dominant a besoin de fortes doses de fertilisants élaborés à base de pétrole et de gaz naturel, comme l’ammoniac, l’urée, etc…, qui remplacent les nutriments du sol. Des multinationales pétrolières, comme Repsol, Exxon Mobile, Shell, Petrobras, investissent dans la production et la commercialisation de fertilisants agricoles.

Les pesticides chimiques de synthèse sont une autre cause importante de dépendance à ce combustible fossile et, en conséquence, et du besoin de pétrole pour les élaborer. Et tout cela sans parler de l’impact écologique de l’utilisation de ces agents agro-toxiques, la contamination et l’épuisement des sols et des eaux, ainsi que l’impact sur la santé des paysans et des consommateurs.

On observe également la dépendance vis-à-vis du pétrole dans les longs trajets que réalisent les aliments de leur lieu de culture jusqu’à leur consommation. On estime que la nourriture voyage en moyenne quelques 5.000 Km du champ à l’assiette, avec la consommation consécutive d’hydrocarbures et son impact environnemental. Ces « aliments voyageurs », selon le rapport cité, génèrent presque 5 millions de tonnes de CO2 par an, contribuant ainsi à l’aggravation du changement climatique.

Dans la course au profit maximal, la mondialisation alimentaire délocalise la production d’aliments, comme elle l’a fait dans d’autres domaines de l’économie productive. Elle produit à grande échelle dans les pays du Sud, en profitant de conditions de travail précaires et d’une législation environnementale inexistante, pour revendre ensuite ces marchandises dans nos pays à un prix compétitif. A l’inverse, elle produit au Nord grâce aux subventions agricoles bénéficiant aux grandes entreprises, pour ensuite commercialiser ces marchandises subventionnées à l’autre bout de la planète, en vendant en dessous du prix de revient et en faisant une concurrence déloyale aux productions autochtones. C’est ici que réside l’explication des aliments kilométriques : le profit maximal pour quelques uns d’une part, et la précarité, la pauvreté et la contamination environnementale maximum pour la majorité de l’autre.

En 2007, on a importé dans l’Etat espagnol plus de 29 millions de tonnes d’aliments, soit 50% de plus qu’en 1995. Les trois quarts de ces importations étaient constituées de céréales, de dérivés de céréales et d’aliments pour l’élevage industriel de bétail provenant majoritairement d’Europe et d’Amérique centrale et du sud. Même des aliments typiques du pays, comme les pois chiches et le vin, parcourent jusqu’à plusieurs milliers de Kms de distance avant d’être consommés. 87% des pois chiches que nous mangeons proviennent du Mexique, tandis qu’en Espagne leur culture a connu une chute libre. Quel est l’intérêt de ce genre de chassé-croisé international d’aliments d’un point de vue social et écologique ? Aucun.

Un plat dominical typique en Grande-Bretagne est fait à base de pommes de terre d’Italie, de carottes d’Afrique du Sud, d’haricots de Thaïlande, de veau d’Australie, de brocolis du Guatemala ; des fraises de Californie et des airelles de Nouvelle Zélande comme dessert génèrent, selon le rapport « Eating Oil : food supply in a changing climate », 650 fois plus de gaz à effet de serre à cause du transport de ces ingrédients que s’ils avaient été cultivés et achetés localement. Le chiffre total de Kms que l’ensemble de ces « aliments voyageurs » cumulent du champ à l’assiette est de 81.000, soit l’équivalent de deux tours du monde. Il s’agit là d’une chose irrationnelle si on tient compte du fait que bon nombre de ces produits sont cultivés dans le pays. La Grande-Bretagne importe de grandes quantités de lait, de porcs, d’agneaux et d’autres aliments de base, en dépit du fait qu’elle exporte des quantités similaires de ces mêmes produits. Et c’est la même chose chez nous.

Et que se passe-t-il lorsque les aliments arrivent au supermarché ? Du plastique et encore plus de plastique, avec des dérivés du pétrole. On trouve ainsi un emballage primaire, qui contient l’aliment, avec un emballage secondaire qui permet une exhibition attractive sur l’étalage et, finalement, des sacs en plastique pour emporter les achats à la maison. En Catalogne, par exemple, sur les 4 millions de tonnes de déchets annuels, 25% correspondent à des emballages en plastique. Une étude commandée par l’Agència Catalana del Consum concluait que l’achat dans des magasins de proximité réduisait de 69% les déchets par rapport à un supermarché ou à une grande surface.

La grande distribution n’a pas seulement généralisé la consommation d’énormes quantités de plastique, elle a également contribué au développement de l’automobile pour aller faire les courses. La prolifération des hypermarchés, des grands magasins et des centres commerciaux à l’extérieur des villes a favorisé l’utilisation de la voiture privée pour se déplacer jusqu’à ces établissements. Plus de Kms, c’est plus de pétrole et plus de CO2 au détriment, en outre, du commerce de proximité. Si, en 1998, il existait dans l’Etat espagnol plus de 95.000 magasins, en 2004 ce chiffre s’était réduit à 25.000.

Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la production de pétrole conventionnel a atteint son sommet en 2006. Dans un monde où le pétrole se raréfie, comment et qu’allons nous manger ? En premier lieu, il est nécessaire de prendre en compte le fait que plus d’agriculture industrielle, intensive, kilométrique et globalisée signifie plus de dépendance au pétrole. Par contre, un système paysan, agro-écologique, de proximité, de saison, est moins « accro » aux combustibles fossiles. La conclusion, je pense, est claire.


- Source : Esther VIVAS

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