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Jeudi, 28 Nov. 2024

A Gaza, l’Occident déborde de compassion pour les bourreaux

Auteur : Alain Marshal, Nadeen Ebrahim, et Mike Schwartz | Editeur : Walt | Jeudi, 24 Oct. 2024 - 15h11

Un article de CNN, consacré au suicide d’un soldat israélien ayant servi à Gaza, déplore l’impact psychologique des horreurs perpétrées par l’armée d’occupation non pas du côté des victimes, mais des criminels. Il pousse l’infamie jusqu’à plaindre le soldat de ne plus pouvoir manger de viande après avoir écrabouillé des centaines de Palestiniens morts ou vifs, sans sourciller sur cette atrocité

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Un article publié récemment par CNN est consacré au suicide d’un soldat israélien traumatisé après avoir servi à Gaza. L’article se penche sur les conséquences psychologiques des opérations, mais déplore surtout les effets sur les soldats israéliens eux-mêmes, reléguant au second plan les victimes civiles palestiniennes. Le récit, qui incarne parfaitement une tendance médiatique généralisée en Occident, pleure le sort des bourreaux tout en invisibilisant les souffrances de leurs victimes directes, qui ne semblent être là que pour valoriser l’oraison funèbre de criminels de guerre voire de criminels contre l’humanité.

Le texte de CNN, intitulé “He got out of Gaza, but Gaza did not get out of him”, se focalise sur le cas d’Eliran Mizrahi, un réserviste israélien qui, après avoir été déployé 4 mois à Gaza en tant que conducteur de bulldozer, s’est suicidé à cause du stress post-traumatique (PTSD) qu’il a développé. Dans un témoignage qui se veut poignant, et qui constitue le titre de l’article, sa mère raconte : « Il a quitté Gaza, mais Gaza ne l’a jamais quitté. » Les journalistes s’attardent longuement sur le désespoir de la famille, le fardeau moral d’Eliran Mizrahi et la souffrance psychologique de ceux qui en Israël, comme lui, ont été confrontés à la violence de la guerre à Gaza. Pourtant, derrière ce drame individuel, CNN passe à côté d’une analyse plus large et nécessaire : celle des actions génocidaires de l’armée israélienne dans une guerre qui a tué plus de 42 000 personnes (voire plus de 200 000 selon les estimations du Lancet), en grande majorité des femmes et des enfants.

Ne serait-il pas infiniment plus à propos d’exprimer de l’empathie pour les civils palestiniens, qui vivent sous blocus depuis des décennies et sont écrasés sous les bombes depuis plus d’un an, n’ayant aucune possibilité de fuir les massacres (un terme réservé au victimes israéliennes du 7 octobre), la famine et la terreur qui leur sont imposés (« terrorisme » est également un terme réservé aux Palestiniens) ? Certes, l’article mentionne brièvement la souffrance palestinienne, mais elle est reléguée en toile de fond, noyée dans un flot de sympathie pour Mizrahi et ses camarades d’armes.

« Ils ont vu des choses que l’on n’avait jamais vues en Israël », déclare la mère du soldat israélien, comme pour excuser les actes de violence perpétrés par ces mêmes soldats, qui sont présentés comme de simples témoins d’horreurs, et non comme les auteurs d’atrocités : énormément de civils sont certes « tués », mais leurs meurtriers ne sont jamais clairement identifiés dans l’article. C’est ici que réside l’obscénité morale de l’article : on pleure un homme qui, d’après l’aveu d’un de ses camarades, a dû « écraser » par centaines des corps vivants et morts alors qu’il était aux commandes de son bulldozer. Au lieu de mettre cela en titre ou en sous-titre de l’article, de se demander comment une telle horreur est possible, car ces actes de cruauté massifs et injustifiables ne sauraient qu’être délibérés, CNN n’en parle que comme d’un détail, en se focalisant sur son incapacité à manger de la viande par la suite. « Quand tu vois autant de viande et de sang… cela te coupe l’envie de manger », confie un ancien soldat, Guy Zaken.

Au lieu de concentrer son attention sur la dévastation apocalyptique de l’enclave de Gaza, l’article s’évertue à peindre en victimes des soldats israéliens responsables de cette dévastation, au nom de cette conception biaisée de l’impartialité qui consiste non plus à donner la parole aux deux côtés et à laisser les auditeurs se faire leur propre idée, ce qui serait déjà problématique, mais à donner 90% du temps de parole à l’oppresseur, à prendre pour argent comptant sa version des faits et à reprendre ses éléments de langage, tout en mettant en doute le récit de l’autre partie. Cette démarche est aux antipodes de celle que prônait Robert Fisk, reporter de guerre du Times puis, après en avoir démissionné à cause de la censure d’un de ses articles dénonçant la responsabilité des Etats-Unis dans le drame du vol Iran Air 655, de The Independent : « Je dis toujours que les journalistes doivent être neutres et impartiaux du côté de ceux qui souffrent. Si vous couvriez la traite des esclaves au XVIIIe siècle, vous n’accorderiez pas la même place au capitaine du navire négrier [qu’à l’esclave]. Lors de la libération d’un camp d’extermination, vous n’accordez pas le même temps aux SS [qu’aux prisonniers]. » Mais le journalisme actuel semble consister à interviewer des gardiens de camps nazis qui, après avoir vu tant de cadavres décharnés, déplorent ne plus pouvoir manger de côtelettes, ou un capitaine de négrier qui se plaindrait d’avoir perdu du poids pendant la traversée à cause des « mauvaises odeurs » et des « jérémiades incessantes » qui montaient de la soute. Tout en ajoutant, avec des trémolos dans la voix, une photo de ces bourreaux lorsqu’ils étaient de mignons petits enfants (et non lorsqu’ils posent fièrement devant les décombres des bâtiments résidentiels qu’ils ont détruit), et en versant ici et là une larme de crocodile sur les souffrances de leurs victimes pour se donner une contenance. Une telle déshumanisation des victimes, doublée d’une empathie aussi dérisoire qu’immonde pour leurs bourreaux, serait immédiatement condamnée par un torrent d’outrage légitime. Pourtant, CNN et l’ensemble du système politique et médiatique occidental semblent accepter, tantôt de manière tacite (voire inconsciente), tantôt de manière assumée, cette inversion morale lorsqu’il s’agit d’Israël et de la Palestine.

De plus, l’article de CNN accorde une grande place à la défense des soldats, qui, sans être remis en cause, justifient leurs actes en qualifiant tous les Palestiniens de « terroristes ». Zaken, qui conduisait le bulldozer aux côtés de Mizrahi, affirme : « La majorité de ceux que nous avons vus étaient des terroristes. » La guerre d’extermination assumée par les déclarations les plus explicites des responsables israéliens, qui vise à procéder au nettoyage ethnique de la bande de Gaza, est encore présentée par les journalistes comme une « guerre contre le Hamas ». Cette déshumanisation systématique des Palestiniens, décrits comme indissociables du Hamas, légitime implicitement les actes de violence perpétrés contre eux, y compris ceux contre des civils, principales victimes non seulement « selon le ministère de la santé de Gaza », certes contrôlé par le Hamas (autre précision ignoble dont sont coutumiers nos médias, qui vise à minimiser et décrédibiliser les chiffres vertigineux de la mortalité à Gaza), mais également selon les organismes internationaux.

L’occultation délibérée des souffrances palestiniennes et la focalisation sur les bourreaux reflètent un biais profond dans la manière dont les médias occidentaux abordent ce conflit. L’article se targue de toucher à la douleur indicible des soldats israéliens, tout en noyant les quelques éléments mentionnant les civils palestiniens dans un récit compassionnel centré sur la famille du criminel de guerre. Ainsi, CNN incarne les « valeurs » occidentales de manière particulièrement frappante, où les vies palestiniennes semblent tout à fait insignifiantes par rapport à celles de leurs oppresseurs. On pense à la fameuse phrase, apocryphe, attribuée à Golda Meir, ancienne première ministre israélienne, selon laquelle « On peut pardonner aux Palestiniens de tuer nos enfants ; nous ne leur pardonnerons jamais de nous forcer à tuer les leurs », comble de la déshumanisation et de l’immoralité, invitant à verser des larmes sur les pauvres Israéliens qui, malgré leur humanité éthérée, seraient contraints par des Palestiniens intrinsèquement barbares à commettre des crimes atroces « à l’insu de leur plein gré ». Le mythe des « boucliers humains », insidieusement cautionné par cet article, relève de la même abjecte inversion accusatoire, ne se souciant ni des faits (ces accusations sont gratuites et ont été réfutées de longue date, Israël étant la seule partie à utiliser les Palestiniens comme boucliers humains depuis des décennies), ni de la logique (car prendre des boucliers humains n’aurait de sens que face à un adversaire qui se soucierait de leur vie, quand Israël cible délibérément les civils), et consistant à donner carte blanche à Israël pour perpétrer tous les crimes possibles et imaginables, comme le font ouvertement les responsables américains et même allemands.

En fin de compte, cette couverture médiatique constitue une infamie morale, une trahison des principes universels de justice. La douleur d’un soldat qui ne peut plus manger de viande après avoir « écrasé » des Palestiniens, vivants ou morts, est-elle réellement la priorité journalistique dans une guerre marquée par tant d’horreurs ? Un article consacré à la souffrance psychologique d’un combattant du Hamas responsable des « massacres » allégués du 7 octobre serait-il seulement concevable ? Quand bien même cette perte d’appétit du soldat israélien aurait été mentionnée en une demi-ligne dans un livre de 1 000 pages exclusivement consacré aux souffrances palestiniennes, elle relèverait de l’indécence, sauf si elle n’avait d’autre but que de souligner la déshumanisation des Palestiniens. L’article de CNN fait précisément le contraire : les centaines de Palestiniens « écrasés… morts ou vivants, par centaines », dont les entrailles « giclent », n’ont d’autre intérêt que de rendre cette perte d’appétit bien compréhensible. Le travail de ces deux journalistes, centré sur le sort des bourreaux, déshonore non seulement les victimes palestiniennes, mais aussi la déontologie et les valeurs humaines que le journalisme et l’Occident en général prétendent défendre. C’est par ce même type de « compassion » envers ses hommes psychologiquement troublés par les fusillades de masse à l’Est que Himmler a finalement opté pour les chambres à gaz qui déresponsabilisaient ses hommes.

Dans son ouvrage magistral La Grande guerre pour la civilisation, Robert Fisk proposait une saine définition du journalisme :

« Je suppose qu’en fin de compte, nous, les journalistes, essayons – ou devrions essayer – d’être les premiers témoins impartiaux de l’histoire. Si nous avons une raison d’être, la moindre doit être notre capacité à raconter l’histoire telle qu’elle se déroule afin que personne ne puisse dire : ‘Nous ne savions pas, personne ne nous l’a dit.” Amira Hass, la brillante journaliste israélienne du journal Ha’aretz dont les articles sur les territoires palestiniens occupés ont éclipsé tout ce qui était écrit par des journalistes non israéliens, a discuté de ce point avec moi il y a plus de deux ans. J’insistais sur le fait qu’on avait vocation à écrire les premières pages de l’histoire mais elle m’a interrompu. ‘Non, Robert, tu as tort. Notre travail consiste à surveiller les centres de pouvoir.’ Et je pense qu’en fin de compte, c’est la meilleure définition du journalisme que j’ai entendue : défier l’autorité – toute autorité… surtout lorsque les gouvernements et les hommes politiques nous entraînent à la guerre, lorsqu’ils ont décidé qu’ils tueraient et que d’autres mourraient ».

Malheureusement, nos journalistes actuels ont pour seule vocation de servir de porte-voix aux criminels, qui agissent avec la complicité active de nos gouvernements—qui, soit dit en passant, subventionnent grassement les médias. Nous proposons ci-dessous la traduction intégrale de cet article de CNN, afin que chacun puisse se faire son opinion. Il mériterait de figurer dans un « Musée des Horreurs » de la mentalité raciste et coloniale qui imprègne encore trop l’Occident.

Alain Marshal

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Il a quitté Gaza, mais Gaza ne l’a pas quitté : les soldats israéliens de retour de la guerre luttent contre les traumatismes et le suicide

Par Nadeen Ebrahim et Mike Schwartz, CNN, lundi 21 octobre 2024

Traduction Alain Marshal

Note de l’éditeur : Cette histoire contient des détails sur le suicide et la violence qui pourraient choquer certains lecteurs.

Eliran Mizrahi, qui s’est suicidé en juin, photographié à Gaza. Photo fournie par la famille d’Eliran Mizrachi 

Tel Aviv et Ma’ale Adumim, CNN — Eliran Mizrahi, 40 ans et père de quatre enfants, a été déployé à Gaza après l’attaque meurtrière du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.

Ce réserviste de l’armée israélienne est revenu changé, profondément traumatisé par ce qu’il avait vécu lors de la guerre contre le Hamas dans la bande de Gaza, a déclaré sa famille à CNN. Six mois après son envoi au combat, il luttait contre un trouble de stress post-traumatique (TSPT) à son retour chez lui. Avant son redéploiement, il a mis fin à ses jours.

« Il est sorti de Gaza, mais Gaza n’est pas sortie de lui. Et il est mort après, à cause du post-traumatisme », a confié sa mère, Jenny Mizrahi.

L’armée israélienne a déclaré qu’elle offrait des soins à des milliers de soldats souffrant de TSPT ou de maladies mentales causées par les traumatismes subis pendant la guerre. On ne sait pas exactement combien d’entre eux ont mis fin à leurs jours, les Forces de défense israéliennes (FDI) n’ayant pas communiqué de chiffres officiels.

La tombe d’Eliran Mizrahi est ornée de fleurs et du drapeau israélien lors de son enterrement militaire à Jérusalem, le 13 juin 2024. Famille d’Eliran Mizrahi

Un an plus tard, la guerre menée par Israël à Gaza a causé la mort de plus de 42 000 personnes, selon le ministère de la santé de la bande de Gaza, et les Nations unies rapportent que la majorité des victimes sont des femmes et des enfants.

La guerre, déclenchée après que le Hamas a tué 1 200 personnes et pris plus de 250 otages, est déjà la plus longue menée par Israël depuis la création de l’État juif. Alors qu’elle s’étend désormais au Liban, certains soldats craignent d’être enrôlés dans un nouveau conflit.

« Beaucoup d’entre nous ont très peur d’être à nouveau enrôlés dans une guerre au Liban », a déclaré à CNN un infirmier de l’armée israélienne ayant servi quatre mois à Gaza, souhaitant garder l’anonymat en raison de la sensibilité de la question. « Beaucoup d’entre nous ne font pas confiance au gouvernement en ce moment ».

À de rares exceptions près, les autorités israéliennes ont restreint l’accès à Gaza pour les journalistes étrangers, sauf s’ils sont escortés par les forces israéliennes, ce qui complique la tâche de rendre compte de l’ampleur des souffrances palestiniennes ou des expériences des soldats sur le terrain. Les soldats israéliens ayant combattu dans l’enclave ont déclaré à CNN qu’ils avaient été témoins d’horreurs que le monde extérieur ne pourra jamais vraiment comprendre. Leurs témoignages offrent un aperçu rare de la brutalité de ce que les critiques qualifient de « guerre éternelle » du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, ainsi que du tribut intangible qu’elle impose aux soldats qui y participent.

Pour de nombreux soldats, la guerre à Gaza représente un combat pour la survie d’Israël et doit être remportée par tous les moyens. Toutefois, cette bataille entraîne également des conséquences psychologiques qui, en raison de la stigmatisation, restent largement invisibles. Des entretiens avec des soldats israéliens, un médecin et la famille de Mizrahi, le réserviste qui s’est suicidé, permettent de mieux comprendre le fardeau psychologique que la guerre impose à la société israélienne.

Le bilan en matière de santé mentale

Mizrahi a été déployé à Gaza le 8 octobre de l’année dernière et avait pour mission de conduire un bulldozer D-9, un véhicule blindé de 62 tonnes capable de résister aux balles et aux explosifs.

Il a passé la majeure partie de sa vie en tant que civil, travaillant comme directeur dans une entreprise de construction israélienne. Après avoir été témoin des massacres perpétrés par le Hamas, il a ressenti le besoin de se battre, a expliqué Jenny à CNN.

Le réserviste a passé 186 jours dans l’enclave avant de subir des blessures au genou, puis des lésions auditives en février, lorsqu’une grenade propulsée par fusée (RPG) a touché son véhicule, selon sa famille. Il a été évacué de Gaza pour recevoir des soins et, en avril, on lui a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique, pour lequel il a suivi une thérapie hebdomadaire.

Son traitement n’a pas porté ses fruits.

« Ils ne savaient pas comment traiter ces soldats », a déclaré Jenny, qui vit dans la colonie israélienne de Ma’ale Adumim, en Cisjordanie occupée. « Ils (les soldats) disaient que la guerre était tellement différente. Ils ont vu des choses jamais vues en Israël. »

Lorsque Mizrahi était en permission, il souffrait d’accès de colère, de transpiration excessive, d’insomnie et de retrait social, selon sa famille. Il affirmait que seuls ceux qui avaient été à Gaza avec lui pouvaient comprendre ce qu’il vivait.

« Il disait toujours que personne ne comprendrait ce que j’ai vu », a confié sa sœur, Shir, à CNN.

Jenny s’est demandé si son fils avait tué quelqu’un et ne pouvait pas le supporter.

Des Palestiniens déplacés marchent sur un chemin de terre bordé de débris dans le quartier de Shejaiya, à Gaza, le 7 octobre 2024. Omar Al-Qattaa/AFP/Getty Images

« Il a vu beaucoup de gens mourir. Il a peut-être même tué quelqu’un. (Mais) nous n’apprenons pas à nos enfants à faire ce genre de choses », a-t-elle dit. « Donc, quand il a fait ça, peut-être que cela a été un choc pour lui ».

Guy Zaken, ami de Mizrahi et copilote du bulldozer, a apporté un éclairage supplémentaire sur leur expérience à Gaza. « Nous avons vu des choses très, très, très difficiles », a déclaré M. Zaken à CNN. « Des choses difficiles à accepter ».

L’ancien soldat a témoigné publiquement des traumatismes psychologiques subis par les troupes israéliennes à Gaza. Lors d’une audition devant la Knesset, le parlement israélien, en juin, M. Zaken a déclaré qu’à plusieurs reprises, les soldats avaient dû « écraser des terroristes, morts ou vivants, par centaines ».

« Tout gicle », a-t-il ajouté.

Zaken explique qu’il ne peut plus manger de viande, car cela lui rappelle les scènes horribles auxquelles il a assisté depuis son bulldozer à Gaza, et qu’il a du mal à dormir la nuit, le bruit des explosions résonnant dans sa tête.

« Quand vous voyez beaucoup de viande à l’extérieur, et du sang… le nôtre et le leur (Hamas), cela vous affecte vraiment quand vous mangez », a-t-il déclaré à CNN, qualifiant les corps de « viande ».

Il soutient que la grande majorité de ceux qu’il a rencontrés étaient des « terroristes ».

« Les civils que nous avons vus, nous les avons arrêtés et leur avons apporté de l’eau à boire, et nous les avons laissés manger de notre nourriture », a-t-il rappelé, ajoutant que même dans de telles situations, les combattants du Hamas leur tiraient dessus.

« Il n’y a donc pas de citoyens », a-t-il déclaré, faisant référence à la capacité des combattants du Hamas à se fondre dans la population civile. « C’est du terrorisme ».

Cependant, lorsque les soldats rencontrent des civils, beaucoup sont confrontés à un dilemme moral, selon l’infirmier de Tsahal qui a parlé à CNN sous couvert d’anonymat.

Il y avait une « attitude collective très forte » de méfiance parmi les soldats israéliens à l’égard des Palestiniens de Gaza, surtout au début de la guerre, a déclaré l’infirmier.

On pensait que les habitants de Gaza, y compris les civils, « étaient mauvais, qu’ils soutenaient le Hamas, qu’ils aidaient le Hamas, qu’ils cachaient des munitions », a-t-il expliqué.

Sur le terrain, cependant, certaines de ces attitudes ont changé « lorsque vous voyez des civils gazaouis sous vos yeux », a-t-il précisé.

Les forces israéliennes ont affirmé qu’elles faisaient tout leur possible pour minimiser les pertes civiles à Gaza, notamment en envoyant des messages sms, en passant des appels téléphoniques et en distribuant des tracts d’évacuation pour alerter les civils avant les attaques.

Malgré cela, des civils de Gaza ont été tués à plusieurs reprises et en grand nombre, y compris lorsqu’ils s’abritaient dans des zones que l’armée elle-même avait désignées comme des « zones de sécurité ».

Le bilan en matière de santé mentale à Gaza risque d’être énorme. Les organisations humanitaires et les Nations unies ont souligné à plusieurs reprises les conséquences catastrophiques de la guerre sur la santé mentale des civils de Gaza, dont beaucoup ont déjà été marqués par un blocus de 17 ans et plusieurs guerres avec Israël. Dans un rapport publié en août, les Nations unies ont indiqué que les expériences des habitants de Gaza défiaient « les définitions biomédicales traditionnelles » du syndrome de stress post-traumatique, « étant donné qu’il n’y a pas de ‘post’ dans le contexte de Gaza ».

Après que Mizrahi a mis fin à ses jours, des vidéos et des photos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant le réserviste en train de détruire des maisons et des bâtiments à Gaza et posant devant des structures vandalisées. Certaines de ces images, qui auraient été publiées sur ses comptes de réseaux sociaux aujourd’hui supprimés, ont été montrées dans un documentaire pour lequel il avait été interviewé sur la chaîne israélienne Channel 13.

Sa sœur, Shir, a déclaré avoir vu de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux accusant Mizrahi d’être « un meurtrier », l’injuriant et répondant avec des émojis désagréables.

« C’était difficile », a-t-elle déclaré, ajoutant qu’elle faisait de son mieux pour ne pas y prêter attention. « Je sais qu’il avait bon cœur ».

Débarrasser les morts et les débris

Ahron Bregman, politologue au King’s College de Londres, qui a servi dans l’armée israélienne pendant six ans, notamment lors de la guerre du Liban en 1982, a affirmé que la guerre à Gaza ne ressemblait à aucune autre guerre menée par Israël.

« C’est très long », a-t-il dit, et c’est urbain, ce qui signifie que les soldats se battent au milieu d’un grand nombre de personnes, « la grande majorité étant des civils ».

Les conducteurs de bulldozers font partie de ceux qui sont le plus directement exposés à la brutalité de la guerre, selon M. Bregman. « Ce qu’ils voient, ce sont des morts, et ils les dégagent (avec) les débris », a-t-il déclaré à CNN. « Ils leur roulent dessus ».

Des femmes palestiniennes pleurent un parent tué lors d’un bombardement israélien dans la bande de Gaza, à l’hôpital de Deir al-Balah, le 22 mars 2024. Abdel Kareem Hana/AP

Pour beaucoup, la transition du champ de bataille à la vie civile peut être accablante, surtout après une guerre urbaine qui a entraîné la mort de femmes et d’enfants, a expliqué M. Bregman.

« Comment pouvez-vous mettre vos enfants au lit alors que vous avez vu des enfants tués à Gaza ? »

Malgré le syndrome de stress post-traumatique dont souffrait Mizrahi, sa famille a déclaré qu’il avait accepté de retourner à Gaza lorsqu’il a été rappelé. Deux jours avant son redéploiement, il s’est suicidé.

Dans sa maison, Jenny a consacré une pièce à la mémoire de son fils décédé, avec des photos de son enfance et de son travail dans le bâtiment. Parmi les objets que sa mère a conservés figure la casquette que Mizrahi portait lorsqu’il s’est tiré une balle dans la tête, les impacts de balle étant clairement visibles.

La famille de Mizrahi a commencé à parler de sa mort après que l’armée israélienne lui a refusé un enterrement militaire, arguant qu’il n’était pas « en service de réserve actif ». Les autorités militaires ont ensuite changé d’avis.

Eliran Mizrahi, enfant, dans un collage de photos encadré dans la maison familiale, en Cisjordanie occupée.

Le journal israélien Haaretz a rapporté que dix soldats se sont suicidés entre le 7 octobre et le 11 mai, selon des données militaires obtenues par le journal.

Interrogé par CNN sur le nombre de suicides dans l’armée israélienne depuis le début de la guerre, Uzi Bechor, psychologue et commandant de l’unité de réponse au combat de l’armée israélienne, a déclaré que le corps médical n’était pas autorisé à divulguer de chiffres, et que l’armée estimait que le taux de suicide était pratiquement inchangé.

« Le taux de suicide dans l’armée est plus ou moins stable depuis cinq ou six ans », a déclaré Bechor, notant qu’il a en fait diminué au cours des dix dernières années. Même si le nombre de suicides est plus élevé, a-t-il ajouté, le ratio jusqu’à présent « est assez identique à celui de l’année précédente parce que nous avons plus de soldats ».

« Cela ne signifie pas qu’il y a une tendance à l’augmentation du nombre de suicides », a déclaré M. Bechor à CNN. Il n’a pas fourni à CNN le nombre de suicides ni leur taux. « Chaque cas nous brise le cœur », a-t-il déclaré.

Cependant, plus d’un tiers des soldats retirés du combat souffrent de problèmes de santé mentale. Dans une déclaration faite en août, la division de réhabilitation du ministère israélien de la Défense a indiqué que chaque mois, plus de 1 000 nouveaux soldats blessés sont retirés des combats pour être soignés. Parmi eux, 35 % se plaignent de leur état mental, et 27 % développent « une réaction mentale ou un syndrome de stress post-traumatique ».

Elle a ajouté que d’ici la fin de l’année, 14 000 combattants blessés devraient être admis pour soins, dont environ 40 % devraient faire face à des problèmes de santé mentale.

Plus de 500 personnes meurent par suicide en Israël et plus de 6 000 autres tentent de se suicider chaque année, selon le ministère de la Santé du pays, qui note que « les chiffres mentionnés sont sous-estimés d’environ 23 % ».

En 2021, le suicide a été la principale cause de décès parmi les soldats de Tsahal, a rapporté le Times of Israel, citant des données militaires indiquant qu’au moins 11 soldats avaient mis fin à leurs jours cette année-là.

Au début de l’année, le ministère de la Santé a cherché à « démentir les rumeurs d’augmentation des taux de suicide depuis le 7 octobre », affirmant que les cas signalés étaient des « incidents isolés dans les médias et les réseaux sociaux ». Sans fournir de chiffres, le ministère a déclaré qu’il y avait eu une « diminution du nombre de suicides en Israël entre octobre et décembre par rapport aux mêmes mois de ces dernières années ».

M. Bregman, vétéran de la guerre du Liban, a déclaré qu’il était désormais plus facile de parler du syndrome de stress post-traumatique et d’autres problèmes de santé mentale qu’au cours des années 1970 et 1980, grâce à la diminution de la stigmatisation. Néanmoins, il a ajouté que les soldats qui sortent de Gaza « porteront (leurs expériences) pour le reste de leur vie ».

L’infirmier de Tsahal qui a parlé à CNN a déclaré qu’un responsable de la santé mentale était affecté à chaque unité de l’armée pendant et après le déploiement. L’impact de la guerre persiste néanmoins, a déclaré l’infirmier, avec des soldats aussi jeunes que 18 ans souffrant de traumatismes mentaux à Gaza. Ils pleuraient souvent ou semblaient émotionnellement engourdis, a-t-il ajouté.

Normaliser l’anormal

Le psychologue de l’armée israélienne, M. Bechor, a déclaré que l’un des moyens utilisés par l’armée pour aider les soldats traumatisés à reprendre leur vie est d’essayer de « normaliser » ce qu’ils ont vécu, notamment en leur rappelant les horreurs commises le 7 octobre.

« Cette situation n’est pas normale pour des êtres humains », a déclaré M. Bechor, ajoutant que lorsque les soldats reviennent du champ de bataille avec des symptômes de stress post-traumatique, ils se demandent : « Comment puis-je rentrer chez moi après ce que j’ai vu ? Comment puis-je interagir avec mes enfants après ce que j’ai vu ? »

« Nous essayons de normaliser cela et de les aider à se souvenir de leurs valeurs et des raisons pour lesquelles ils sont allés là-bas (à Gaza) », a-t-il déclaré à CNN.

Pour les dizaines de milliers d’Israéliens qui se sont portés volontaires ou qui ont été appelés à combattre, la guerre à Gaza était perçue non seulement comme un acte d’autodéfense, mais aussi comme une bataille existentielle. Cette notion a été défendue par les principaux dirigeants politiques et militaires israéliens, ainsi que par les alliés internationaux d’Israël.

Des soldats portent le cercueil d’un capitaine israélien tué lors de combats dans le sud de la bande de Gaza, lors de ses funérailles à Beit Jann, en Israël, le 16 juin 2024. Amir Levy/Getty Images

M. Netanyahou a qualifié le Hamas de « nouveaux nazis » et le président américain Joe Biden a déclaré que « l’ancienne haine des Juifs » entérinée par les nazis avait été « ramenée à la vie » le 7 octobre.

Les menaces extérieures pesant sur leur pays ont unifié de nombreux Israéliens, mettant en veilleuse les querelles politiques internes qui divisaient la société depuis des mois. Pendant ce temps, la souffrance des Palestiniens a été largement absente des écrans de télévision israéliens, dominés par les nouvelles concernant les otages de Gaza.

Après les attaques du Hamas, les sondages ont montré que la plupart des Israéliens soutenaient la guerre à Gaza et ne voulaient pas que leur gouvernement mette fin aux combats, même en négociant la libération des otages kidnappés. À l’occasion du premier anniversaire de l’attaque du 7 octobre, un sondage publié par l’Institut israélien de la démocratie a révélé que seuls 6 % des Israéliens pensent que la guerre à Gaza devrait être arrêtée en raison du « coût élevé en vies humaines ».

Certains soldats, cependant, ne pouvaient pas rationaliser les horreurs qu’ils avaient vues.

À son retour de Gaza, Mizrahi disait souvent à sa famille qu’il sentait un « sang invisible » sortir de lui, a déclaré sa mère.

Shir, sa sœur, accuse la guerre d’être à l’origine de la mort de son frère. « À cause de l’armée, à cause de cette guerre, mon frère n’est pas là », a-t-elle déclaré. « Il n’est peut-être pas mort d’une balle (de combat) ou d’une grenade, mais il est mort d’une balle invisible », a-t-elle ajouté, faisant référence à ses souffrances psychologiques.


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