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Vendredi, 27 Déc. 2024

Les États-Unis attaquent la coopération nucléaire Framatome-Rosatom. Où va s’arrêter la destruction de notre économie et de ses atouts ?

Auteur : Thomas Dereux | Editeur : Walt | Mercredi, 24 Avr. 2024 - 11h11

Une récente enquête du Canard Enchaîné révèle les coulisses d’une possible offensive contre la France de notre excellent allié états-unien visant à briser l’alliance stratégique entre Framatome, entreprise française, et Rosatom, géant russe du nucléaire civil. Un potentiel changement de fournisseur redéfinirait les frontières de la souveraineté nucléaire européenne dans cette guerre économique déclarée par les États-Unis, au profit de l’américain Westinghouse.

Potentielle offensive américaine contre l’alliance franco-russe 

Le 27 mars dernier, Le Canard Enchaîné (n°5394) a fait paraître un article révélant une potentielle offensive américaine contre l’alliance franco-russe dans le nucléaire civil. En effet, en 2021, l’entreprise française Framatome et le groupe russe Rosatom ont signé un «accord stratégique de coopération à long terme, visant à consolider les efforts des deux entreprises pour développer des technologies de fabrication de combustible et de systèmes de contrôle-commande».

L’ambassade de France aux États-Unis aurait été interrogée sur les liens existant entre Paris et le champion russe du nucléaire civil. Cette demande apparaît dans le contexte d’un projet de loi adopté en décembre dernier par la Chambre des représentants, interdisant les importations d’uranium en provenance de Russie. Les États-Unis, également en partie tributaires de l’uranium russe, chercheraient à s’affranchir de la dépendance russe. Le camp Républicains, qui sera peut-être au pouvoir à l’issue des prochaines élections, souhaite également «affranchir les pays occidentaux de tout lien avec la Russie dans le nucléaire civil».

Le JDD révèle que Katherine Earle, précédemment chargée de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, aurait soulevé des préoccupations concernant une possible dépendance de l’industrie nucléaire française à l’égard du savoir-faire russe, notamment en ce qui concerne le volet du cycle du combustible.

Une menace crédible des États-Unis

Le Canard Enchaîné liste quelques exemples des potentielles répercussions américaines, dans le cas où le groupe français refuserait de mettre un terme à sa collaboration avec le géant russe du nucléaire. D’après le journal, des façons de sanctionner Framatome en cas de non-soumission à cette nouvelle législation américaine serait de l’empêcher d’encaisser l’argent versé par Rosatom dans le cadre de leur partenariat, de priver le groupe du personnel américain, ou de s’en prendre à la filiale américaine du groupe, Framatome Inc.

Ce ne serait pas la première fois que l’Oncle Sam sanctionnerait une entreprise française pour contournement de sanctions américaines. En effet, la situation actuelle fait écho à celle de la banque BNP Paribas. En 2015, la banque française est contrainte de verser une amende de 8.9 milliards de dollars pour avoir traité avec des pays sous sanction américaine tels que Cuba, l’Iran et le Soudan entre 2004 et 2012.

Le produit de la collaboration Framatome-Rosatom 

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les États européens restent encore très dépendants des approvisionnements russes pour les centrales nucléaires du continent. En effet, 19 réacteurs de conception russe sont encore en fonctionnement en Europe. L’alimentation de ces centrales se fait via un combustible, qui prend la forme de cylindres appelés pastilles. Pour les modèles russes dits «VVER», présents en Slovaquie, en Bulgarie, en Finlande, en République tchèque et en Hongrie, seul Rosatom maîtrise pleinement cette ultime étape de production des crayons de combustibles. Néanmoins, le conflit ukrainien pousse les gouvernements européens à s’affranchir de cette dépendance en encourageant l’émergence de nouveaux acteurs (pour les réacteurs VVER 440 et VVER 1000).

Lionel Gaiffe, Vice-Président de la Business unit combustible chez Framatome, a récemment confié au journal Le Point que «cette situation de dépendance à la Russie préoccupe de nombreux pays depuis des années». Ainsi, après le rapprochement avec Rosatom en 2021, Framatome annonce que des combustibles pour VVER seront conçus à l’usine de Lingen, en Allemagne, sous licence russe. En parallèle, l’entreprise se lance dans le développement d’une solution indépendante basée sur un nouveau design. En effet, l’élaboration d’une nouvelle architecture de combustible propre à Framatome viendrait proposer une troisième voie d’approvisionnement, et permettrait ainsi d’éviter de passer d’une dépendance russe à un monopole américain. À court terme, l’exploitation de la licence permettrait donc de diluer la prééminence russe, en attendant le développement d’une solution européenne. Cependant, le combustible produit devra passer un processus d’autorisation conséquent, qui ne devrait pas permettre à l’entreprise de livrer ses clients avant 2030.

L’américain Westinghouse en pole position 

Plus pragmatique, l’américain Westinghouse se penche sur le sujet de la production de combustible pour les centrales VVER plus tôt. Après l’invasion de la Crimée en 2014, l’entreprise s’intéresse au sujet et produit en 2023 ses premiers combustibles susceptibles d’alimenter les réacteurs de conception russe. D’après Teva Meyer, spécialiste en géopolitique du nucléaire civil, les Américains ne partaient pas de zéro. En effet, après l’éclatement de l’URSS, Westinghouse avait pensé un plan de production capable d’alimenter les centrales VVER, mais faute de contrats de longues durées avec les anciens pays soviétiques, l’entreprise avait fini par faire marche arrière. Ainsi, en 2016, la firme américaine a pu réagir rapidement, et a agrandi son usine suédoise en vue de produire ce type de combustible. Westinghouse a déjà pris beaucoup d’avance dans le «match» face à Framatome. En effet, après ses premières livraisons à l’Ukraine, l’entreprise signe en 2022 des accords d’approvisionnement avec la République tchèque et la Bulgarie. De plus, les premières livraisons de Framatome ne devant pas intervenir avant 2030, Westinghouse dispose d’un boulevard pour signer de nouveaux accords.

Westinghouse, un pied en Europe 

En plus de son usine suédoise, Westinghouse renforce sa présence en Europe en passant des alliances avec des constructeurs européens tel que l’espagnol Enusa. L’entreprise ibérique s’était auparavant lancée dans la production de combustible pour réacteur VVER 440, mais faute de commandes suffisantes, elle s’était retirée du marché. C’est début 2023, que Enusa et la firme américaine décident de partager leur expertise dans le domaine, encadré par la signature d’un accord de collaboration visant à proposer une alternative au carburant russe. Les deux sociétés s’engagent donc à produire ce combustible dans les usines de Juzbado (Salamanque) et de Västerås, en Suède. La collaboration entre ces deux entités a également permis à Westinghouse d’obtenir en 2015 2 millions d’euros de la part d’Euratom (organisme public européen chargé de la coordination les programmes de recherche dans le nucléaire civil), pour piloter le projet HORIZON 2020 d’approvisionnement européen en combustible nucléaire sûr (ESSANUF). La solution européenne semble donc avoir été choisie, au détriment de Framatome, et serait en partie pilotée par un acteur américain.

Tensions dans l’usine allemande 

De vives manifestations ont récemment eu lieu en Allemagne, où se situe l’usine de Lingen supposée produire le combustible nucléaire de la collaboration franco-russe. Les populations locales semblent farouchement opposées au maintien de cette usine de production, après que le pays ait fait le choix de sortir du nucléaire, comme en témoigne la fermeture de son dernier réacteur en 2023. Les opposants au projet évoquent également des risques de sabotage et d’espionnage de la part des russes. Toujours selon Lionel Gaiffre, les allégations seraient infondées puisqu’il assure que l’usine continuera de fonctionner uniquement avec du personnel issu de Framatome. Le ministère fédéral allemand de l’environnement doit faire connaître sa décision sur le maintien du site à la mi-mai. L’annonce d’une fermeture du site serait un coup dur pour le partenariat Framatome-Rosatom, et viendrait retarder le développement d’une solution européenne de production de combustible pour les réacteurs VVER, laissant Westinghouse comme seule alternative non-russe.

Ainsi, le risque de voir le partenariat entre Framatome et Rosatom voler en éclats semble réel, et laisserait Westinghouse comme seule alternative à la solution russe. Une solution russe qui ne sera peut-être bientôt plus envisageable si on se réfère à la volonté d’une partie de la classe politique américaine d’affranchir les Occidentaux (ce qui inclut les Européens) de tout lien avec l’industrie nucléaire russe. Le risque pour les Européens serait donc de passer d’un monopole russe à un monopole américain dans la production de combustible pour les réacteurs VVER.


- Source : Portail de l’IE

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