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Mercredi, 25 Déc. 2024

Les autorités égyptiennes font payer le prix fort aux Palestiniens pour échapper au génocide de Gaza

Auteur : Shahd Safi | Editeur : Walt | Jeudi, 01 Févr. 2024 - 11h37

Les autorités frontalières égyptiennes demandent aux Palestiniens de Gaza des milliers de dollars pour échapper à la mort dans la bande de Gaza. Et même ceux qui parviennent à réunir cette somme exorbitante par le biais de campagnes GoFundMe n'ont pas été autorisés à passer depuis des mois.

Le 19 février, j’aurai 23 ans. J’ai hâte que ce jour arrive tout en sachant que la guerre sera toujours en cours, mais je ne suis pas tout à fait sûre de vivre assez longtemps pour en être témoin.

Avant la guerre israélienne contre Gaza, je menais une vie paisible, allant chaque jour à l’université Al-Aqsa pour poursuivre mes études. Mon université a été bombardée par l’armée israélienne alors qu’elle était remplie de Palestiniens déplacés du nord de Gaza. La campagne de bombardement a tué beaucoup de personnes déplacées, transformant l’endroit où j’avais l’habitude d’étudier, de rire et de vivre dans la joie en un film d’horreur.

Mon amie et camarade de classe, Nadia Abd El-Latif, a été tuée lors de l’assaut israélien par une frappe aérienne israélienne directe sur sa maison. D’autres amis et collègues – Mahmoud Al-Naouq, Yousef Dawwas et Muhammad Hammo aussi.

Mon professeur, Refaat Alareer, a également été tué, ainsi que le mari de ma cousine et son fils de sept ans. Toutes ces morts m’ont anéantie. Après plus de cent jours, la guerre d’Israël se poursuit, et mon âme est épuisée.

Ces 115 jours représentent 2 760 heures passées à vivre dans une peur et une anxiété extrêmes, sans savoir si nous ferons partie des survivants, ou pas. Mais depuis le début des bombardements en octobre, j’ai essayé – en vain – de trouver un moyen de quitter Gaza.

Deux mois avant la guerre, j’avais obtenu une bourse Erasmus et je me trouvais en Espagne. Mon destin a malheureusement voulu que je rentre et fasse l’expérience de ce génocide inhumain. Si j’étais encore en Espagne, je me demande ce que je ressentirais. Ma famille serait certainement ici à Gaza, à l’exception de ma sœur Rawan, partie à l’étranger une semaine avant moi, en Algérie depuis janvier dernier pour y suivre un master en droit international.

Au début de la guerre, une amie m’a aidée à déposer une demande de visa pour le Qatar. Elle espérait que le Qatar me l’accorderait, facilitant mon départ de Gaza. Elle m’avait promis de m’héberger jusqu’à la fin de la guerre. J’ai accepté à contrecœur, réticente à l’idée d’abandonner ma famille dans des conditions aussi désastreuses, mais la question ne s’est même pas posée, puisque le Qatar a rejeté ma demande de visa. J’ai été très déçue, car je m’attendais à ce que le Qatar accepte, étant un pays arabe qui entretient de solides relations avec la Palestine.

Après ce refus, j’ai commencé à chercher un autre moyen de fuir Gaza, surtout lorsque l’armée israélienne a lancé son invasion terrestre sur le territoire. J’ai été témoin du traitement insoutenable et cruel infligé aux civils palestiniens par les soldats israéliens, et j’ai constaté la froideur de la réaction du monde entier.

C’est alors que j’ai commencé à paniquer en silence, comme tout le monde ici. Je cache ma peur à mes frères et sœurs parce que je suis leur soutien, et eux aussi essaient de me cacher leur peur, conscients qu’ils m’incitent à être forte pour eux. Mais derrière tout cela, nous savons que nous sommes tous terrifiés alors que nous faisons semblant d’être courageux.

L’Égypte a fermé ses frontières avec Gaza à de nombreuses reprises au cours de la guerre et a fait grimper le prix de la sortie de Gaza à un niveau inimaginable. Comme ma mère est à moitié égyptienne et à moitié palestinienne, cela m’a brisé le cœur. L’Égypte est un pays arabe voisin de la Palestine, avec laquelle nous partageons une histoire et une culture communes. Comment peuvent-ils nous faire cela ? De nombreux Palestiniens de Gaza ont du sang égyptien et possèdent la nationalité égyptienne. Pourtant, même ces citoyens égyptiens résidant à Gaza doivent payer au minimum 1 500 dollars pour pouvoir franchir le checkpoint de Rafah et échapper à la mort.

Plus de 80 % des habitants de Gaza vivent en dessous du seuil de pauvreté et beaucoup ne peuvent même pas payer 100 dollars. Pire encore, si vous n’avez pas de passeport égyptien, le prix du passage est actuellement de 10 000 dollars – et même dans ce cas, si vous parvenez à trouver l’argent, vous devrez attendre des jours, voire des mois, avant de pouvoir passer. Récemment, les Égyptiens ont affirmé avoir ramené le montant à 5 000 dollars par personne, mais le problème reste le même.

Un petit nombre de personnes riches et influentes à Gaza peuvent, en fait, payer de telles sommes pour partir. D’autres ont recours à des plateformes de crowdfunding telles que GoFundMe et LaunchGood, et je ne les en blâme pas. C’est le seul moyen pour eux d’échapper aux bombardements et de sauver leur vie.

De nombreuses familles déplacées ont trouvé refuge dans la maison de mes grands-parents pendant la guerre, car nous habitons à Rafah, où de nombreux Palestiniens déplacés vivent désormais sous des tentes. Trois de ces familles ont pu se coordonner légalement avec les autorités égyptiennes pour quitter Gaza.

Hala Ihsan Abu Ramadan, 32 ans, a été déplacée de l’extrême nord de Gaza avec sa famille à quatre reprises jusqu’à pouvoir atteindre enfin Rafah. Après avoir collecté de l’argent sur GoFundMe, Hala a contacté le “coordinateur” égyptien, un ami du patron de sa sœur Heba. Le coordinateur a demandé 5 000 dollars par personne, pour un total de six personnes : Hala, Heba, Hassan, le mari de Heba, leur frère Abed et leurs parents. Leur père est atteint d’un cancer et n’a pas pu bénéficier d’examens médicaux ou de séances de chimiothérapie depuis le début de la guerre en raison de la saturation des hôpitaux de Gaza.

“Mon père doit quitter Gaza”, m’a dit Hala. “Il en va de sa vie. Si mon père n’est pas soigné, le cancer va se propager dans tout son corps. Il mourra très bientôt si la situation reste inchangée. Nous avons contacté le coordinateur égyptien, qui nous a confirmé que le cas de mon père était considéré comme urgent”.

Hala ajoute que, jusqu’à aujourd’hui, le nom de son père ne figure sur aucune des listes égyptiennes de personnes autorisées à évacuer Gaza. “Si le cas de mon père est urgent et qu’il attend depuis le 30 décembre, combien de temps les cas urgents prennent-ils ?” me demande Hala. Les coordinateurs égyptiens ont fini par augmenter plusieurs fois le prix demandé à Hala et à sa famille, d’abord fixé à 6 000 dollars, puis à 7 000, 8 000 et enfin à 10 000 dollars par personne. Hélas, à l’heure où j’écris ces lignes, aucun membre de sa famille n’a pu quitter Gaza.

Le cousin de Hala, Saleem Abu Hamdah, dont la mère est égyptienne, n’a pas été autorisé à entrer en Égypte bien qu’il ait payé 1 200 dollars. Sa femme et ses trois enfants ont cependant été autorisés à passer après le versement de ces mêmes “frais de coordination”, de même que ses parents – et il est resté seul à Gaza.

J’ai parlé à une autre femme, Samar, qui a demandé à ce que son nom de famille ne soit pas divulgué pour des raisons de sécurité. Sa belle-mère est égyptienne et on lui a demandé de payer 4 000 dollars, alors qu’on a demandé à Samar 2 000 dollars. À ce jour, aucune d’entre elles n’a été autorisée à quitter Gaza, bien qu’elles soient en contact avec des médiateurs depuis le début de la guerre. Seule la belle-mère égyptienne de Samar a finalement été autorisée à quitter Gaza, mais elle refuse de laisser derrière elle ses deux fils, leurs épouses et leurs enfants, ainsi que sa fille et les enfants de cette dernière.

“L’appartement de mes parents a été bombardé”, m’a dit Samar. “Dieu merci, aucun membre de ma famille n’a été blessé. Mais les bombardements eux-mêmes m’ont fait très peur et m’ont donné envie de quitter Gaza. Ce dont nous sommes témoins aujourd’hui est bien plus cruel et violent que n’importe quelle autre guerre jamais menée à Gaza”.

Pour ma part, je ne peux pas quitter Gaza. La situation financière de ma famille ne permet pas de couvrir des dépenses de “coordination” aussi élevées. J’hésite à lancer une campagne GoFundMe en raison de toutes les histoires que j’ai entendues – aucun de ceux que je connais n’a été en mesure de quitter Gaza après avoir payé ces frais de coordination pour se rendre en Égypte. Peut-être que si l’une des familles hébergées chez nous avait enfin l’autorisation de partir, j’envisagerais de lancer ma propre campagne de collecte de fonds. En attendant, je ne crois pas qu’il y ait de véritable issue, et je vois bien que la communauté internationale refuse de faire pression sur Israël pour obtenir un cessez-le-feu.

Photo d'illustration: Des Palestiniens déplacés en route après que l’armée israélienne a ordonné aux résidents du camp de Khan Younis de partir pour Rafah près de la frontière égyptienne au sud de la bande de gaza (Photo ©HAITHAM IMAD/EFE VIA ZUMA PRESS APA IMAGES)

Traduction : Spirit of Free Speech


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