Paris sous pression après son nouveau refus d’inclure le viol dans la loi européenne
La tension est montée d’un cran à Bruxelles où la France a une nouvelle fois voté contre l’inclusion du viol dans la directive européenne de lutte contre les violences faîtes aux femmes, lors des négociations interinstitutionnelles mercredi (13 décembre).
Le 8 mars 2022, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la Commission européenne a présenté une directive pour lutter contre les violences faîtes aux femmes au sein de l’UE.
Elle vise notamment à lutter contre les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, le cyberharcèlement sexiste ou encore la stérilisation forcée.
Mais mercredi, les négociations entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil, les fameux trilogues, se sont soldées par un échec.
Et pour cause, aucun accord n’a été trouvé sur un point crucial du texte : l’inclusion du viol – ou non – dans la directive, et surtout en quels termes, car pour l’heure en Europe chaque pays a sa propre définition.
En Belgique par exemple, la loi introduit la notion de consentement. En Italie, le viol est défini comme un acte sexuel contraint par la violence, l’autorité ou la menace.
Or, c’est là tout l’enjeu de la directive : établir une définition commune du viol en Europe afin d’harmoniser les sanctions pénales entre les 27, et ainsi mieux protéger les victimes, alors que chaque année, plus de 100 000 viols sont enregistrés dans l’UE, selon l’Insee.
Selon la définition proposée par le Parlement européen et la Commission dans la directive, un rapport sexuel sans consentement est un viol.
Une définition approuvée notamment par l’Espagne, l’Italie et la Belgique, qui ont donc voté pour la directive, mais réfutée entre autres par la Pologne, la Hongrie, la France et l’Allemagne.
Le Parlement européen a adopté sa position sur une directive visant à lutter contre les violences faites aux femmes mercredi (12 juillet), ouvrant ainsi la voie aux négociations avec le Conseil.
Les eurodéputés Renew se désolidarisent
Le sujet est assez explosif pour que les troupes françaises au Parlement européen fassent monter la pression contre le gouvernement.
L’eurodéputée Nathalie Colin-Oesterlé (PPE) s’est dite « particulièrement choquée » par la position française. « Je n’arrive pas à comprendre cette résistance », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse mercredi, quelques minutes avant le début des trilogues.
Plus inédit encore, les députés européens de la majorité présidentielle (Renew) ont eux-mêmes demandé à Emmanuel Macron de soutenir l’inclusion du viol dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, la veille de l’ouverture des négociations.
“Nous, eurodéputés de la majorité présidentielle, appelons donc le gouvernement à permettre de finaliser les négociations avec une définition européenne du viol en phase avec les aspirations de notre temps”, peut-on lire dans le texte.
“Alors qu’une femme sur vingt est victime de viol en Europe, les argumentaires juridiques byzantins opposés par les Etats membres donnent un sentiment de déconnexion totale avec la souffrance vécue par les victimes”, ajoutent-ils.
“Les eurodéputés Renaissance, dont le chef du Parti présidentiel lui-même, désavoue le gouvernement qui bloque de manière scandaleuse l’intégration du viol dans la directive sur les violences sexistes & sexuelles”, a écrit sur X Manon Aubry.
L’eurodéputée française La France Insoumise (GUE/NGL) parle d’un “sentiment de fin de règne total en Macronie”.
Le dossier est même arrivé jusqu’à Paris. À l’Assemblée nationale, la délégation aux droits des femmes a lancé le 5 décembre une mission d’information sur la définition pénale du viol, avec des auditions d’avocats, d’associations et d’eurodéputés. Une première conférence de presse prévue le 12 décembre a finalement été reportée.
Le viol doit-il être inclus dans une loi européenne visant à lutter contre les violences faîtes aux femmes ? Oui, répondent la Belgique, l’Italie, l’Espagne. Non, selon la France, la Hongrie, la Pologne et d’autres. Explications.
Défaut juridique et consentement
Face au tollé général, comment expliquer le refus du gouvernement français d’inclure le viol dans la directive européenne ? Le premier argument avancé est juridique.
« La France n’y est pas hostile, mais estime qu’il n’y a pas de base légale pour le faire. Le droit pénal relève des États membres et non pas de l’UE, sauf pour les eurocrimes », expliquait en novembre dernier une source européenne proche du dossier à Euractiv.
Les « eurocrimes » sont une liste d’infractions pénales inscrites dans l’article 83 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et pour lesquelles l’UE est compétente. Cela concerne notamment la corruption, le terrorisme ou l’exploitation sexuelle.
Or, selon la France le viol ne relève pas de l’exploitation sexuelle. Faux, répondaient une quarantaine de députés et sénateurs écologistes et socialistes dans une lettre envoyée au gouvernement le 13 novembre.
« Le terme d’exploitation sexuelle présent à l’article 83 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne a déjà été utilisé comme une base juridique pour que l’Union européenne se dote d’une législation contre les abus sexuels commis contre les enfants en 2011, avec le soutien de la France », avancent les signataires de la lettre.
Autre argument du gouvernement, intégrer la notion de consentement dans le texte serait « moins protecteur » pour les victimes. C’est en tout cas ce qu’avait avancé la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes Bérangère Couillard, en octobre lors d’une réunion avec des associations pour parler des violences faîtes aux femmes.
Dans une lettre envoyée au gouvernement lundi (13 novembre), près de quarante députés et sénateurs, écologistes et socialistes, appellent la France à inclure la définition du viol dans la future loi européenne sur les violences faîtes aux femmes.
L’espoir de la présidence belge
Si le Parlement européen et la Commission européenne espéraient voir le texte adopté sous la présidence espagnole du Conseil de l’UE, qui prend fin le 31 décembre, c’est peine perdue.
« Nous demandons à la France et à l’Allemagne de bouger sur ces questions-là », a déclaré Frances Fitzgerald, eurodéputée irlandaise conservatrice (PPE), lors de la conférence de presse mercredi.
« Ces pays doivent être leaders. Il ne faut pas qu’ils se cachent derrière l’argument juridique », a ajouté sa collègue l’eurodéputée suédoise social-démocrate (S&D) Evin Incir.
Les négociations continueront désormais sous la présidence belge du Conseil, qui commence le 1er janvier. Si un accord n’est pas trouvé d’ici juin, cela sera au bon vouloir de la Hongrie, puis de la Pologne, de mener – ou non – les discussions.
Photo d'illustration: © European Union 2023 - Source : EP
- Source : Euractiv