Réforme de la NSA : Obama entérine la surveillance planétaire
Le discours de Barack Obama vendredi devait être une révolution, il restera dans l'histoire comme un acte fondateur du recul des libertés publiques dans les démocraties. Le président américain, Prix Nobel de la paix 2009, devait annoncer une réforme de l'agence de sécurité nationale, la NSA, devenue synonyme d'espionnage et de surveillance globalisée après les révélations d'Edward Snowden. Mais, au lieu de désavouer les méthodes mises en place par George W. Bush et son administration républicaine, Barack Obama a prononcé un discours qui a surtout conforté les espions : c'est la première fois qu'un président d'une grande démocratie autorise aussi clairement la surveillance planétaire de tous les individus.
"À l'aube de notre République, un petit groupe de surveillance des citoyens dont faisait partie [le père fondateur] Paul Revere fut établi contre les Anglais, et durant toute notre histoire, le renseignement a protégé notre pays", a asséné Barack Obama. "Nous devons nous adapter à un monde où une bombe peut être construite dans une cave" et "nos efforts [de surveillance] ont sauvé des vies", a poursuivi le président américain, au cours d'une allocution de cinquante minutes au ministère de la Justice. Ces derniers mois, l'homme a "demandé des rapports, des analyses", et a pris une première décision : "Je n'ai pas stoppé ce programme, car rien dans ce que j'ai appris ne m'a indiqué que les services de renseignements ont délibérément essayé de violer les libertés de nos citoyens." Les non-Américains apprécieront.
Une nouvelle approche
Toutefois, le charismatique locataire de la Maison-Blanche a fait quelques concessions. "Les États-Unis ne sont pas vaccinés contre les abus des systèmes de renseignements", a-t-il dit en référence à la surveillance illégale des opposants à la guerre du Vietnam, dans les années 1960. "Les libertés que nous voulons protéger ne peuvent pas être sacrifiées" au nom de la sécurité, a-t-il ajouté, mettant en garde contre de "potentiels abus". "Avec le progrès technologique, la quantité de choses que nous ne pouvons pas faire a largement réduit : nous devons donc nous demander non plus ce que nous pouvons faire, mais ce que nous devons faire. Une nouvelle approche est nécessaire", a-t-il martelé. "Ce débat va nous rendre forts et les États-Unis doivent être leaders, [car] personne n'attend de la Chine qu'elle ait un débat public sur son renseignement", a-t-il ajouté. Des mots rassurants, mais qui ne sont que des mots.
En effet, le président a plutôt poursuivi sur l'air de "Tout va très bien, Madame la Marquise" : "Toutes les agences, y compris la NSA, suivent déjà des règles de conduite strictes", a précisé Obama. "Des erreurs sont inévitables, ils les corrigent", a-t-il ajouté. "Mais ils vivent en sachant que si un nouveau 11 Septembre se produit, ou si une cyberattaque massive survient, le monde entier se tournera vers eux et demandera pourquoi ils n'ont pas réussi à l'empêcher."
Au nom de la sécurité nationale
Dès lors, la messe était dite. S'est ensuivie une énumération de mesures théoriques ou minimes, destinées à rassurer les Américains et les alliés, notamment européens. Dans cette "période de transition" qui s'ouvre, la surveillance ne pourra désormais s'exercer "que lorsqu'il s'agit d'une affaire de sécurité nationale", a affirmé le président américain, oubliant de préciser sa définition de la sécurité nationale, une notion très, très souple.
Autre décision : la fin de la collecte des données téléphoniques des Américains. Mais, à bien écouter le président, on se rend compte qu'il veut mettre fin au stockage des données par le gouvernement, pour demander aux opérateurs de les stocker eux-mêmes et de les laisser en libre accès pour les agences comme la NSA ou le FBI... Barack Obama a donné rendez-vous pour de nouvelles décisions, des "changements forts", au plus tard le 28 mars 2014, date à laquelle le Congrès doit renouveler l'autorisation de surveillance donnée aux services de renseignements.
Quand Obama dénonçait la surveillance
Avec ce discours, Barack Obama voulait répondre à Edward Snowden, l'ex-employé des services de renseignements qui a dévoilé au monde en 2013 les activités de surveillance des espions américains, sur leur territoire fédéral comme sur le reste de la planète. Les alliés de l'Otan, notamment les membres de l'Union européenne, avaient été particulièrement choqués de découvrir que Washington les surveillait au quotidien, jusque dans les bureaux de leurs parlements et chancelleries. Si les élites étaient au courant du double jeu américain, rien n'avait préparé les opinions publiques à voir, dans l'imaginaire collectif, les États-Unis remplacer la Chine comme "grand méchant" de l'Internet. Obama a promis de ne plus espionner les "alliés proches", mais, là encore, la décidément très pratique "sécurité nationale" peut être invoquée pour outrepasser cette règle. "Nos alliés doivent retrouver confiance : si je veux savoir ce qu'ils pensent, je décroche mon téléphone et je les appelle, plutôt que de surveiller leurs communications", a-t-il promis.
Il est loin le temps où Barack Obama, sénateur de l'Illinois, présentait ou cosignait, entre 2005 et 2008 face à l'administration Bush, des propositions de loi pour encadrer et limiter les pouvoirs de la NSA. Comme parlementaire, il souhaitait notamment mettre fin à la collecte massive des données téléphoniques (lire l'excellent article du Monde.fr à ce sujet). Durant sa campagne de 2008, il affirmait que, une fois élu, il "annulerait d'un trait de stylo" les décrets les plus liberticides du Patriot Act, le paquet législatif adopté après les attentats du 11 septembre 2001, ce qu'il n'a jamais fait.
Une attitude schizophrène qui rappelle en France celle du gouvernement socialiste, élu en partie grâce à l'opposition aux méthodes dures de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant, mais qui a fait voter depuis qu'il est au pouvoir des textes dont l'UMP n'aurait même pas osé rêver. La récente loi de programmation militaire (LPM), promulguée à la mi-décembre, autorise, comme le souhaitait Manuel Valls, les forces de l'ordre à accéder aux données téléphoniques et informatiques des citoyens français sans le contrôle d'un juge, des conditions indignes des valeurs démocratiques.
- Source : Le Point