Pass sanitaire: Les dangers pour la démocratie sont énormes
Emmanuel Macron a annoncé ce lundi 12 juillet l'élargissement du passe sanitaire aux restaurants ou aux théâtres et cinémas afin d'éviter la propagation du virus dans les lieux fermés. Mais l'extension du passe sanitaire aux lieux de vie quotidiens risque de créer une procédure plus systématique du contrôle d'identité.
En concert, en discothèque ou lors du défilé du 14 juillet, chaque participant doit se munir d'un item obligatoire : le passe sanitaire. Ce Graal du retour à la « vie normale » ne concernait jusqu'à maintenant que les grands rassemblements. Mais Emmanuel Macron a décidé de l'étendre aux restaurants et aux lieux culturels, ce lundi 12 juillet, lors de son allocution. L'objectif est d'endiguer la recrudescence épidémique de Covid-19 et de son variant Delta. Pour ce faire, le Conseil scientifique prône un abaissement de la jauge (actuellement fixée à 1 000 personnes) pour les événements soumis à ce passe, ainsi que des mesures partielles de restrictions dans les zones géographiques les plus touchées.
Rappelons la règle du jeu : ce passe permet, grâce au scan d’un QR code, d’indiquer si la personne a réalisé un test négatif dans les trois derniers jours, si elle a été vaccinée, ou a déjà été contaminée. Le Conseil d'État avait validé son utilisation, en assurant qu’il serait exclu des « activités du quotidien ». Or, si l'objectif premier du passe sanitaire est bien sûr de vérifier le statut vaccinal d'une personne, il induit également de vérifier l'identité de cette dernière.
En effet, qu'il s'agisse de la version papier ou de la version numérique du fameux passe, le prénom, le nom et la date de naissance de son porteur y figurent. Le gouvernement précise d'ailleurs qu'un « justificatif d’identité devra être demandé » pour éviter les fraudes.
DES OUTILS À DISPOSITION
En soutenant la généralisation du passe sanitaire, le conseil scientifique défend l’accès à « des espaces de libertés » et estime qu'elle permettra la « limitation des restrictions sanitaires qui devront être envisagées pour la quatrième vague ». Mais à quel prix ? Pour le juriste de l'association La Quadrature du Net Bastien Le Querrec, cette procédure revient à « banaliser » le contrôle d’identité. « Le passe sanitaire va arriver dans tous les moments de la vie d’une société s’inquiète-t-il. On a tous les ingrédients pour une catastrophe en termes de vie privée ». Et de déplorer : « Le Conseil d’État refuse de faire son travail, tandis que la Cnil [Commission nationale de l’informatique et des libertés] et le Conseil constitutionnel sont ignorés quand ils rappellent que le passe sanitaire ne concerne pas toutes les situations de la vie quotidienne ».
Il serait toutefois exagéré d’affirmer que l’élargissement du passe sanitaire aux restaurants ou cinéma systématiserait le contrôle d’identité, selon l’avocat spécialisé dans le droit du numérique Alexandre Archambault. « On pose les briques de contrôles plus systématiques, mais elles ne sont pour l’instant pas correctement agencées », précise l’avocat. Si ces outils présentent potentiellement un risque pour le respect des libertés individuelles, leur utilisation reste pour l’instant réglementée. « Le passe sanitaire doit garder une fonction sanitaire, rappelle Alexandre Archambault. Dès que la situation s’améliore, son utilisation doit être interrompue et les données conservées sur l’application supprimées ».
FONCTION RÉGALIENNE
La crainte autour du passe sanitaire ne repose pas uniquement sur la technologie en elle-même, mais aussi sur ceux qui devront s’en servir. Les personnes habilitées à vérifier les informations seront, entre autres, des acteurs privés : du bénévole de festival aux employés de sécurités d’un cinéma, en passant par les serveurs de restaurants ou des sous-traitants. Or, « la vérification d’identité est une fonction régalienne », rappelle Alexandre Archambault. Afin d’encadrer cette pratique, la Cnil avait promis de garder un œil sur les contrôles dans les salles de spectacle. « Elle est déjà sous-dotée pour ce qui est des concerts, remarque Bastien Le Querrec. Elle ne peut pas être partout ».
L'expert de La Quadrature du Net souligne que les personnels des restaurants, par exemple, ne sont pas formés à cet exercice et n’en connaissent pas tous les enjeux juridiques. « Ils vont aller au plus simple et demander la carte d’identité résume-t-il. Cela risque d’accentuer la pression mise pour avoir une preuve de l’identité ».
Le député MoDem et membre de la Commission des lois Philippe Latombe insiste plus précisément sur le manque de temps et les risques encourus par les restaurateurs. « Si une personne est contaminée dans un restaurant, à qui incombera la responsabilité ? questionne-t-il. Pour prouver qu'il a bien contrôlé le passe sanitaire, le restaurateur devra conserver des traces du contrôle, ce qui est plutôt gênant en termes de données personnelles ».
ACCOUTUMANCE
Dans un avis publié le 6 juillet, le Conseil scientifique assure avoir conscience « des enjeux éthiques, démocratiques, organisationnels et d’acceptabilité sociale que représenterait une telle décision, qui demeure éminemment politique ». Philippe Latombe concède que le passe sanitaire en tant que tel est « un outil nécessaire pour éviter la création de cluster lors de grands rassemblements ». Mais avec l'ouverture de ce passe à des endroits du quotidien, il est dévoyé de son rôle initial, selon le député : « On veut transformer un outil qui voulait éviter des clusters en un outil qui veut promouvoir la vaccination, voire la rendre obligatoire ».
Les inquiétudes concernent aussi le long terme. « Petit à petit, les mesures temporaires ou exceptionnelles deviennent banales analyse Alexandre Archambault. On étend par petites touches, pour que ce soit indolore, mais au final avec des effets totalement délétères. » L’avocat dénonce notamment la création d’une accoutumance aux nouvelles mesures testées dans des contextes particuliers comme celui d’une crise sanitaire. Ces mesures peuvent constituer plus largement des moyens pour « fliquer » la population. De sorte qu'Alexandre Archambault demande plus de garanties, notamment pour éviter le stockage des données des personnes concernées, et souhaite qu’un vrai débat soit mis en place sur l’élargissement des contrôles.
Ce débat pourrait justement être permis par la fin de l’état d’urgence sanitaire depuis le 1er juin, comme le rappelle le député Philippe Latombe. « Si le président de la République annonce un tel élargissement du passe sanitaire, le minimum est d'avoir un texte de loi, déféré au Conseil constitutionnel », affirme-t-il. Mais l'incitation à la vaccination passe par un énième système de contrôle et de pression de la population. « Si le but est de vacciner tout le monde, il faut assumer la vaccination obligatoire. Autant passer directement à l'étape suivante ».
- Source : Marianne