La presse française continue de croire qu’elle fait du bon boulot
Victoire en demi-teinte de la part des journalistes français face à Google. Le combat se situe sur le terrain de la confiance, et en cela, les médias français ont déjà perdu.
Il semble qu’il n’y aura pas un combat stérile et contre-productif que le Monde d’Avant n’évitera. Appliquée et consciencieuse, la presse française continue donc, obstinée, celui qu’elle mène contre Google. Pour nous en débarrasser, on ne peut souhaiter qu’une chose : qu’elle le gagne.
On se rappelle en effet que, au début de la crise sanitaire et pendant que certains tentaient de sauver des vies, d’autres s’employaient farouchement à saboter ce qui fonctionnait encore dans le pays.
La presse française ne faisait pas exception en faisant pression sur le parlement afin de pousser sa vision très particulière du droit d’auteur quitte à criminaliser l’usage du lien HTML afin de forcer Google à la rémunérer, sa fine production étant, c’est bien connu, sujet à un engouement tel que tous les internautes se l’arrachent chaque jour dans une bousculade largement monétisable.
Comme prévu, Google renvoya les impétrants à leurs études : la firme de Mountain View décida fourbement de n’afficher ces extraits qu’avec l’autorisation explicite des éditeurs de presse, autorisation assortie d’une exonération de tout paiement. Et incroyablement, devant la menace de voir disparaître tout référencement (gratuit), toute mise en avant (gratuite) et toute publicité (gratuite) que Google leur offrait pour leurs passables contenus, les éditeurs s’empressèrent de signer, laissant Google News continuer donc exactement comme avant.
La fessée fut un tel affront que « l’Alliance de la presse d’information générale » s’en est remise à un vague organe administratif, qui, sans surprise, lui accorda gain de cause… confirmé par une récente décision de la cour d’appel de Paris.
Ah ah, fini de rire, Google News va devoir rémunérer la magnifique production française qu’il fait apparaître dans ses colonnes !
Sauf qu’en réalité, c’est bel et bien une victoire à la Pyrrhus qu’ont obtenu une fois encore les éditeurs de presse français : croyant fermement que les services de Google ont besoin de leurs productions, persuadés qu’ils sont qu’ils tiennent le bon bout du bâton, ils ne comprennent pas qu’ils n’ont obtenu qu’une victoire juridique alors que le combat se joue plutôt du côté du marché, celui de la confiance et de la crédibilité des informations qu’ils fournissent.
Et ce combat-là, ils l’ont déjà perdu.
Car si l’on peut arguer, comme le fait un récent et intéressant article de Contrepoints, sur le besoin mutuel des deux entités, presse d’un côté, Google de l’autre, il n’en reste pas moins qu’il existe, concernant cette relation, une vraie différence en France où les dépendances de l’un vers l’autre sont en réalité grossièrement asymétriques.
La réciprocité des interactions presse/Google n’est vraie que tant qu’on considère cette firme et ces acteurs en fonction de ce qu’ils clament être. Ainsi, Google se présente comme un moteur de recherche et d’agrégation, mais il faut voir qu’il aussi devenu une régie publicitaire et un véritable portail pour l’internaute : force est de constater que ce dernier va sur Google pour précisément chercher des informations et obtenir des sources de données qu’il obtient de façon suffisamment efficace pour que le moteur de Mountain View se soit incontestablement hissé tout en haut du marché.
De son côté, la presse prétend fournir des informations et un état des lieux du monde qui nous entoure. À ce titre, Google devrait être heureux de pouvoir présenter le contenu et devrait même rémunérer cette presse pour avoir le droit de le faire, tant cette production d’informations solides, correctement sourcées et vérifiées peut lui être favorable pour attirer des internautes.
Las. L’asymétrie réside dans le fait qu’en France, la presse a depuis longtemps complètement relégué son but officiel (fournir des informations solides, factuelles, neutres, permettant au public de se faire une opinion informée des événements) loin derrière un autre but bien plus efficace à assurer sa survie : plaire aux institutions et au pouvoir du moment, ce qui lui assurera une manne de subventions sans avoir à déployer les efforts nécessaires pour plaire au public, et notamment celui provenant de Google.
Cette asymétrie explique très bien plusieurs phénomènes.
Le premier, c’est la véritable rage procédurière et taxatoire qui s’est emparée des éditeurs de presse repris par Google. Par définition, il est toujours plus facile d’user de la force étatique pour ponctionner l’argent des autres que de le gagner par un travail qui demande des efforts bien plus considérables. Dès lors, il ne faudra pas s’étonner que ces éditeurs aillent en justice à chaque fois qu’ils le pourront, en lieu et place de toute remise en question de leur modèle de fonctionnement précaire.
Le second, c’est la différence éclatante de comportement entre ces médias et ceux de tous ces pays où ils ne sont pas subventionnés : ces derniers, confrontés plus ou moins frontalement à la concurrence et aux desideratas du public, ont déjà entamé leur mutation numérique depuis des années et savent qu’il faudra faire avec Google, pas contre.
Le troisième, c’est la méfiance grandissante des Français vis-à-vis de leurs médias dont ils comprennent de mieux en mieux qu’ils ne sont plus que des instruments de propagande au service d’intérêts parfois concurrents entre eux, mais certainement jamais en faveur du peuple et certainement pas à l’écoute des consommateurs.
Du point de vue de Google, le marché n’est alors plus le même : les internautes qui viennent ne sont plus aussi convaincus de trouver là des informations de première fraîcheur, en atteste d’ailleurs l’érosion inquiétante de la confiance que les Français portent dans leurs médias :
Ce dernier phénomène est si vrai qu’il est mesurable, cette confiance dans les médias faisant l’objet de sondages réguliers (dont je fais part parfois ici même, par exemple en 2016 ou 2019).
Mais cela va plus loin encore : comme le note un récent article de The Economist, cette érosion marquée de la confiance se corrèle fort bien avec l’introduction des moyens mobiles de consulter internet.
Ce n’est pas un hasard : à mesure qu’internet devient facilement accessible, disponible rapidement, la possibilité pour le citoyen de vérifier les informations et de les recouper par différentes sources devient elle aussi plus importante. De façon intéressante, les gouvernements sont donc de plus en plus confrontés à la mémoire d’internet qui renvoie de plus en plus souvent les politiciens à leurs mensonges et leurs turpitudes qu’ils ont de plus en plus de difficultés à cacher.
Parallèlement, les médias qui fournissent l’offre d’information la plus complète seront plébiscités et n’auront donc pas de mal à bénéficier de l’exposition offerte par Google. Par opposition, ceux qui vivent de subventions et ont donc un intérêt direct à ne présenter que certaines informations favorables à garantir leur source de revenus (en provenance direct… du gouvernement !) finissent par se faire rattraper inexorablement par la perte de confiance du public dans les institutions : les mensonges des politiciens relayés sans distance par une presse devenue propagandiste finissent par éclabousser les journalistes qui ne sont plus alors perçus que comme des petits colporteurs de la parole officielle.
Les exemples français abondent, mais la récente crise sanitaire aura d’ailleurs été l’occasion de mesurer le véritable canyon qui s’est ouvert entre le peuple et ses dirigeants à mesure que s’empilent les mesures coercitives de plus en plus loufoques, sans que la presse se montre réellement capable ni de présenter ni d’expliquer cette évidence, sans parler de la faire remonter au gouvernement, complètement hermétique à la question.
Ces éléments de contexte et ces tendances lourdes, jamais démenties depuis plus d’une décennie maintenant, permettent d’affirmer que la presse française continue de creuser sa tombe avec sinon de l’enthousiasme au moins une vigueur inquiétante à coups de procès et d’injonctions légales.
Quand on voit son niveau moyen, et sa qualité générale (ou son absence quasi-clinique de qualité), il en est finalement mieux ainsi et le sort funeste qui l’attend pourrait créer une véritable opportunité que ce pays retrouve enfin une presse de qualité.
- Source : Hashtable