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L’empire mondial de la santé de Bill Gates, troisième partie

Auteur : Jeremy Loffredo et Michèle Greenstein | Editeur : Walt | Jeudi, 23 Juill. 2020 - 14h52

Ceci est la troisième partie d’une série.

Dans la première partie, nous apprenons comment la Fondation Bill & Melinda Gates travaille à étendre l’influence de l’industrie pharmaceutique auprès de l’OMS, qu’elle contrôle, et des gouvernements du monde.

Dans la deuxième partie, nous voyons comment la Fondation Bill & Melinda Gates écoule dans les pays pauvres des traitements et des vaccins non approuvés dans les pays développés parce que dangereux, parfois avec des résultats désastreux. Nous verrons aussi que l’annonce de Trump selon laquelle les USA se « retirent » de l’OMS n’est rien d’autre que de la communication à destination de ses électeurs : en fait, les USA continuent de régner sur l’OMS à travers la Fondation Gates et l’agence fédérale américaine USAID.

Dans cette troisième partie, nous verrons que la Fondation Gates travaille à vendre non seulement les traitements et vaccins de l’industrie pharmaceutique, mais aussi des semences OGM, sur lesquelles elle travaille en partenariat avec Monsanto.

Dans la dernière partie, nous apprendrons comment la Fondation Gates tente de faire tomber les garde-fous étatiques qui interdisent à l’industrie pharmaceutique occidentale de mettre des produits potentiellement dangereux sur le marché. Nous verrons aussi que l’administration Trump marche main dans la main avec Bill Gates.

L’affaiblissement des systèmes de santé publique des États

En plus de promouvoir des produits dangereux dans les pays pauvres, la Fondation Gates freine en fait l’amélioration des systèmes publics de santé et l’accès aux soins. Ainsi, les changements dans les déterminants sociaux et économiques de la santé passent au second plan au profit de solutions plus rentables et axées sur la technologie, comme les vaccins.

Ce phénomène se reflète dans le budget de l’OMS. La fondation est le principal contributeur au programme d’éradication de la polio de l’OMS, mais le principal bailleur de fonds du programme « systèmes de santé » de l’OMS est le gouvernement du Japon.

Selon Global Justice Now, l’accent mis par la fondation sur le développement de nouveaux vaccins détourne l’attention d’autres priorités sanitaires plus vitales telles que la mise en place de systèmes de santé solides.

Comme l’explique le Dr David Legge, Gates « a une vision mécaniste de la santé mondiale, en termes de recherche de remèdes-miracles ». Toutes les choses qu’il soutient sont largement présentées comme des remèdes-miracles… Cela signifie que les questions majeures identifiées à l’Assemblée mondiale de la santé ne sont pas abordées, y compris en particulier les déterminants sociaux de la santé et le développement des systèmes de santé ».

En 2011, Gates s’est exprimé à l’OMS en déclarant : « Dans les 193 États membres, vous devez faire des vaccins un élément central de vos systèmes de santé ».

Anne Emanuelle Birn, professeur de santé publique à l’Université de Toronto, a écrit en 2005 que la fondation avait une « conception étroite de la santé en tant que produit d’interventions techniques divorcées des contextes économiques, sociaux et politiques ».
« La Fondation Gates a longtemps défendu l’implication du secteur privé et de sa logique du profit dans la santé mondiale », a déclaré Mme Birn au journal The Grayzone.

L’un des hauts représentants de la GAVI a même rapporté que Bill Gates lui a souvent dit, lors de conversations privées, « qu’il est farouchement ‘contre’ les systèmes de santé » parce que c’est « un gaspillage complet d’argent ».

Ce phénomène est reflété également dans la manière dont l’agenda politique est établi à la GAVI. La GAVI se concentre également sur des interventions verticales en matière de santé, comme les vaccins, plutôt que sur des approches horizontales, comme la mise en place et la consolidation de systèmes de santé dans les pays pauvres.

Un rapport de Global Public Health décrit l’ « approche Gates » des systèmes de santé, en analysant comment des projets ciblés sur des maladies comme les vaccins ont éclipsé les efforts déployés pour travailler sur les systèmes publics de santé. L’auteur de l’article, Katerini Storeng, a cité la GAVI comme un exemple de la façon dont « les initiatives de santé mondiale en sont venues à prendre en otage le débat sur la consolidation des systèmes de santé en faveur de leur approche spécifique de telle ou telle maladie ».

Selon un ancien collaborateur de la GAVI qui s’est entretenu avec Katerini Storeng, même l’ancien PDG de la GAVI, Julian Lob-Levitt, était conscient de « l’absurdité de campagnes de vaccination qui prennent quatre semaines à planifier, mettre en œuvre et compléter et qui, lorsqu’elles sont répétées huit fois par an, paralysent totalement le système de santé ».

À un moment donné, Lob-Levitt a commandé une série d’évaluations de la GAVI, qui ont permis de mettre en évidence les faiblesses des systèmes de santé et la nécessité de les renforcer. Cependant, selon les interviews de Storeng, « de nombreux acteurs puissants [au sein du conseil d’administration de la GAVI] ont fortement résisté à cette initiative », notamment l’USAID et la Fondation Gates.

Storeng écrit qu’un membre du personnel de la GAVI lui a dit que la Fondation était « une voix très forte, parlant très haut, qui dit qu’elle ne croit pas au renforcement des systèmes de santé ».

Le rapport note également :

La réputation de Gates de « ne pas être très bon en matière d’écoute » a encouragé une approche non conflictuelle dans le domaine de la santé mondiale… Un ancien employé de la GAVI partisan du RSS [renforcement des systèmes de santé] a raconté comment lui et ses collègues avaient l’habitude de « ranger les affiches du RSS » lorsque Bill Gates venait visiter le siège de la GAVI à Genève, car il est connu pour « détester cette partie » du travail de la GAVI.

La préférence de la fondation pour des systèmes de santé publique faibles et des solutions techno-centrées aux problèmes de santé publique ne se limite pas à son travail avec l’industrie pharmaceutique. Elle façonne également la politique dans le secteur crucial de l’alimentation.

Au début de cette année, Gates a créé un nouvel institut à but non lucratif basé à St. Louis, Missouri, où se trouve Monsanto. La fondation a déclaré que la nouvelle organisation, baptisée Gates Ag One, « permettra de faire progresser les semences résistantes et à haut rendement » et de les introduire dans « les cultures essentielles aux petits exploitants agricoles, en particulier en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud ».

Bien que l’aide aux petits agriculteurs semble être une noble entreprise, la fondation s’est efforcée de garantir que les pays du Sud dépendent de l’industrie occidentale, que ce soit pour les médicaments, les semences de haute technologie ou les produits agrochimiques.

Une grande partie de cette activité a débuté en 2006, lorsque la Fondation Gates s’est associée à la Fondation Rockefeller pour donner naissance à l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Alliance for a Green Revolution in Africa, AGRA). Gates a engagé 100 millions de dollars, tandis que la Fondation Rockefeller a réuni 50 millions de dollars.

L’approche de l’AGRA, qui a ouvert les marchés africains à l’agribusiness américain, est fondée sur la conviction selon laquelle la faim est due à un manque de technologies occidentales, plutôt qu’à des inégalités ou à de l’exploitation.

Selon un rapport de l’African Center for Biosafety, « il est frappant de constater qu’aucun de ceux qui sont à l’avant-garde de la révolution n’est africain. Tout comme le projet colonial en Afrique, cette nouvelle révolution est créée et ardemment défendue par des hommes blancs qui prétendent lutter pour libérer les Africains des griffes de la faim et de la pauvreté ».

Par le biais de l’AGRA, la Fondation fait pression pour l’introduction de semences et d’engrais brevetés et génétiquement modifiés (OGM). Si ces technologies aident les géants des semences et de la chimie comme Monsanto, elles sapent souvent la sécurité alimentaire.

Le Dr Vandana Shiva soutient que l’idée selon laquelle les cultures OGM augmentent les rendements est « scientifiquement fallacieuse ». D’autre part, la fondation s’assure une fois de plus que des ressources précieuses sont détournées de la recherche de solutions systémiques à la faim et à la pauvreté.

Comme l’affirme The Ecologist, Gates et Monsanto sont partenaires dans un « projet d’OGM inapproprié et frauduleux qui promeut une solution technique rapide avant de s’attaquer aux problèmes structurels qui créent la faim, la pauvreté et l’insécurité alimentaire ».

De plus, la Fondation Gates influence les gouvernements africains pour qu’ils modifient leurs lois afin de servir l’industrie agricole.

Selon Grain.org :

Au Ghana … l’AGRA a aidé le gouvernement à revoir ses politiques en matière de semences dans le but d’identifier les obstacles à une plus grande implication du secteur privé. Grâce au soutien technique et financier de l’AGRA, la législation du pays en matière de semences a été révisée et une nouvelle loi sur les semences favorable aux entreprises privées a été adoptée à la mi-2010. Elle a notamment établi un registre des variétés aptes à la commercialisation. En Tanzanie, les discussions entre l’AGRA et les représentants du gouvernement ont facilité un changement politique majeur visant à privatiser la production de semences. Au Malawi, l’AGRA a aidé le gouvernement à réviser ses politiques commerciales et de fixation des prix du maïs ».

Commentant le rôle de Gates dans la refonte des marchés agricoles, Shiva a déclaré à The Grayzone : « Vous créez un nouveau champ, vous y investissez. Vous forcez les gouvernements à y investir, vous détruisez la réglementation. Vous détruisez les alternatives, vous attaquez les scientifiques.  Et vous créez toute une machinerie au service de votre monopole ».

Comme dans le cas de Gates avec Big Pharma, ces démarches peuvent s’expliquer par les conflits d’intérêts apparents de la Fondation Gates. Et comme pour Big Pharma, les exemples ne cessent de se multiplier.

L’ancien directeur adjoint du programme agricole de la fondation, Robert Horsch, était auparavant cadre supérieur chez Monsanto, où il a travaillé pendant 25 ans. Horsch a dirigé l’équipe qui gère les subventions agricoles et, selon le Global Policy Forum, « on lui a demandé de rejoindre la Fondation Gates, notamment pour poursuivre les recherches qu’il menait à Monsanto ».

Sam Dryden, l’ancien directeur du programme agricole de la Fondation Gates, dirigeait auparavant deux des plus grandes entreprises de semences génétiquement modifiées, Emergent Genetics et Agragentics Corporation. En 2005, Emergent a été rachetée par Monsanto, où Dryden était resté pendant six mois.

Pendant qu’il était à la Fondation Gates, le Guardian l’a qualifié de « figure la plus puissante de l’agriculture des pays du Sud ».

L’ancien responsable du programme agricole de la Fondation Gates, Don Doering, était auparavant membre fondateur du Conseil consultatif sur les biotechnologies de Monsanto. Doering a mené une équipe de développement agricole qui dirigeait de l’argent vers « l’aide aux agriculteurs pauvres en Afrique sub-saharienne et en Asie ».

Il y a aussi Florence Wambugu, qui a écrit le livre « Modifying Africa » et qui a été appelée « une apôtre de Monsanto en Afrique ». Après avoir reçu une bourse de l’USAID, Wambugu est devenue chercheuse à Monsanto. Elle a ensuite été nommée au Conseil du développement mondial de la Fondation Gates.

Comme pour plusieurs de ses entreprises pharmaceutiques, la Fondation Gates travaille avec l’USAID dans le secteur de l’agriculture. Pamela K. Anderson, l’actuelle directrice du développement agricole de la Fondation Gates, siège actuellement au conseil d’administration de l’USAID.

22.000 enfants meurent chaque jour à cause de la pauvreté. Pourtant, les causes socio-économiques des problèmes de santé peuvent être négligées lorsque les intérêts de l’industrie prennent le dessus. C’est ce qui se passe avec la primauté de la Fondation Gates dans l’arène de la santé mondiale.

En bref, le leadership de la fondation dans ses précédents efforts de santé mondiale montre une allégeance non pas à la santé publique, mais aux impératifs du capital occidental. Elle préfère ne pas renforcer les systèmes de santé, mais s’assurer que les nations restent dépendantes de Big Pharma et/ou de l’agri-business aussi longtemps que possible.

C’est à cette lumière que l’on peut comprendre le leadership de Gates dans la lutte mondiale contre le Covid-19.

A suivre…

Traduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia

Photo Aamir Mohd Khan / Pixabay

Première partie : L’empire mondial de la santé de Bill Gates promet toujours plus d’empire et moins de santé

Deuxième partie : L’empire mondial de la santé de Bill Gates, deuxième partie


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