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Mercredi, 25 Déc. 2024

Conflits d'intérêts ordinaires pour Big Pharma et les essais randomisés : qui paye commande ?

Auteur : FranceSoir | Editeur : Walt | Jeudi, 11 Juin 2020 - 07h32

Dans un article précédent nous décrivions l'usage dl'essai randomisé comme l'arme médiatique contre l'éthique médicale qui pose de nombreuses questions quant à son usage dans la crise actuelle.  Dans ces même colonnes en un effort de réconciliation entre les deux camps nous décrivions un rapprochement des deux points de vue expliquant cela au travers de l'image du verre à moitié vide et à moitié plein.  Ce qui nous intéresse ce jour c'est la quantité de conflits d'intérêts qui existent et sont, somme toute, ordinaires.

Regardons maintenant le récit ordinaire d'un conflit d'intérêt plus modeste mais tout aussi significatif quant à la mainmise de l'industrie pharmaceutique sur la recherche clinique française. Pendant 13 ans, ma profession a été rédacteur médical dans le domaine des essais cliniques en oncologie. Dans ce domaine les progrès sont que très rarement mieux que modestes et les essais contrôlés randomisés sont effectivement un outil indispensable pour l'évaluation des nouveaux traitements quand le gain espéré est très réduit, de l'ordre de 2 à 5%, et donc difficile à établir rigoureusement.

Il m'est arrivé  à de nombreuses reprises d'observer des conflits d'intérêts et d'alerter ma hiérarchie lorsque je m'apercevais au cours de la rédaction d'un protocole que les arguments de justification de l'essai sur l'efficacité ou la toxicité des molécules testées n'étaient pas exactes, voire parfois totalement faux. Je dois d'ailleurs dire que j'ai toujours été soutenu par les responsables de recherche publique même si parfois cela prenait un temps considérable pour leur démontrer la réalité d'un problème.

En deux occasions cela a pris plus d'un an avec le concours d'un expert statisticien indépendant désigné pour évaluer la situation d'un œil impartial.

Cependant, j'ai pu constaté que l'éthique scientifique des sociétés pharmaceutiques était à géométrie variable quand de très grosses sommes d'argent s'élevant à des centaines de millions de dollars par année d'exploitation d'un nouveau traitement sont en jeu. Un jour j'ai dû reprendre de A à Z la rédaction d'un protocole d'essai clinique financé par un très grand groupe pharmaceutique qui avait décidé de mettre sur le marché européen et américain un traitement complémentaire par anticorps monoclonal pour une pathologie cancéreuse à un stade précoce de développement de la maladie. L'objectif était d'augmenter de 10% supplémentaires la probabilité de survie sans rechute à 3 cinq ans par rapport au traitement classique. Lorsque l'on m'a remis ce projet de rédaction, le chef de projet de l'institut de recherche publique servant d'intermédiaire à la soumission de cette recherche aux autorités de santé (en France une société pharmaceutique ne peut déposer directement un projet de recherche clinique) m'a dit clairement qu'elle suspectait un problème au niveau du plan statistique élaboré par le statisticien de l'étude mais qu'elle n'arrivait pas à l'identifier.

Quelqu'un avait dû émettre des doutes. Il faut préciser que mon salaire et le sien était payé indirectement par ce groupe pharmaceutique qui finançait cette recherche.

Le plan statistique est la pierre d'achoppement des essais randomisés car il définit la règle mathématique par laquelle l'essai devra conclure ou non au bénéfice du nouveau traitement pour les patients. C'est le premier objectif d'un essai randomisé et un plan statistique erroné est absolument désastreux car il ne permettra pas de conclure avec certitude quant à l'efficacité ou l'inefficacité du traitement étudié et cela malheureusement après des années d'effort.

Mais, un plan statistique biaisé peut également dans certaines conditions permettre de conclure à tort à l'efficacité d'un traitement.

En l'occurrence, en passant au crible les paramètres de l'essai il s'est avéré que le plan statistique déviait en un seul point de l'ensemble des recommandations émises au cours d'une conférence de consensus à laquelle les experts médicaux d'une douzaine des plus grands instituts de recherche médicale à travers le monde, comme l'Institut Curie de Paris ou le MD Anderson Cancer Center de Houston, avaient participé. Le traitement par anticorps à l'essai devait durer 12 mois pour les patients et l'essai prévoyait de les suivre  sur une période moyenne de 2 ans au lieu de suivre chacun des patients sur 2 années complètes, suite à la première injection du traitement, comme le précisaient les recommandations qui garantissaient qu'un effet réel de gain d'efficacité pourrait être mesuré. Cette simple différence pouvait suffire à induire une distorsion statistique considérable. Par exemple, les derniers patients inclus (25 %) ne seraient en fait suivis que pendant une année et demie au lieu de 2 ans, réduisant considérablement leur chance de rechute dans ce laps de temps encore proche de la protection de l'anticorps. Cela augmentait ainsi artificiellement le pourcentage de survie sans rechute. Cette différence permettait également de réduire d'un an la durée de l'essai et d'anticiper une mise sur le marché raccourcie et d'assurer ainsi une année supplémentaire d'exploitation du brevet. Seulement un des deux investigateurs en chef de l'étude alertés du problème a été d'avis qu'il fallait suivre la recommandation d'un suivi complet de 2 ans pour chaque patient et il n'a pas été possible de changer ce paramètre. Je ne sais pas quelle a pu être l'action de l'autre responsable.

Au final, le groupe pharmaceutique n'a jamais accepté de revenir sur ce point particulier qui se résumait à deux mots sur un document de 130 pages mais avait des conséquences importantes sur les résultats de l'essai et la mise sur le marché accélérée du traitement complémentaire par anticorps !...

Il semblerait donc que qui paye commande et que c'est bien là que le bât blesse. Les instituts habilités à sponsoriser les protocoles de recherche clinique et les soumettre aux autorités de santé reçoivent un argent considérable de l'industrie, argent qui paye à la fois les frais de recherche dans les hôpitaux et les salaires d'une armada de chefs de projet, statisticiens, rédacteurs médicaux, etc... finissant par créer, même avec la meilleure volonté du monde, une situation de conflit d'intérêt quasi permanent qui ne fait que se renforcer, année après année, avec le recul concomitant de l’État et des financements publics.  

L'auteur est un ancien chercheur scientifique au laboratoire européen de biologie moléculaire. Sa spécialité était l'étude théorique des protéines et de leur fonction. Il a travaillé ensuite dans l'industrie pharmaceutique  à la conception de médicaments assistée par ordinateur (CMAO) avant de devenir rédacteur médical.


- Source : FranceSoir

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