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Samedi, 28 Déc. 2024

N’appelez pas ça censure, appelez ça droits d’auteur

Auteur : X-Net (Espagne) | Editeur : Walt | Mardi, 02 Avr. 2019 - 15h19

Avec l’adoption au Parlement européen du texte final de la législation sur les droits d’auteur, l’Union Européenne a perdu l’occasion historique d’élaborer des lois sur les droits d’auteur adaptées à Internet et au XXIe siècle. En fin de compte, ce qui a été voté, c’est un texte technophobe, fait sur mesure pour les monopoles du copyright, qui de plus ne garantit pas le droit des auteurs à vivre dignement de leur travail.

Ce texte ne servira qu’à restreindre les libertés et à censurer au coup par coup, dans la perspective délirante que tout ce qui ne produit pas d’argent pour les majors – et non pour les auteurs – doit être interdit et supprimé. Une tragédie pour les travailleurs du monde de la culture qui, d’un autre côté, ont une fois de plus été incapables – sauf quelques exceptions courageuses et louables – de bien comprendre la réalité de la situation. Ils ont avalé passivement la version de leurs maîtres et, se victimisant avec empressement, ont été le principal haut-parleur de la propagande liberticide sans même savoir que tout cela ne profitera pas à leurs droits, mais éliminera ceux de tous.

Les alarmes se sont déclenchées il y a près de deux ans lorsque nous avons découvert qu’en plus d’être une proposition obsolète en matière de droits d’auteur, cette nouvelle législation était utilisée comme cheval de Troie pour introduire la surveillance, le traitement automatique des données, le gouvernement par algorithmes opaques, la censure sans mandat judiciaire, etc…

Cette menace qui s’applique aujourd’hui pour des droits aussi fondamentaux que la liberté d’expression ou l’accès à la culture et à l’information se concentre sur les pièges cachés principalement dans deux articles :

Article 13 (plus tard 17) : il est interdit de télécharger du contenu sans licence.

Les plates-formes – des services d’hébergement web de taille moyenne aux géants de l’Internet – seront tenues responsables de toute violation de droits d’auteur commise par leurs utilisateurs et devront prendre des mesures préventives, c’est-à-dire qu’il ne s’agit plus de supprimer des contenus mais de les empêcher directement d’être téléchargés.

Naturellement, on ne les oblige à rien. Ils ne sont responsables que de ce que leurs utilisateurs téléchargent.

C’est comme si le vendeur de voiture était responsable des crimes routiers commis par ses acheteurs.

Cela ne peut conduire qu’à des filtres algorithmiques de téléchargement de tout et n’importe quoi. En d’autres termes, une censure préalable, automatique et massive de l’Internet.

Récemment, Youtube a empêché le pianiste James Rhodes de télécharger une vidéo de lui jouant Bach au piano. Ce type « d’erreurs » qui jouent toujours en faveur de la privatisation du domaine public font partie de la vie quotidienne de tous les auteurs qui utilisent Youtube.

Et il ne s’agit pas seulement « d’erreurs » privatisant le domaine public. Il s’agit de la difficulté ou de l’impossibilité de télécharger sur Internet des œuvres dérivées : parodies, mimes, remixes, satires… l’essence même de la culture et de la liberté politique et la liberté d’expression.

Article 11 (plus tard 15) : Interdiction de créer des liens sans licence.

Le projet d’article 11, dit « Linktax » – imposé sur le lien – crée un nouveau « droit » économique pour le patronat de la presse écrite. Ce « droit » implique également de restreindre indéfiniment la possibilité de la citer.

Si cela vous semble absurde, arbitraire et contre-productif, nous vous invitons à lire la proposition elle-même, un texte ambigu que le juriste Andrej Savin a défini comme :

« Le pire texte juridique que j’ai vu en 23 ans de carrière universitaire ».

Face à cette imprécision, la chose la plus sûre pour toute plate-forme sera de ne pas établir de lien vers un média sans autorisation explicite.

Cette mesure perverse serait l’équivalent européen du « Canon AEDE » qui est déjà en vigueur en Espagne et en Allemagne et que ses propres promoteurs ont déploré après la fermeture de Google News en Espagne pour son approbation. Le Canon AEDE est paradoxal et les promoteurs de cette initiative savent qu’il ne fonctionnera pas en Europe. Par exemple, chez Xnet, nous avons découvert que le grand groupe d’édition Axel Springer se payait lui-même – ils se payaient entre eux – dans une simulation farfelue de « tout se passe bien ».

A quoi bon que les patrons de presse insistent pour faire adopter des lois qui interdisent de créer un lien, de diffuser et de commenter son contenu, est-ce simplement le mélange de l’ignorance et de la cupidité qui pousserait à se tirer une balle dans le pied ?

Il y a un peu de cela, sans doute, mais nous croyons plutôt que c’est le mélange de l’ignorance et de la cupidité qui amène à s’arracher un œil pour que l’ennemi en ait deux.

Avec des lois de ce type, les patrons de la presse pourraient légalement harceler les agrégateurs sociaux et les communautés, éliminant tout nouveau concurrent et consolidant leur position monopolistique. Devenir la seule voix dans un Internet où ils seront les seuls à parler et qu’ils aspirent à transformer en une nouvelle télévision.

Tout ceci ressemble à une dystopie de science-fiction, à une tentative impossible de mettre des barrières sur la toile ou à une sombre prophétie exagérée par des militants concernés et les grandes plates-formes l’ont déjà mis en œuvre.

Pour l’instant, il y a deux options.

  • Modèle Spotify

Il s’agit pour la plate-forme d’acquérir toutes les licences nationales et internationales et de rendre tous les contenus disponibles de manière unidirectionnelle, empêchant les utilisateurs de télécharger. Pourtant, dans le cas de Spotify, l’un des rares géants à pouvoir se le permettre aujourd’hui, payer les monopoles des droits d’auteur a rendu leur activité si coûteuse que leur pérennité n’est pas garantie à moyen terme malgré leur succès commercial. Si c’est le cas avec Spotify, nous pouvons imaginer ce qui arrivera aux moyennes entreprises sur Internet.

Ce modèle a un autre défaut qui est déjà évident pour la plupart des artistes. Le montant final d’argent que les auteurs réels reçoivent est nul ou proche de zéro.

  • Modèle Facebook/Google

Ces nouveaux monopoles Internet refusent de partager leur gâteau avec les anciens monopoles des droits d’auteur et optent donc déjà pour un filtrage massif et automatique de tous les contenus. Leur adaptation à l’article 13 sera facilitée.

Cette technologie, en plus d’être opaque et exclusive, est très coûteuse et son caractère obligatoire rendra presque impossible l’émergence et la prospérité des concurrents de ces géants.

Google a dépensé environ 100 millions de dollars pour créer la technologie qui lui a permis de répondre aux demandes de droits d’auteur qui lui parviennent de seulement 1% de ses utilisateurs.

L’effet que ces règles arbitraires auraient sur la libre conversation sur Internet et sur la diffusion et l’accès à la culture et à l’information est dévastateur.

Les droits d’auteur sont importants, mais de quels droits s’agit-il ? Et de quels auteurs ?

Une proposition démocratique avec une vocation de large consensus qui aurait aspiré à garantir le travail décent des auteurs sans violer les droits fondamentaux des citoyens aurait dû affronter audacieusement et pour de bon les monopoles des droits d’auteur et les entités de gestion suspectes (quand elles ne faisaient pas directement l’objet d’une enquête, étaient jugées et condamnées comme la SGAE). Il aurait également fallu supposer que le concept d’auteur ou de médium a changé au cours des 20 dernières années. Depuis la création du Web 2.0, le contenu généré par les utilisateurs est passé d’une expérience sociale intéressante à la réalité numérique dans laquelle nous nous plongeons tous les jours. Le contenu généré par ce qui était autrefois les « grands » médias n’atteint pas 5% du trafic Internet dans une société comme l’Espagne. L’UE a raté une occasion de traiter ses citoyens comme des créateurs de contenu et non comme de simples voleurs de contenu d’une élite. Aucune entreprise, aucun média ni aucun auteur n’a écrit sur Wikipédia, n’a fait du Net le dépôt de toutes les vidéos du monde ou n’a généré des millions de tweets par jour. Nous, les gens, nous l’avons fait. Internet n’est pas à eux.

Les menaces cachées contenues dans la législation sur les droits d’auteur adoptée aujourd’hui s’inscrivent dans le cadre d’une tentative visant à remettre le génie dans sa bouteille et à mettre en place une inquisition qui permettra enfin de contrôler l’internet. Nos politiciens et les grandes entreprises nous envient la Chine comme modèle.

L’idée initiale des pères et des mères du World Wide Web et de l’Internet tel que nous le connaissons, l’idée d’une architecture ouverte pour partager les liens sans restriction, a été la clé de son succès. Cette architecture changera radicalement si cette législation est mise en œuvre telle qu’elle est conçue.

Aujourd’hui, l’UE veut créer un internet sous licence : en tant que société civilisée, on ne peut pas parler de censure, c’est pourquoi on l’appelle droits d’auteur.

Lors du vote final, tout le pouvoir et l’argent ont été mis d’un côté. Les gens de l’autre côté – en faveur de la liberté d’expression, d’un internet ouvert et d’un droit d’auteur adapté au XXIe siècle qui permette aux auteurs de vivre dans la dignité et non dans les miettes des sociétés de gestion collective – dans la plus grande mobilisation qu’il y ait eu contre une directive, nous avons été vilipendés, appelés voleurs, pirates et accusés d’absurdités. Notre mobilisation ne les a pas empêchés d’approuver cette aberration, mais elle a été camouflée comme quelque chose de positif.

La citoyenneté active pour les droits civiques sur Internet continuera à remplir notre obligation et à mener la bataille. Internet a une mémoire et les députés qui ont voté en faveur de cette aberration doivent en assumer les conséquences lors des prochaines élections.

Nous continuerons à nous battre aujourd’hui et lors de la transposition de la réglementation en Espagne pour préserver un Internet libre, un outil pour la démocratie et l’avenir avec ou sans l’aide des « artistes » ou de la « gauche parlementaire », mais non sans constater avec amertume le dangereux avenir de la liberté d’expression et d’information et nos libertés dans le nouveau contexte de l’ère numérique, où l’outil et le messager sont tués pour préserver un statu quo qui ne peut durer.

Traduit par Pascal pour Réseau International


- Source : X-Net (Espagne)

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