Enquête sur RT France – France Inter confond investigation et inquisition
Le 23 mars 2019, France Inter publiait une enquête de sa « cellule investigation » à propos des accusations de tentative d’ingérence de la Russie dans les démocraties occidentales via ses médias et internet. L’enquête s’intitule « Campagne des européennes : les craintes d’une nouvelle cyberattaque russe », et la vidéo publiée la veille « Russie : la nouvelle propagande 2.0 ». Le ton est donné.
Cellule investigation ça fait sérieux, l’image est celle d’un journaliste à la limite du détective, creusant les informations qu’il reçoit pour trouver la vérité. Sauf que chez France Inter, le concept d’investigation ne semble pas avoir la même signification.
« Les Russes, les Américains, ou les Chinois, comme tous ceux qui ont une volonté impériale, cherchent à utiliser les maillons faibles », note Jerome Bondu directeur du cabinet Inter-Ligere, qui forme les entreprises à la sûreté numérique. « La France et même l’Europe sont des maillons faibles dans le grand jeu d’influence numérique », peut-on lire dans l’article.
Tiens donc. Comme si la France était un lapereau de six semaines en matière de propagande. Surtout en ce qui concerne la Russie et l’Ukraine. Pareil pour d’autres pays européens comme l’Allemagne. Faut-il rappeler la fake news récente publiée par RFI à propos des soldats russes en Centrafrique ? Ou les reportages complètement bidonnés de ZDF (chaîne allemande) et France 24 à propos du Donbass ?
Non vraiment, essayer de faire passer la France et l’Europe pour de blanches colombes incapables de se défendre contre la propagande, il y a vraiment de quoi rire à gorge déployée !
Selon France Inter, pourquoi la Russie mène-t-elle une telle propagande ? Pour « légitimer le régime du Kremlin en suggérant implicitement que ce qui se passe à l’étranger est pire que ce qui se passe en Russie » nous dit l’article.
Pourquoi parler de régime, pour commencer ? Le président russe est élu lors d’élections démocratiques, organisées sous haute surveillance. Observateurs étrangers et caméras de vidéo-surveillance dans tous les bureaux de vote sont là pour s’en assurer.
De plus, lors des dernières élections, Vladimir Poutine a été élu dès le premier tour avec 76,69 % des voix ! Il a été élu avec les 3/4 des voix dès le premier tour ! De quoi faire pâlir d’envie tous les dirigeants occidentaux, Angela Merkel et Emmanuel Macron inclus. Et sa côte de popularité au sein de la population (65,3 % au 17 mars 2019) reste très au-dessus de celle du président français (29 % au mois de mars 2019), même après la réforme très contestée des retraites en Russie !
Donc qui des deux présidents a le plus besoin de légitimer son « régime » ? Un président élu « par défaut » au second tour pour faire barrage au Front National (Emmanuel Macron), avec une côte de popularité en dessous de 30 %, ou un président élu dès le premier tour avec plus de 75 % des suffrages lors d’élections démocratiques et sous haute surveillance (Vladimir Poutine), qui bénéficie toujours du soutien des deux tiers de ses citoyens ?
Cet exemple montre de manière flagrante l’inversion accusatoire typique des gouvernements et médias occidentaux, qui accusent entre autre la Russie de leurs propres problèmes et de leurs propres tares.
La suite continue d’ailleurs dans cette inversion accusatoire, puisque selon France Inter, « les images de chaos en France servent d’argument à Vladimir Poutine pour interdire par exemple des manifestations ». Mince alors, il me semblait que c’était Macron et son gouvernement qui avaient justement utilisé ces violences pour interdire les manifestations des Gilets Jaunes.
Continuons la lecture de l’article. On nous cite ensuite comme source prouvant que les médias russes font de la propagande pour déstabiliser l’Europe et la France, le fameux rapport sur les manipulations de l’information, publié par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. C’est comme « cellule d’investigation », ça fait sérieux un rapport officiel.
Sauf que ce rapport est surtout basé sur les accusations sans fondement mais maintes fois répétées en boucle par tous les médias occidentaux.
« Ce n’est pas faire preuve de « russophobie » que de constater que toutes les ingérences récentes dans des référendums (Pays-Bas, Brexit, Catalogne) et des élections (États-Unis, France, Allemagne) sont liées, de près ou de loin, à la Russie », nous dit ce rapport.
Mais où sont les preuves de ces accusations ? La baudruche accusatoire concernant l’ingérence russe dans les élections américaines, se dégonfle à vue d’œil après deux ans de matraquage médiatique, après la publication du rapport du procureur Mueller, qui a conclu à l’absence de collusion entre Trump et la Russie, et dans lequel aucune preuve irréfutable n’est avancée concernant l’histoire du piratage (le rapport du renseignement américain publié en 2018 masquant en noir toutes les parties où sont censés se trouver les preuves et arguments étayant les accusations, bien pratique).
Il suffit de regarder les chiffres avancés par le rapport pour se rendre compte du ridicule de l’accusation. Comment la Russie aurait-elle pu influencer le résultat de l’élection américaine avec à peine 0,0002 % des publicités électorales, dont 25 % n’ont jamais été vues sur Facebook par exemple ?
Et concernant les élections françaises, les accusations de cyberattaques russes contre le site du parti En Marche pendant les élections présidentielles françaises avaient été démenties par Guillaume Poupard lors d’une interview accordée à Associated Press. Il avait souligné que l’attaque était tellement simple, qu’elle aurait pu être menée par n’importe qui, même un particulier, et que rien ne permettait de lier cette attaque à un groupe de hackers russes !
Un fait sur lequel l’article de France Inter se tait, préférant citer quelqu’un d’autre allant dans le sens de l’ingérence russe, et qui déclare que cette piste se basait sur l’apparition d’un nom russe dans les documents modifiés ! Avant de mener de pseudos-enquêtes, France Inter ferait bien d’engager des experts en informatique, qui lui apprendront qu’affubler son PC d’un nom d’utilisateur russe (qui apparaîtra alors dans les méta-données des documents) est à la portée de n’importe qui (même un enfant) ! Et laisser des traces pareilles, c’est vraiment un boulot d’amateur. Des hackers professionnels ne laissent pas de telles traces, ce qui accrédite la thèse d’un simple particulier, qui pourrait tout aussi bien se trouver en France qu’à Singapour !
Et quand ce rapport parle de l’ingérence dans le référendum qui a eu lieu en Catalogne, aucun lien direct vers le ou les articles problématiques de RT Espagne. Non, le rapport cite une étude menée par « The Integrity Initiative », une pseudo-ONG, en réalité financée par plusieurs gouvernements occidentaux et le Foreign Office britannique, et opaque sur ses contributeurs, qui a été démasquée récemment grâce à la fuite de plusieurs documents, organisée par le groupe Anonymous.
Concernant l’ingérence en Catalogne, les documents publiés par Anonymous ont prouvé qu’il n’y avait aucune preuve réelle derrière ces accusations, à part des articles d’El Pais, qui lui-même citait des informations d’une organisation chargée de la lutte contre les médias russes et financée en partie par le gouvernement américain. En clair, pseudo-ONG et médias occidentaux se citent les uns les autres pour justifier leurs accusations dans un cycle sans fin de fake news justifiées par des rapports eux-mêmes basés sur d’autres fakes news !
Niveau fiabilité on a vu mieux. Et on a d’autant plus de quoi s’interroger, quand on voit les autres sources utilisées au départ par le journaliste de France Inter, Philippe Reltien, pour l’interview qu’il a faite de Xenia Fedorova, présidente de RT France, pour ce même article.
Le « journaliste » français cite un article de Bloomberg accusant RT France d’avoir exagéré une information pendant le mouvement des Gilets Jaunes, à propos de policiers qui ont retirés leurs casques à Pau, et que RT et Sputnik auraient interprété comme le fait que la police changeait de camp.
Sauf qu’en réalité, cette conclusion hâtive venait d’une chaîne russe (dixit Reltien lors de l’entretien avec Xenia Fedorova), qui a écrit un titre basé sur ces mêmes images, mais qui n’a rien à voir avec celui de l’article de RT France, qui était tout à fait factuel.
Pour monsieur Reltien, on dirait que les médias russes se limitent RT et Sputnik, ou que ces derniers sont collectivement responsables de toute erreur ou fausse nouvelle publiées par des médias basés en Russie (comme le dit la fable « si ce n’est toi, c’est donc ton frère ») ! Du délire complet.
Je vous laisse écouter l’enregistrement que RT France a fait de cet échange surréaliste, où Philippe Reltien exige de manière répétée et agressive de Xenia Fedorova qu’elle fasse son autocritique sur base de cet article de Bloomberg qui s’avère, à la fin de l’entretien, complètement faux.
Audio: Infox, menaces de mort, Gilets jaunes : quand un journaliste de France Inter se prend pour un juge
Mis devant l’évidence par Xenia Fedorova et son collègue, qui lui mettent sous le nez l’article que RT France avait publié à l’époque, Philippe Reltien n’a même pas été fichu de s’excuser d’avoir ainsi accusé RT France sur base d’un article qu’il n’a même pas pris la peine de vérifier AVANT l’entretien. Bonjour le sérieux de la cellule investigation !
Au lieu d’exiger de madame Fedorova qu’elle fasse son autocritique, monsieur Reltien ferait bien de commencer par la sienne ! Car cet entretien montre sans équivoque que mis devant ce qui est un mensonge évident, ce monsieur est incapable d’admettre à la fois son erreur et son incompétence !
Sans parler de la première question de l’interview, qui est à la limite entre le cynisme et l’ignominie : « Vous recevez des menaces de mort. […] Vous n’avez pas l’impression que vous êtes en train de récolter ce que vous avez semé ? Que vous êtes responsable de ce qui se passe maintenant ? », dit Philippe Reltien de manière insistante.
Lorsque j’ai écouté cet entretien, j’ai dû me pincer et réécouter ce passage, tant il me semblait surréaliste d’entendre une horreur pareille. Depuis quand des journalistes mériteraient-ils de recevoir des menaces de mort ou d’être assassinés (et ce même s’ils publiaient des fakes news avérées) ?
Cette « logique » a fait tiquer beaucoup de gens qui l’ont comparé (à juste titre je trouve) aux propos faisant porter la responsabilité de leur viol aux femmes qui l’ont subi : « Tu as été violée. Oui, d’accord, mais tu n’as pas l’impression d’avoir récolté ce que tu as semé ? Que tu es responsable de ce qui s’est passé ? Après tout, tu étais seule la nuit en mini-jupe ».
Les deux propos m’inspirent le même dégoût et la même envie irrépressible de vomir. La réponse de Xenia Fedorova (qui est restée d’un calme olympien tout le long de l’entretien face à un Philippe Reltien très agressif et vindicatif) a été une véritable frappe chirurgicale oratoire.
« Alors on peut aussi se demander si Charlie Hebdo a réellement provoqué les menaces de mort et ce qui lui est arrivé avec ses publications », lui répond la directrice de RT France.
L’argument fait mouche, et après cette « claque » verbale, Philippe Reltien passe très vite à un autre argument. Là aussi aucune excuse de sa part d’avoir tenu des propos littéralement ignobles.
Si cette phrase m’a autant choquée, c’est que les journalistes en Ukraine et dans le Donbass ont payé et payent encore un prix très lourd pour leur travail. Plusieurs journalistes ont été tués au début de la guerre (comme Andreï Stenine, Andrea Rocchelli, ou Igor Kostenko), d’autres ont été blessés (comme William Roguelon), certains ont été assassinés, menacés ou emprisonnés (comme Rouslan Kotsaba et Kirill Vychinski) en Ukraine, pour avoir simplement fait leur travail ou dit une vérité qui dérange (mais qui est qualifiée de propagande russe, ou de fake news par le pouvoir de Kiev).
Si on suit la « logique » de monsieur Reltien, ces journalistes ont mérité leur sort. Ils n’avaient qu’à publier la version « officielle » des faits et tout se serait bien passé pour eux ! Comme RT France, ils n’avaient qu’à pas publier des fausses nouvelles (qui en fait ne sont pas fausses mais qui dérangent) et appuyer là où ça fait mal en Occident ! Vomitif. Littéralement.
Je vous encourage à écouter l’intégralité de l’interview accordée par Xenia Fedorova à Philippe Reltien. C’est édifiant à plus d’un titre, et montre que la vérité finit toujours par triompher du mensonge. Il suffit de savoir rester patient, comme l’a fait avec brio madame Fedorova, face à un Philippe Reltien qui tenait plus de l’inquisiteur (exigeant de l’accusée qu’elle avoue être une sorcière) que du journaliste d’investigation.
Photo d'illustration: Photo retouchée venant du film « Sacré Graal » des Monthy Python
- Source : Donbass Insider (Donbass)