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Malgré les risques de schisme dans l’Église orthodoxe, Constantinople s’arroge le droit d’accorder l’autocéphalie à Kiev

Auteur : Christelle Néant | Editeur : Walt | Vendredi, 12 Oct. 2018 - 14h48

Malgré l’échec des pressions politiques sur le Métropolite Onuphre, et la levée de boucliers de l’ensemble des Églises orthodoxes autocéphales, Constantinople continue de vouloir accorder l’autocéphalie à l’Église orthodoxe ukrainienne schismatique.

Le synode qui s’est tenu au Phanar pendant trois jours, vient de communiquer ses décisions sur son site, après beaucoup de conjectures publiées dans les médias (comme le fait que l’Église de Géorgie soutenait l’autocéphalie, ce qu’elle a dû démentir par voie de presse).

Il faut dire que rien n’avait été épargné par l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev (UOC-KP, Église schismatique non reconnue) et le gouvernement ukrainien pour tenter d’obtenir l’autocéphalie.

Après avoir déboursé 25 millions de dollars pour faire venir les hiérarques de Constantinople en Ukraine, les autorités ukrainiennes ne pouvaient pas laisser cette venue aboutir sur un échec.

Devant les réticences initiales de Constantinople à faire face à une fronde générale des Églises orthodoxes, Porochenko avait même convoqué une réunion avec le Métropolite de Kiev, Onuphre (de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou – UOC-MP), pour tenter de faire pression sur lui.

Cette réunion qui a eu lieu le soir du 9 octobre n’a pas été confirmée par l’administration présidentielle ukrainienne, mais plusieurs députés ukrainiens, dont Igor Mossiytchouk, ont révélé l’information.

D’après ces informations, Porochenko aurait demandé à Onuphre de ne pas déclencher de manifestations si l’UOC-KP obtenait l’autocéphalie, mais surtout il lui aurait demandé de « faire partie du processus d’autocéphalisation » en faisant une demande de Tomos à Constantinople, afin de légitimer la demande des autorités de Kiev.

Car malgré toute la propagande déversée dans les médias ukrainiens, Constantinople avait un gros problème : la demande d’autocéphalie ne vient pas de l’Église orthodoxe ukrainienne officielle, mais d’une Église schismatique non-reconnue ! Ce qui semblait finalement poser un gros souci de légitimité au Patriarche Bartholomée, qui a tergiversé pendant deux jours.

Il semble qu’un troisième point était à l’ordre du jour, puisque Porochenko aurait aussi demandé au Métropolite Onuphre de ne pas excommunier le Métropolite de Vinnitsa (qui est un proche de Porochenko) au cas où l’autocéphalie serait accordée à l’UOC-KP. En clair, Porochenko se serait une fois de plus immiscé de manière totalement anticonstitutionnelle dans les affaires de l’Église !

La réponse d’Onuphre a été que l’UOC-MP ne prévoit pas d’organiser des protestations, MAIS que si ses temples étaient attaqués, les croyants les défendraient. Concernant les deux autres points de la demande du Président ukrainien, la réponse du Métropolite de Kiev a été négative. Hors de question pour Onuphre de légitimer cette mascarade d’autocéphalie.

Histoire de contourner ce problème de légitimité, le Synode de Constantinople a donc pris plusieurs décisions, qui vont sérieusement aggraver la situation concernant les relations de Moscou avec le Phanar.

Voici la traduction de la décision de Constantinople, avec mes commentaires en italique :

1) Renouveler la décision déjà prise pour que le Patriarcat œcuménique procède à l’octroi de l’autocéphalie à l’Église d’Ukraine.
Commentaire : Donc Constantinople s’arroge bien le droit de décider seule d’interférer dans les affaires d’une autre Église orthodoxe, sans passer par la case discussion avec les autres Églises comme l’exigent les règles de fonctionnement de l’Église orthodoxe.

2) Rétablir, en ce moment, la Stavropégie du Patriarche œcuménique à Kiev, une de ses nombreuses Stavropégies en Ukraine qui y a toujours existé.
Commentaire : Constantinople réinstalle donc une Église orthodoxe dépendant de son Patriarcat en Ukraine afin de légitimer la suite. Le problème est qu’elle le fait sur le territoire canonique d’une autre Église orthodoxe sans son accord. Ceci est là aussi une violation grossière des règles de fonctionnement de l’Église orthodoxe, et n’est ni plus ni moins qu’une ingérence illégale dans les affaires de l’Église orthodoxe russe.

3) Accepter et réviser les pétitions d’appel de Philarète Denissenko, de Macaire Maletitch et de leurs disciples, qui se sont trouvés dans un schisme non pas pour des raisons dogmatiques, conformément aux prérogatives canoniques du Patriarche de Constantinople de recevoir de telles pétitions par les hiérarchies et autres ecclésiastiques de l’ensemble des églises autocéphales. Ainsi, les personnes susmentionnées ont été canoniquement rétablies à leur rang hiérarchique ou sacerdotal, et leurs fidèles ont été restaurés à la communion avec l’Église.
Commentaire : Par cette décision, Constantinople essaye de rendre une forme de légitimité à l’Église schismatique ukrainienne, sauf qu’elle n’en a pas le droit, car l’anathème a été lancé par l’Église orthodoxe russe, et non par celle de Constantinople.

4) Révoquer la validité de la Lettre synodale de l’année 1686, publiée dans les circonstances de l’époque, qui accordait au Patriarche de Moscou le droit par économie d’ordonner le métropolite de Kiev, élu par l’Assemblée clérico-laïque de son diocèse, qui devait commémorer le Patriarche oecuménique comme premier supérieur lors des fêtes et qui proclamerait sa dépendance canonique envers la mère église de Constantinople, et qui l’affermit dans cette déclaration.
Commentaire : Cette décision est à mettre en lien avec la précédente. Constantinople va en faire réintégrer l’Église schismatique ukrainienne (et sa hiérarchie) au sein de son Patriarcat pour ensuite pouvoir lui accorder l’autocéphalie « légalement ». Le tout en s’asseyant sur le droit canon, et les règles de fonctionnement de l’Église orthodoxe. Sans parler de la réécriture de l’Histoire, toujours bien pratique dans ce genre de situation où l’Histoire est en défaveur de l’Ukraine.

5) Faire appel à toutes les parties concernées pour qu’elles évitent l’appropriation des églises, monastères et autres biens, ainsi que tout autre acte de violence et de représailles, afin que la paix et l’amour du Christ puissent prévaloir.
Commentaire : Cette partie est de loin la plus cynique et la plus immonde de cette déclaration. En gros, après avoir jeté une allumette sur la flaque d’essence qu’il a répandue, Bartholomée dit maintenant espérer que personne ne sera brûlé ou blessé dans l’affaire. Pour parler crûment, cela s’appelle du foutage de gueule intégral. Bartholomée joue là au pompier pyromane qui fait semblant d’avoir des remords pour les conséquences de ses crimes.

L’Église de Serbie a officiellement déclaré son soutien à l’Église orthodoxe russe et au Métropolite Onuphre dans cette affaire. Et avant la décision du Synode de Constantinople, l’Église d’Antioche a demandé la tenue d’une réunion urgente des chefs des Églises orthodoxes autocéphales concernant la situation en Ukraine.

La réponse de l’Église orthodoxe russe à cette décision de Constantinople n’a pas encore été communiquée. Mais il est clair que chaque Église orthodoxe va devoir choisir son camp entre ceux qui veulent respecter le droit canon et les règles de fonctionnement de l’Église orthodoxe (Église orthodoxe de Russie, de Serbie, de Pologne, etc) et ceux qui sont prêts à mélanger politique nationaliste et religion, quitte à déclencher un schisme et une guerre de religion (comme le Patriarcat de Constantinople).

Le schisme au sein de l’Église orthodoxe semble désormais inévitable, et la guerre de religion en Ukraine aussi. Porochenko, Philarète et Bartholomée porteront à tout jamais sur leurs mains et sur leurs âmes le sang qui sera immanquablement répandu suite à l’accord de cette autocéphalie anti-canonique.


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