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Europe: vers la fin officielle de la liberté de la presse?

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Jeudi, 07 Juin 2018 - 21h17

L’on a tous entendu parler du 4e pouvoir, celui des médias. A bien y réfléchir, il s’agit d’un abus de langage, car l’existence d’un pouvoir suppose un minimum d’autonomie. Or, le phénomène de concentration des médias que l’on observe en France dépasse largement nos frontières et se révèle être un phénomène global, relevant de la collusion entre le business et le politique. Plus qu’un « pouvoir », les médias, sous leurs différentes formes, sont devenus un instrument du pouvoir. Ce qui est institutionnalisé en Grande-Bretagne avec le reporting restriction, ce que tente d’affirmer en France F. Nyssen avec une maladresse salvatrice.

En Grande-Bretagne, les juges ont le droit, en application du reporting restriction, d’imposer un silence médiatique total, aux journalistes, aux blogueurs, sur les médias traditionnels, dans les réseaux sociaux, sur les blogs, concernant des affaires concrètes pour éviter un risque ou un préjudice substantiel à l’exercice de la justice pour le temps que le juge décide lui-même être nécessaire.

Les critères sont spécialement très larges et laissés à l’appréciation du magistrat qui impose un black-out total sur certaines affaires, sous peine d’incarcération immédiate pour ceux qui enfreindraient ces restrictions. C’est ce qui s’est passé avec Tommy Robinson, qui s’est placé devant l’entrée du tribunal au moment où une affaire de viols commis par une communauté indo-pakistanaise était examinée par la justice dans un silence médiatique total. Il filmait et interviewait les gens qui entraient dans le tribunal et diffusait ces informations sur Facebook. Ce n’est pas un journaliste, mais un simple citoyen, un activiste, mais un citoyen. Immédiatement qualifié d’extrême droite, d’identitaire. Il ose se prononcer contre des crimes commis par des étrangers. En effet, c’est sensible, mais pourquoi interdire une discussion de la société sur des sujets qui justement sont sensibles, sensibles car ils la concernent directement? Jugé, condamné et incarcéré en quelques heures, lui-même tombé sous le coup du reporting restriction, à l’heure d’internet il est difficile de mettre quelqu’un au secret, la lettre de cachet est divulguée, une réaction sociale explose. Et les médias, dociles mais vaincus, finissent pas en parler. 13 mois de prison pour avoir parlé d’un scandale, que la presse acceptait de taire.

Les Indo-pakistanais. En Grande-Bretange, c’est sensible, ils sont nombreux. L’immigration en général est un sujet sacré. Il faut redorer l’image des immigrés, lancer des Mamoudou, mais modifier les noms et taire les origines lors des crimes – pour ici ne pas « stigmatiser ». Idéologie oblige. C’est la ligne politique, la presse doit suivre. Les médias suivent. Une partie de la société réagit.

Ces mesures extrêmes, liberticides, sont toujours le signe d’une rupture entre la société et le pouvoir, de la difficulté pour celui-ci de faire passer ses préceptes, le signe d’un grincement idéologique, le grain de sable. En France aussi, la mécanique peine à entraîner, pourtant ce n’est pas faute d’y recourir. Mais elle ne convainc plus. Ils ont déjà trop souvent retourné leurs pantalons.

Face à ce constat d’échec, il y a deux attitudes possibles. La première consiste à se remettre en cause et à comprendre que la politique menée n’est pas soutenue par la majorité de la population. Démocratie obligeant, le pouvoir réoriente alors le cours politique du pays. La seconde consiste en une reprise en main du discours socialet à son reformatage par une pression plus importante des médias de tous genres. La France, avec la loi sur les Fakes news, dont la définition est tellement large qu’elle permettra de toucher toute publication indésirable, a fait le second choix. Ce choix oblige à une reprise en main de l’espace médiatique, ce que la ministre de la Culture a annoncé. Franco. Sans nuances, ni ambages. Dans une parfaite novlangue. Je vous passe les médias qui sont « en même temps » universels et doivent « faire terroir ». Donc, niant toute différenciation régionale? Et en transférant les efforts sur le numérique pour toucher « les jeunes ». Et tuer le service public de la télévision au passage. Bref, le PAF, c’est dépassé et arrêtez de me parler d’une grille de programmation. Les buts sont, il est vrai, … magnifiques:

« Anticiper », « oser », « s’engager » : ce sont les dimensions essentielles qui ressortent du « scénario d’anticipation » pour la réforme de l’audiovisuel public (…). « Les synergies entre sociétés devront être développées, pour permettre à l’audiovisuel public d’innover, de gagner en performance et en visibilité. Il faudra également qu’elles dégagent des gains d’efficience et des économies pour financer les priorités » 

J’adore la langue creuse et prétentieuse. Des mots pour ne rien dire ou plutôt pour ne pas dire ce qui sera fait. Finalement le triptique est totalement autre: il faut des médias engagés + qui doivent changer les mentalités + en présentant moins de mâles blancs, donc des médias communautarisés. Magnifique! Donc, le Gouvernement reconnaît que les médias publics français ne feront officiellement plus de l’information, mais de la propagande. Et non seulement il le reconnaît, mais il le revendique. 

Evidemment, il faut réduire le financement public, sur un service déjà largement sous-financé par rapport à la Grande-Bretagne ou à l’Allemagne. Et c’est là toute l’ambiguïté de la situation: si le Gouvernement veut reformater la société avec le service public de la télévision, qui reste quand même très regardée quoi que l’on en dise, il faudrait donner les moyens aux journalistes de travailler. Mais l’idéologie dominante impose un retrait de l’Etat, donc il ne peut pas financer ses ambitions idéologiques. Ce qui par ailleurs permettra à terme de dire que le service public de la télévision ne sert plus à rien et de tout transférer vers le privé. Idéologie oblige. Le pouvoir sera alors définitivement passé des mains de l’Etat entre celles d’entreprises, elles aussi, de plus en plus globalisées.

Voici l’universalité dont F. Nyssen nous parle. C’est celle de la négation de la pluralité.


- Source : Russie politics

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