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La sale guerre syrienne éclabousse les médias internationaux

Auteur : Elijah J. Magnier | Editeur : Walt | Jeudi, 26 Avr. 2018 - 21h35

En plus d’avoir causé des centaines de milliers de morts et de blessés, une destruction évaluée à des centaines de milliards de dollars, des millions de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur du pays, la sale guerre en cours depuis sept ans en Syrie a sérieusement miné la crédibilité des médias internationaux. Unis comme un seul homme, la majorité des journalistes se sont lancés à corps perdu dans une campagne médiatique internationale violente en prenant position contre d’autres journalistes, analystes, universitaireset militants, qui se sont ainsi retrouvés en minorité.

Quiconque s’opposait au « changement de régime », rejetait la propagande interventionniste, se prononçait contre une guerre plus large contre la Russie et se battait pour offrir un point de vue différent de la trame narrative étroite proposée par les néoconservateurs était pris à partie. Tous ont été qualifiés de « pro-Assad » ou, plus récemment, de « pro-attaque chimique ». De nouvelles perceptions sont toutefois apparues et ont créé ce qu’on pourrait appeler un nouveau constructivisme social, qui s’oppose à ces médias puissants, mais biaisés, qui cherche et trouve de nouvelles réalités, qui est prêt à faire le procès des médias institutionnels et qui se désintéresse de ceux qui ont été perçus pendant si longtemps comme les porteurs de connaissances vérifiées et incontestables. Certains accusent même aujourd’hui ces journalistes biaisés d’être des « apologistes salafo-wahabbites ».

Ces médias se sont joints aux USA, au R.U., à la France et à de nombreux autres pays de l’Europe et du Moyen-Orient dans leur « guerre contre la Syrie », sans prendre en considération la volonté du peuple syrien ou l’existence et le résultat des élections générales. La majeure partie de la « Syrie utile » a été libérée, sans aide ou consensus des Nations Unies, et sans stratégie précise ou solution de rechange plausible proposée qui réponde aux désirs des Syriens plutôt qu’à ceux des mandataires de ces pays. Bon nombre de pays ont investi au total plus de 140 milliards de dollars en Syrie pour n’obtenir qu’un seul résultat : un « retour à la case départ », dans un pays détruit dont la population a été dispersée. Le monde semble ignorer ce qu’a apporté le changement de régime en Libye, l’intervention américaine en Afghanistan (aux conséquences destructrices pour ce pays et le Pakistan), de pair avec les conséquences du changement de régime en Irak.

Les médias institutionnels ont cessé de rapporter les principaux faits de la guerre en Syrie parce qu’ils étaient en train de perdre la bataille en vue de faire tomber le gouvernement syrien et son président Bachar al-Assad, d’autant plus que l’armée syrienne était en train de gagner chaque lutte contre les militants pro-saoudiens et djihadistes. Ces djihadistes ont été défaits dans la plupart des régions de la Syrie, en ayant été repoussés principalement dans les villes d’Idlib et de Jarablous au nord, et dans des poches complètement à l’est et au sud, à la frontière avec Israël et la Jordanie.

Cependant, les journalistes ont décidé de s’engager dans une guerre d’un autre type (une vendetta?) : faire taire toute voix dissidente qui remet en cause la trame narrative insistante à la défense des djihadistes, qui les dépeint comme des « rebelles modérés » (depuis les sept dernières années en fait), tout en appelant à encore plus de guerre en Syrie. Curieusement, bien des membres – mais pas tous – du groupe « Media on Trial » sont dans la mire des médias institutionnels. Ils ont tôt fait d’être traités de « pro-Assadistes », de « pro-régime », de « pro-Hezbollah », de « pro-Iran » ou de « robots russes sur Internet ». C’est comme s’ils brandissaient le carton rouge pour punir tous ceux qui s’opposent à de nouvelles tueries au Moyen-Orient, à un autre bombardement aveugle de Trump ou à une montée de la tension entre les deux superpuissances, qui ont des troupes sur le terrain en Syrie, afin de pousser le monde vers une guerre plus large. Mais il existe aussi des comptes inconnusque les médias tolèrent sans problème tant qu’ils défendent la trame narrative anti-Assad.

Ce pourrait être le résultat d’une méconnaissance des faits, mais les médias institutionnels donnent l’impression qu’ils sont prêts à délaisser leur mission initiale, la seule légitime, qui consiste à « informer les gens en présentant des faits ou en proposant une analyse ». En outre, ils supportent mal la critique et les contre-arguments et ne donnent que le point de vue du gouvernement, sans même tenter de corroborer leur trame narrative « mal ficelée ». N’empêche que le monde les surveille de près, et qu’il y en a beaucoup qui refusent d’accepterla version des faits vue sous un seul angle que nous proposent la télé, les magazines et les journaux. L’intensité et l’accessibilité de l’information sur Internet, plus particulièrement dans les médias sociaux, ont fait en sorte que chacun est maintenant en mesure de se mettre à la recherche de ce qu’il croit être la vérité, en se tournant vers des articles de journalistes rigoureux, des blogs privés, des analyses d’ex-ambassadeurs, d’anciens journalistes et de sources qu’on trouve facilement sur le net. C’est que la crédibilité des médias institutionnels a été ébranlée et que les dommages sont graves.

Les journalistes ne semblaient pas être prêts à rapporter l’avance de l’armée syrienne dans le camp de Yarmouk, à Yalda et à al-Hajar al-Aswad, au sud de Damas, que le groupe armé « État islamique » (Daech) et al-Qaeda contrôlaient (et contrôlent encore), où ils s’entretuent depuis des années. Les forces armées de Damas remportent une victoire après l’autre contre ceux qui devraient être considérés comme des groupes terroristes, responsables d’attaques continuelles dans le monde entier, surtout depuis les dernières décennies. La confiance acquise par l’armée syrienne se manifeste par une démonstration de force qui parvient lentement, mais sûrement à mettre fin à la campagne futile des bellicistes. En théorie, ce devrait faire les nouvelles, mais rares sont ceux qui choisissent de rédiger un article à ce sujet. Il est probable que les néo-journalistes se contentent de ne rapporter que les faits compatibles avec la politique de leurs journaux, comme l’a indiqué le correspondant du Washington Post à Beyrouth, au détriment de ce que leurs lecteurs veulent savoir et devraient connaître.

Peut-être que les barons des médias ont décidé de prendre parti et qu’ils ne sont plus intéressés par des reportages équilibrés et par des articles qui ne font que relater ce qui se passe sur le terrain. Si nous prenons l’exemple du Yémen, les mêmes journalistes qui expriment haut et fort leur indignation justifiée à propos de la mort de civils dans la guerre imposée à la Syrie, deviennent totalement muets, en étant incapables de couvrirla guerre de l’Arabie saoudite contre le Yémen, avec le soutien de l’establishment des USA et du R.U.

Les mêmes journalistes qui s’énervent tant chaque fois que les forces aériennes syriennes ou russes larguent une bombe pour libérer des villes sont restés relativement cois en ce qui concerne les milliers de civils tués par la US Air Force à Raqqa, au nord de la Syrie, qui a détruitplus de 80 % de la ville, en laissant les mines posées par Daech tuer d’autres habitants qui retournent dans cette cité syrienne maintenant en ruines.

Aujourd’hui, nous lisons des articles qui citent des militants (même l’establishment des USAs’appuie sur les diresde militants pour bombarder la Syrie!), juste parce qu’ils sont contre le gouvernement de Damas, à un point tel que ces sources douteuses et non vérifiées, interviewées via WhatsApp, sont devenues « reconnues », donc validées par les médias institutionnels.

Voilà maintenant que les journalistes pointent leurs plumes acérées contre les militants, les journalistes et les universitaires qui s’opposent à la version des faits unilatérale des médias institutionnels à propos de la Syrie, ainsi qu’à leur silence entourant la pire catastrophe humanitairede ce siècle qui se déroule actuellement au Yémen. Mark Lowcock, le chef du Bureau pour la coordination de l’aide humanitaire des Nations Unies, a dit que « la situation au Yémen rappelle l’apocalypse ». Mais cela ne semble pas pertinent pour les médias institutionnels.

La priorité est donnée à la chasse aux sorcières, dont la saison est maintenant ouverte. Des institutions respectables et des journalistes trouvent quelques cibles parmi ceux qui s’expriment haut et fort dans les médias sociaux et parmi les professeurs d’université afin de faire peur à tous les autres dans le but, semble-t-il, de réduire au silence toute opinion divergente. Le professionnalisme (l’absence de parti pris même devant des situations militaires et politiques inacceptables) ne semble plus faire partie des règles du jeu. Cela pourrait être dû au manque de rigueur au niveau des éditeurs, comme Owen Jonesl’a souligné.

Impossible d’ignorer l’ironie : Pourquoi accuser les médias internationaux, eux qui ont déclaré la première « intifada » contre les anti-interventionnistes parce que la guerre en Syrie a été perdue malgré l’énorme investissement injecté, tous les efforts et des milliers d’articles annonçant la chute imminente du régime… qui est toujours là?

Les médias institutionnels sont conscients que les lecteurs ont peu de pitié pour la fausse propagande, la manipulation des faits et la couverture de la guerre de loin. Les lecteurs prendront leur revanche en mettant fin à leurs abonnements, n’en pouvant plus de l’avalanche d’analyses et de prédictions erronées au sujet du sort du gouvernement syrien et de son armée. Voilà pourquoi les journalistes n’accepteront pas leur défaite si facilement et tentent de trouver des boucs émissaires pour détourner l’attention des lecteurs. Mais les grands médias institutionnels ne peuvent évidemment pas se contenter de porter la faute de leur échec concernant l’issue de la guerre en Syrie sur le dos de quelques comptes sur les médias sociaux. Il leur faut des excuses plus substantielles, et c’est là que la Russie entre dans le jeu. Les médias tentent d’insinuer que le succès des militants anti-interventionnistes actifs sur les médias sociaux sont liés à Moscou.

Cela me rappelle une attaque que le groupe libanais AMAL avait mené contre Israël dans les années 1990, qui avait tué quelques soldats israéliens. AMAL avait revendiqué la responsabilité de l’attaque, mais Tel-Aviv l’a rejetée, en insistant pour accuser le Hezbollah. C’est qu’il aurait été trop humiliant pour l’armée israélienne d’avoir reçu pareille gifle par un groupe militairement faible comme AMAL. Les médias institutionnels font exactement la même chose aujourd’hui : il leur faut un coupable plus grand pour justifier le succès de quelques personnes, en accusant une superpuissance comme la Russie d’être responsable de ce succès, de façon à sauver la face.

Lorsque je travaillais pour une agence de presse internationale, je regardais les nouvelles provenant des différents fils de presse auxquels l’agence était abonnée, qui s’imprimaient sur un rouleau de papier. Je donnais la préséance aux nouvelles des agences de presse dont l’exactitude et la crédibilité étaient établies depuis longtemps, en accordant moins d’importance à celles qui étaient moins crédibles. Aujourd’hui, les médias institutionnels sont rejetés par des lecteurs de tous les horizons. S’amuser à faire la chasse aux sorcières au lieu de mettre à jour l’actualité, comme la BBC le fait actuellement, est mortel pour la réputation des médias.

Il est également possible que ces journalistes croient qu’en commettant tous la même erreur, ils s’en sortiront indemnes puisqu’ils ne seront pas tenus responsables. Mais ce qui semble se dessiner très clairement, c’est que des personnes présentes sur les médias sociaux ont maintenant beaucoup plus de succès, notamment au chapitre de l’influence, que les agences de presse, les journaux et les journalistes professionnels établis.

La guerre en Syrie a été marquée par la chute de bien des présidents partout dans le monde, alors que le gouvernement syrien est toujours en place. Cette réalité aussi affaiblit la position des médias de masse et porte un coup direct à leur crédibilité. Même ceux qui se disent « militants humanitaires » se sont permis d’apporter une « légère » modification au titre de leur mission et de leur soutien à l’occupation de la Syrie. Les USA, la France et le R.U. occupent toujours illégalement une partie du pays, sans montrer d’intention visible d’éliminer Daech sous leur protection au nord-est de la Syrie. Il y a plus de 100 000 jihadistes au nord de la Syrie qui combattent sous la gouverne d’al-Qaeda et de la Turquie. Au sud, Daraa deviendra un enjeu problématique lié directement aux intérêts des USA et d’Israël, qui sont d’empêcher que le gouvernement syrien n’en prenne le contrôle. De fausses « attaques chimiques » et d’autres diversions sont encore possibles. Le feuilleton épique de la guerre en Syrie n’est pas terminé. Je me demande d’ailleurs qui va se retrouver dans la liste noire des médias et qui seront leurs prochaines victimes avant que la guerre ne prenne fin au Levant.

Traduction : Daniel G.


- Source : Elijah J. Magnier

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