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Samedi, 18 Mai 2024

Le Frexit ou la chute de l’Union Européenne

Auteur : Guillaume Borel | Editeur : Walt | Lundi, 10 Avr. 2017 - 16h04

La montée des partis « eurosceptiques »

Les élections présidentielles de 2017 en France sont marquées par la forte présence de partis politiques appelant ouvertement, à tout le moins, à une renégociation des traités européens, et envisageant comme une option réaliste la sortie de la France de l’Union Européenne.

Le sentiment « eurosceptique » n’est pourtant pas nouveau; il s’était auparavant manifesté sur la scène politique à l’occasion du référendum sur le traité de Maastricht en 1992, rejeté par 49 % des Français; puis à l’occasion du référendum de 2005 sur le traité établissant une constitution européenne, qui avait vu le rejet de cette dernière par une nette majorité de 54,6 % des voix. La population avait manifesté clairement son refus d’une poursuite de l’intégration européenne au détriment de la souveraineté nationale et son rejet du libéralisme porté par le projet européen.

Ce double motif de rejet avait ainsi rassemblé les électorats de courants politiques pourtant antagonistes, la droite gaulliste et le Front national mettant essentiellement en avant la défense de la souveraineté et de l’indépendance nationale, et les partis d’extrême gauche la défense du modèle social français.

On sait ce qu’il advint de cette consultation populaire avec la ratification en 2008 par les parlementaires du traité de Lisbonne, qui reprenait les grandes lignes du projet de constitution rejeté par le peuple en 2005.

Douze ans après, cette ligne de fracture qui divise la société française resurgit à l’occasion de la campagne présidentielle avec l’omniprésence de la question européenne, aussi bien dans le débat public que dans le programme des partis politiques. Il faut dire qu’entre temps, les britanniques se sont prononcés par référendum pour une sortie de leur pays de l’Union Européenne et que le gouvernement a activé le 29 mars, conformément à la volonté populaire, l’article 50 du Traité de l’Union Européenne déclenchant l’ouverture officielle des négociations de sortie du Royaume-Uni.

En France, parmi les partis actuellement les plus susceptibles d’être présents au second tour des élections présidentielles selon les enquêtes d’opinion, le Front de Gauche, représenté par Jean-Luc Mélenchon, et le Front national, représenté par Marine Le Pen, proposent chacun un scénario de renégociation des traités, assorti d’une menace de sortie de l’UE en cas d’échec. A eux deux, ces partis rassembleraient, toujours selon les enquêtes d’opinion, plus de 40 % de l’électorat. A cela il faut ajouter les électorats de partis plus confidentiels comme Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan ou l’UPR de François Asselineau qui fait campagne pour le Frexit. Quels que soient les scores cumulés des partis « eurosceptiques », la probabilité actuelle qu’un candidat dit « eurosceptique », accède au second tour, est de 50 %. A l’heure actuelle, en effet, François Fillon, candidat des Républicains, et Emmanuel Macron, sont les deux seuls candidats pro-européens susceptibles de passer le premier tour…

L’euro, un mal européen

Cette montée en puissance des partis « eurosceptiques » ou anti-européens, traduit la prise de conscience d’une partie de plus en plus large de l’électorat de la véritable nature de l’Union Européenne.

La crise de la dette qui a touché les pays du sud de l’Europe, consécutive de la crise financière de 2008, a par exemple mis un terme au mythe de la solidarité européenne aussi bien qu’aux vertus prêtées à la monnaie unique au niveau de la stabilité financière. La Grèce, l’Espagne, le Portugal ou encore l’Italie, ont ainsi été attaqués sur les marchés financiers et ont vu leur différentiel de taux diverger sur les marchés obligataires.

Au plus fort de la crise, au deuxième trimestre 2012, la Grèce empruntait à 10 ans au taux de 25,4 %, l’Espagne à 6,2 % et l’Italie à 5,8 % quand l’Allemagne empruntait à 1,4 %[1].

La divergence des taux d’intérêts entre les pays du sud de la zone et ceux du nord signifie concrètement qu’il n’existe pas de réelle union monétaire matérialisée par un taux de refinancement unique, et que l’euro n’a jamais joué le rôle, qui lui avait été attribué, de « protection » des différentes économies nationales vis à vis des marchés financiers ou des créanciers.

Cette divergence monétaire entre les pays du sud et ceux du nord de la zone se traduit ainsi par un déséquilibre des soldes des différentes banques centrales, appelé solde Target 2, qui montre une accumulation des capitaux et des créances au niveau de la Bundesbank. En novembre 2016, l’Allemagne cumulait ainsi un excédent monétaire de plus de 750 milliards d’euros[2]. Dans le même temps, l’Espagne et l’Italie cumulent respectivement un déficit de 330,4 et 358,6 milliards !

L’euro ne protège donc ni les Etats, ni des marchés financiers, ni de la fuite des capitaux…

Plus grave, la monnaie commune a créé un déficit de compétitivité particulièrement nuisible aux économies du sud de la zone, et particulièrement au secteur industriel, dont le taux d’ouverture est le plus fort et qui a perdu son avantage de compétitivité-prix par rapport à l’Allemagne.

La croissance des prix relatifs dans les pays dits « périphériques » de la zone euro, (l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et la France) a ainsi été de +12,2 % sur la période 1995-2008 contre -17,6 pour les pays du « centre »[3].

C’est à dire que du fait des critères de convergence et de l’introduction de l’euro, les prix relatifs des productions nationales se sont envolés par rapport à celles du cœur de la zone et à l’Allemagne, ce qui a entraîné la destruction de pans entiers du secteur industriel.

On note ainsi une corrélation directe entre l’introduction de l’euro et la production industrielle des pays de la périphérie :

Ainsi, sur les 314 milliards d’euros d’excédent commercial réalisés en 2015 par les pays de la zone euro, l’Allemagne en a réalisé à elle seule 239,5 soit plus de 76 % [4]!

L’introduction de l’euro a donc permis à l’Allemagne de cumuler l’avantage compétitif d’une monnaie sous-évaluée par rapport au Deutschemark et celui de l’élimination de ses concurrents, notamment l’Italie et la France, dont les industries nationales ont à l’inverse souffert d’un handicap de compétitivité résultant d’une monnaie surévaluée par rapport au Franc ou à la Lire…

Les pays de la « périphérie » cumulent ainsi faible croissance, déficits commerciaux intra et extras européens, et des déficits publics renforcés par la montée du chômage et le renchérissement de la dette. Ces déséquilibres économiques structurels sont traités dans le cadre des institutions européennes et de la zone euro dans le cadre des Grandes Orientations de Politiques Economiques, par le principe de la dévaluation interne appliquée par exemple en Grèce, en Espagne, au Portugal ou encore en Italie. Elle consiste à abaisser le coût du travail, soit directement par la déflation salariale, soit indirectement par la baisse des charges sociales liées aux cotisations retraites et à l’assurance chômage…

L’Europe sociale n’aura jamais lieu 

Si l’euro, de par ses effets directement observables, a cristallisé l’essentiel des critiques portant sur la construction européenne, cette dernière est bien plus que le produit de la « sédimentation » de 60 années de négociations et de compromis entre les différentes nations qui la composent.

L’Union Européenne fut dès l’origine pensée, à la suite des accords du GATT, comme un vaste marché harmonisé destiné à écouler les surplus américains nés de l’économie de guerre. L’abaissement des tarifs douaniers dans l’ensemble de la zone ouest-européenne fut ainsi la première condition posée par les créanciers américains à l’octroi des crédits de reconstruction du plan Marshall[5].

La zone de libre échange créée à la suite de la signature du traité de Rome épousait ainsi le souhait atlantiste d’un espace homogène du point de vue tarifaire et réglementaire, offrant des débouchés à l’industrie américaine, mais aussi le souhait des élites économiques allemandes et françaises d’un partage du continent, sur le modèle des ententes conclues dans l’entre-deux guerres entre les grands cartels de l’acier ou de la chimie qui répartissaient les marchés entre les industries nationales. Il est à noter que les industries françaises occupèrent toujours dans ces cartels une position subalterne qu’elles utilisèrent pour négocier avec les leaders germaniques l’accès privilégié aux marchés secondaires hors de la zone d’influence allemande, essentiellement les marchés espagnols et portugais[6]. L’industrie française fut ainsi dès l’origine des premières ententes économiques européennes dans une relation asymétrique avec l’Allemagne, illustrant le truisme que le libre-échange n’est profitable qu’aux économies bénéficiant de positions dominantes.

La « construction » européenne qui s’est enclenchée à la suite du traité de Rome a vu l’importation et l’implantation au cœur des instances de régulation, essentiellement la Commission, des représentations des différents patronats européens et des intérêts sectoriels. La « construction » de l’Union Européenne, qui peut se résumer à celle d’un grand marché réglementé, a en effet nécessité l’expertise des différents secteurs de l’économie sur lesquels portaient les projets de réglementation et d’harmonisation. Les commissaires européens sollicitèrent l’expertise des représentants patronaux des différentes branches industrielles, afin d’asseoir leur légitimité auprès de ces derniers mais aussi afin de bénéficier de leurs compétences techniques portant sur les spécificités des grands secteurs économiques. Ce processus de « co-production » de l’Union Européenne, entre les acteurs économiques et les fonctionnaires a produit dès l’origine un entrelacement de la sphère politique et des intérêts patronaux[7]. Alors que le lobbying des grands groupes est abondamment dénoncé, la réalité de la construction et du fonctionnement des institutions est en réalité celui d’une co-direction.

Les directives élaborées par les différentes Délégations Générales font ainsi un certain nombre d’aller-retour entre les comités consultatifs, les groupes d’experts, et les bureaux des fonctionnaires. Il est habituel qu’une directive, dans ce cadre, soit dans les faits essentiellement rédigée par le groupe d’experts et les représentants des industries concernées réunis au sein de comités consultatifs, ne serait-ce que parce que dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques, les différentes Directions Générales ont besoin de connaître et d’évaluer les impacts économiques de toute nouvelle réglementation auprès des secteurs concernés…

De ce fait, on comprend mieux que tous les appels à une « autre Europe » ou à une « Europe sociale » sont condamnés et n’aient au final constitué que des slogans marketing aux mains des politiciens nationaux. L’UE étant une production des marchés pour les marchés, elle fut historiquement le laboratoire avancé de la mondialisation, il n’y a strictement aucune raison objective de penser qu’elle puisse un jour devenir plus « démocratique » ou simplement plus « sociale ».

Une fois ceci établit, la seule question qui se pose est donc : comment en sortir ?

Le Frexit et la chute de l’Union Européenne

La position du Front National reste à ce sujet pour le moins ambiguë, puisque le parti de Marine Le Pen envisage tout d’abord une renégociation des traités, vouée à l’échec, puis un référendum de sortie en cas d’échec des négociations. Sur ce point, les analyses portées par l’UPR et François Asselineau (*) semblent de bon sens et mettent en lumière l’hypocrisie du parti frontiste qui doit composer avec un électorat qui n’est dans sa majorité ni favorable à une sortie de l’UE, ni à une sortie de l’Euro. Dès lors, annoncer vouloir renégocier les traités permet à la fois de s’imposer à moindre frais comme « souverainiste » tout en pouvant continuer à critiquer les institutions de l’UE et à leur imputer la responsabilité de l’échec des négociations. Cependant, cette stratégie, au cas où le Front National parviendrait au pouvoir et si des négociations étaient effectivement menées, aboutira dans tous les cas à une mise en évidence de l’impossibilité de « changer l’Europe ». Tout échec dans le processus de renégociation, qu’il soit le fait du Front National ou du Front de Gauche, aboutira inévitablement au constat de l’isolement de la France au sein de l’UE. L’Europe sociale, dans les faits, est contraire à la nature même du processus de construction de l’Union Européenne, qui fut dès l’origine et qui reste avant tout une vaste zone de libre échange co-produite par les patronats nationaux et les fédérations sectorielles sur les principes du néolibéralisme, c’est à dire la concurrence libre et non faussée, et la libre circulation des biens et des capitaux.

Rien ne servirait mieux, finalement, la cause de la vérité, que l’accession au pouvoir d’un des deux grands partis dits « eurosceptiques », le Front National ou le Front de Gauche, chacun d’entre eux, par le processus de renégociation qu’il engagerait, placerait son électorat et l’ensemble de la population française face à la réalité de l’impasse constitutionnelle et idéologique que constitue l’Union Européenne. Le processus de renégociation ferait également tomber les derniers mythes européistes et révélerait, comme aurait dû le faire le saccage de la Grèce, que l’Union Européenne est avant toute chose l’avant-poste de la mondialisation libérale. Loin de l’union des peuples, ses principes sous-jacents sont ceux de la guerre économique et commerciale, à travers le dumping fiscal et social et c’est en réalité parce qu’ils font partie de l’UE que la France et les autres pays de la périphérie se retrouvent isolés face aux pouvoirs financiers.

Quelles conséquences auraient alors un Frexit sur l’ensemble de l’Union ? Le PIB cumulé du Royaume-Uni et de la France est équivalent à plus de 4600 milliards d’euros, soit plus de 10 % du PIB de l’ensemble de l’Union. Surtout la sortie de la France, qui fut l’un des membres fondateurs et l’un des grands acteurs historiques de la construction européenne, donnerait probablement le signal de départ aux pays dits « périphériques », et notamment à l’Italie où le sentiment eurosceptique se renforce à mesure que le pays s’enfonce dans la crise.

Une nouvelle ère basée sur la coopération des nations pourrait alors voir le jour…

Notes:

[1] OCDE : https://data.oecd.org/fr/interest/taux-d-interet-a-long-terme.htm

[2] Jean-Pierre Chevalier : http://chevallier.biz/2017/01/target-2-de-danke-schon-a-l%E2%80%99e-tsunami-novembre-2016/

[3] CEPII : http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2016/let369.pdf

[4] La Tribune : http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/la-zone-euro-degage-un-excedent-commercial-record-551886.html

[5] Annie Lacroix-Riz, Aux origines du carcan européen, Delga, 2014

[6] Ibid.,

[7] Sylvain Laurens, Les courtiers du capitalisme, Milieux d’affaires et bureaucrates à Bruxelles, Agone, 2015

 

(*) François Asselineau – invité de LCI le 7 avril 2017


- Source : Arrêt sur Info

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