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Panamalgame: Comprendre les enjeux des Panama Papers derrière la campagne médiatique

Auteur : Stratediplo | Editeur : Walt | Mercredi, 13 Avr. 2016 - 23h48

Au sujet de la campagne lancée par la presse occidentale, prétendument contre le Panama et la grande contrebande financière, on a noté premièrement l’assimilation abusive entre sociétés offshore, personnes morales considérées fiscalement non résidentes dans leur pays, et comptes offshore, lignes comptables ouvertes auprès d’institutions offshore disposant d’un compte bancaire aux Etats-Unis d’Amérique.

Une autre assimilation abusive de la campagne Panamalgame est celle entre expatriation de capitaux et fraude fiscale.

L’essentiel des capitaux qui sont sortis d’un pays le sont légalement, les mouvements clandestins sont au contraire très marginaux. Pour reprendre les deux exemples cités à l’occasion de la première assimilation abusive, la valise d’euros et de réals transportée en yacht par le fils d’un narcotrafiquant colombien est un cas très rare, la très grande majorité des mouvements internationaux de fonds relèvent de l’autre exemple, les virements électroniques ordonnés par un groupe financier vers un compte à l’étranger.

Il faut rappeler que la plupart des pays libres disent soutenir la libre circulation des capitaux, n’exigeant qu’une déclaration (pas une demande d’autorisation) pour les montants supérieurs à 10000 dollars (voire moins), et ceux qui instaurent provisoirement un contrôle des capitaux ou un contrôle des changes, suite à une crise de liquidités ou à une pénurie de devises, sont unanimement hués par toutes les instances économiques internationales. Mais de plus, et c’est bien plus important, tous les Etats de droit reconnaissent le principe de la présomption d’innocence. Ce principe interdit de soupçonner a priori d’un délit tout auteur d’un transfert international de fonds, il impose au contraire de reconnaître a priori la licéité de tout transfert effectué selon les formes légales sauf preuve (ou plus exactement jugement) d’infraction. De la même manière, même si le butin préféré des cambrioleurs sont les bijoux et l’argenterie, on ne peut pas soupçonner tout détenteur de bijoux et d’argenterie d’être un cambrioleur, et le fait est que la très grande majorité des possesseurs de bijoux, de couverts en argent et de pièces d’or ont acquis ou hérité légalement leurs trésors. Il en est de même pour les transferts internationaux de fonds, et lorsqu’un groupe financier londonien (pour reprendre l’autre exemple) ordonne à sa banque un virement millionnaire vers un compte à l’étranger, que ce soit vers l’Allemagne ou vers le Panama, on peut être certain que les fonds présents sur le compte d’origine ont été gagnés légalement (et donc taxés), de toute façon dans tous les pays sérieux l’origine des dépôts au-dessus d’un certain montant doit être justifié.

Il est impossible à une entreprise d’ouvrir un compte en banque sans présenter ses documents comptables (comptes de résultat et bilan) des années antérieures, et il est très difficile pour une entreprise de rester en activité sans régler ses impôts et taxes, l’Etat étant créancier prioritaire et n’hésitant pas à prononcer injonctions, saisies et si nécessaire liquidation forcée pour recouvrer son dû.

Il est extrêmement rare qu’un fraudeur fiscal puisse d’une part déposer ses fonds en banque sans se les faire confisquer, et d’autre part les faire virer à l’étranger. Rien ne permet de supposer a priori que des fonds présents sur un compte bancaire en France, par exemple, soient d’origine illégale et aient échappé à l’impôt, et rien ne permet non plus de supposer a priori que des fonds virés vers le Panama procèderaient d’une origine plus frauduleuse que des fonds virés vers l’Allemagne.

Lorsque les Etats-Unis d’Amérique ont, le 31 juillet 2011, signifié leur ultimatum à la Suisse en lui demandant de renvoyer vers les Etats-Unis 30% (sauf erreur) du montant de tous les comptes détenus par des Etats-uniens en Suisse, non seulement ils n’ont pas présenté la moindre décision de justice (condamnation et saisie) envers leurs citoyens, ce qui aurait été nécessaire (après exequatur dans le système judiciaire helvétique) pour faire exécuter en Suisse une saisie décidée par un tribunal états-unien, mais de plus la quasi-totalité des intéressés vivaient toujours, légalement et ouvertement dans leur domicile déclaré et connu dans leur pays, aux Etats-Unis, or aucun n’avait fait l’objet du moindre procès pour fraude fiscale, et encore moins été condamné, c’est-à-dire déclaré coupable, raison pour laquelle la Suisse ne pouvait que les considérer, selon le canon du droit, comme présumés innocents de toute faute puisque la demande (collective et non nominative) de saisie n’était accompagnée d’aucune preuve de vol, fraude ou expatriation illégale de fonds. On se doute bien que l’ultimatum était en réalité accompagné d’une menace très lourde et concrète d’ordre géopolitique, puisqu’à la date butoir de l’ultimatum, le 6 septembre, la Suisse a non seulement payé la rançon, sur son budget public évidemment en l’absence de toute justification légale pour confisquer une partie des dépôts des intéressés, mais également annoncé la fin de l’assise du franc suisse sur l’or, ce qui était évidemment l’objectif réel (non publié) des Etats-Unis, et l’amarrage du franc à l’euro, ce qui a surpris plus d’un économiste politique.

En conséquence de nombreuses banques dans le monde refusent désormais d’ouvrir des comptes à des citoyens états-uniens, tout en sachant que ce n’était qu’un prétexte cachant autre chose. Des fonds déposés et maintenus légalement sur un compte aux Etats-Unis ne peuvent pas être qualifiés de contrevenants au seul motif qu’ils sont, toujours légalement, transférés dans un autre pays. Ce serait certes différent si le gouvernement interdisait ou taxait les transferts à l’étranger et que des déposants retiraient leur épargne des banques pour les sortir clandestinement du pays dans des valises de contrebande, mais le problème relèverait alors de la justice, de l’ordre public et du contrôle des frontières du pays en question, pas du pays lointain qui verrait arriver ces fonds, surtout s’ils arrivent sous forme électronique envoyés légalement par une autre banque.

Qualifier de fraude fiscale, ou de produit de la fraude fiscale, le simple fait d’exporter des fonds est une assimilation abusive.

Une autre assimilation abusive est celle entre paradis fiscal et Etat voyou, selon l’expression états-unienne (rogue state). La très majorité des pays du monde ont un taux d’étatisation de l’économie inférieur aux 57% français tout en étant à la fois bien gérés, dotés de services publics et respectueux de la légalité internationale.

Les citoyens et résidents d’Uruguay paient 10,5% d’impôt sur le revenus et disposent, si l’on rapporte la puissance armée à la population, de l’armée la plus efficace d’Amérique du sud. Certains micro-Etats abritent suffisamment d’entreprises étrangères pour exempter totalement d’impôts leurs citoyens; si l’on peut donc en effet les considérer comme des paradis fiscaux, ils ne sont pas des havres détaxés pour les capitaux et personnes étrangers qui au contraire sont imposés.

Le plus grand pays au monde et l’un des plus compétitifs (la Russie) n’impose que 15% d’impôt sur le revenu à sa population, mais 30% aux étrangers non résidents: c’est donc sur le plan fiscal, et en comparaison avec d’autres pays de niveau de développement équivalent, un paradis pour ses citoyens (et résidents assimilés).

D’autres pays ont un taux d’imposition nul, parce que l’Etat a découvert un trésor (pétrolier par exemple) et constitué un fonds souverain (placements à l’étranger) qui génère suffisamment de revenus pour entretenir l’Etat et nourrir une bonne population fonctionnarisée. Enfin, comme on l’a vu au sujet de la première assimilation abusive, c’est par l’hébergement juridique de sociétés avec taxation forfaitaire (sous réserve de ne pas exercer d’activité bénéficiaire dans le pays), dit offshore, que certains pays peuvent offrir à leur population un taux de prélèvements obligatoires paradisiaque.

La deuxième plus grande économie au monde (les Etats-Unis), tout en affichant officiellement un taux de prélèvements publics similaire aux autres pays développés de culture anglo-saxonne, à savoir de l’ordre de 35% (un rêve inaccessible pour beaucoup de peuples de l’Union Européenne), a vraisemblablement en réalité un taux d’imposition négatif si l’Etat distribue plus qu’il ne prélève, grâce d’une part à l’exportation de sa monnaie extrêmement surévaluée, et d’autre part à l’endettement. Aucune organisation internationale ne recommande le collectivisme marxiste ou l’étatisatisation de l’économie, et aucun traité international n’impose aux Etats d’avoir un certain niveau de taxes, ou même simplement de lever des taxes.

Qualifier, expressément ou par sous-entendus à connotation subjective et négative, d’Etat-voyou un pays qui a choisi d’épargner fiscalement ses ressortissants, est une assimilation abusive.


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