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Mercredi, 27 Nov. 2024

Traité transpacifique ou le règne des multinationales

Auteur : Marcel Claude | Editeur : Walt | Lundi, 29 Févr. 2016 - 16h33

Le TPP (Accord de partenariat Trans-pacifique), qui a été signé le 5 octobre dernier entre les États-Unis et 11 pays (Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Mexique, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Vietnam) et que la Présidente du Chili, Michelle Bachelet, est sur le point de ratifier, n’est autre qu’un pas de plus vers le nouvel ordre économique mondial où les grandes puissances économiques agissent en toute impunité et jouissent d’un pouvoir sans limite.

En 1998, lorsque David Korten a écrit « Quand les multinationales gouvernent le monde », l’on pouvait déjà deviner la situation précaire dans laquelle nous allions vivre quelques années plus tard, situation qui ne cesse d’empirer. Dans son livre, D.Korten explique que « nous assistons à une transformation intentionnelle et volontaire qui vise à mettre en place un nouvel ordre économique mondial dans lequel le commerce international serait dépourvu de toutes frontières et de nationalités… Cet ordre est stimulé par la soif de pouvoir à l’échelle mondiale des grandes entreprises, des gouvernements méprisants, et est encouragé par une culture commune de consommation et un compromis idéologique avec le libéralisme économique. Dans ce contexte, l’auteur précise que « les protestations et les plaintes quant aux restrictions d’accès aux marchés extérieurs seront rapidement examinées et résolues par des instances d’arbitrage supranationales ».

Il rappelle également que les dirigeants politiques ne font que proposer des solutions désuètes et inefficaces, comme par exemple la stimulation de la croissance économique par la dérégulation, la réduction des impôts, la suppression des barrières commerciales, l’augmentation du nombre de subsides octroyés, l’imposition aux retraités de continuer à travailler, le maintien de la répression policière et la construction de nouvelles prisons. Son point de vue est que nous nous trouvons face à « une crise de contrôle gouvernemental provoquée par la convergence de forces idéologiques, politiques et technologiques à la suite du processus de globalisation économique qui a transmis le pouvoir des gouvernements responsables de l’intérêt général à des entreprises institutionnelles et financières motivées par un seul but : obtenir des bénéfices économiques à court terme ». Tout ce processus est régi par le principe suivant : les citoyens ne doivent plus avoir le droit de gérer leurs politiques économiques en fonction de l’intérêt public et, de son côté, le gouvernement doit répondre aux besoins de l’entreprise globale.

Ces observations ont été faites il y a 20 ans. L’auteur dénonçait déjà l’empire des marchés économiques, la tyrannie des multinationales, la perte de souveraineté ainsi que la disparition de la démocratie politique au profit de « la liberté du choix » de Milton Friedman : nous pouvons élire le candidat mais nous n’avons pas notre mot à dire quant au programme politique du gouvernement ; en fait, il est totalement interdit et durement réprimé de vouloir choisir tout projet politique qui soit en contradiction avec les consignes imposées par les multinationales.

Dans un article publié par El Clarín (26/10/2015), Paul Walder affirme que cet accord « est l’aboutissement des nombreux traités de libre-échange conclus durant les 10 dernières années et permet aux États-Unis de défendre les intérêts de ses entreprises et de rivaliser avec la Chine ». Par ailleurs, le TPP cherche à être en accord avec les politiques du TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) qui est au cœur des négociations entre les États-Unis et l’Europe.

Ces négociations à huis clos qui se déroulent en présence du lobby des multinationales ne cessent de nourrir et d’inspirer la crainte. Joseph Stiglitz, économiste de grande renommée, a accordé un entretien au quotidien The Vancouver Sun en octobre dernier. Durant cet entretien, il affirme explicitement « qu’il s’agit d’un accord qui entraînera des conséquences négatives pour les citoyens des pays signataires, alors que les multinationales, y compris les entreprises pharmaceutiques, en tireront tous les bénéfices » étant donné que « le respect des règles relatives à l’environnement, la sécurité, l’économie et la santé ne fait pas partie de leur préoccupation ». L’économiste a fait part de son inquiétude quant à l’accès aux médicaments génériques, qui sera de plus en plus limité et difficile, surtout pour les secteurs les plus pauvres.

De nombreuses organisations opposées à la signature du TPP ont attiré l’attention sur la tentative des multinationales, telle que la mystérieuse entreprise Monsanto, de remettre au jour la volonté d’approuver la Convention UPOV 91 qui vise à privatiser les semences. Grâce à la pression exercée par le public sur les différentes institutions politiques, cette convention n’a pas été ratifiée en 2014 et n’a plus fait l’objet de discussions parlementaires. Toutefois, à l’heure actuelle, si le TPP est ratifié, la multinationale Monsanto risquerait d’atteindre son objectif et d’empêcher la libre utilisation des semences, et réunirait toutes les conditions pour l’expansion et la culture massive des transgéniques.

Malheureusement, cette situation reflète bien la réalité… Il suffit de prendre l’exemple de la Colombie en 2013 qui dénonçait, à la suite de l’entrée en vigueur du traité de libre-échange avec les États-Unis, l’impossibilité des paysans à garder les semences, ayant uniquement le droit d’acheter des semences « certifiées » auprès de Monsanto et Dupont.

Ces craintes ne sont pas infondées : les entreprises qui réunissent toute la production des semences et plantes transgéniques à l’échelle mondiale ne sont pas très nombreuses ; Monsanto est la principale et occupe 80 % du marché, suivie de Aventis (7%), Syngenta et BASF (5% du marché chacune) et Dupont (3%). Le climat d’inquiétude a son origine dans l’existence d’une tendance générale à adopter ce type d’agriculture et, comme ces entreprises produisent 60% des insecticides et 23% des semences commerciales, on peut envisager que, à court terme, la sécurité alimentaire dans le monde tombe entre les mains de ce petit nombre de multinationales.

En ce qui concerne l’autonomie des gouvernements à décider de leurs politiques économiques, Heribert Dieter affirme que les pays signataires du TPP s’engagent à ne pas prendre des mesures relatives aux changements de leurs politiques ; ils seraient donc dépourvus de toute marge de manœuvre. Mise à part l’autorisation à apporter certaines modifications bien définies, aucune mesure qui influencerait la valeur extérieure d’une devise n’est admise. De cette manière, les pays signataires seraient privés d’un instrument de politique économique essentiel, surtout pour les pays émergents et en voie de développement. Une fois l’entrée en vigueur du TPP, les banques centrales ne pourront plus lutter contre la surévaluation des devises, comme cela a été le cas en Amérique latine après la flexibilité monétaire offensive des États-Unis, qui dure depuis 2008.

Ce nouveau traité se veut nettement plus exigeant et radical en matière de commerce international et complique davantage la situation des pays pauvres et précarisés. Il constituera un obstacle aux investisseurs étrangers et aux monopoles de la santé, entre autres. De plus, tous les secteurs obéiront à la même logique de privatisation et de dérégulation : de l’agriculture, aux services et aux investissements, en passant par les politiques publiques, les normes liées à la transparence, les mesures de résolution des controverses, les normes liées à l’environnement et au travail, la propriété intellectuelle… Comme le souligne Ana Romero Caro, les membres du TPP ont fait pression dès le début pour y inclure des mesures qui avaient déjà été refusées lors de négociations précédentes concernant d’autres traités au Pérou. Il en va de même pour le Chili : ce dernier avait déjà rejeté la convention UPOV 91 qui vise à privatiser les semences et propager les transgéniques mais, comme on peut le constater, ces mesures sont réintégrées dans le TPP.

Comme l’annonçait déjà D.Korten il y a 20 ans, le processus qui s’installe depuis plus de 50 ans vise surtout à protéger les investisseurs étrangers au détriment de la population locale et des nations souveraines. D’ailleurs, le TPP prévoit un mécanisme de règlement des différends entres investisseurs et États : ce dernier permettra aux investisseurs d’amener les différents États devant des tribunaux internationaux sans devoir passer par un système juridique local. Et ce n’est pas une nouveauté puisque qu’il existait déjà la possibilité (incluse dans d’autres traités de libre-échange signés entre les pays latino-américains et les États-Unis) de faire appel au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements ou à la Commission des Nations Unies pour le droit commercial (UNICTRAL).

Selon Mariano Turzi, le TPP sera déterminant dans la mesure où sa consolidation ou son blocage définira en grande partie l’avenir de l’intégration régionale des pays latino-américains. M.Turzi explique que le TPP jouera un rôle important en divisant la région entre l’Est et l’Ouest, le Pacifique et l’Atlantique. À une époque marquée par le capitalisme « sur-globalisé », le TPP apportera des modifications qui toucheront les secteurs de la production et la localisation des activités économiques, ce qui influencera les prix et les coûts relatifs à la production et entraînera la disparition de certaines industries qui seront remplacées par d’autres. Ainsi vues les caractéristiques institutionnelles imposées par le TPP, on ne peut qu’envisager la précarisation du secteur du travail et l’intensification des inégalités. Quant aux multinationales, elles jouiront de plus de pouvoir et verront leur position de leaders se renforcer. De plus, le TPP creusera davantage la fracture politique entre l’Alliance du Pacifique (AP) et le Marché commun du Sud (Mercosur). D’ailleurs, nous savons déjà que l’AP est plus pragmatique dans ses politiques, plus attirée par l’ouverture commerciale, plus libérale quant aux mesures financières et davantage influencée par les intérêts des États-Unis.

Pour les riches qui se trouvent à la tête du Chili (comprenez les sept familles propriétaires du pays), être membre du TPP est une occasion en or pour devenir encore plus riches et plus puissants. D’ailleurs, comme l’indique Felipe Lopeandia, faire partie d’un système économique qui réunit 40% du PIB mondial et qui compte parmi ses membres deux des trois économies les plus importantes du monde (les États-Unis et le Japon) constitue un facteur extrêmement judicieux pour un pays exportateur de produits primaires comme le Chili. Ceci nous permet de distinguer plus clairement les caractéristiques de la classe dominante qui incarne le pouvoir politique. M.Bachelet et sa « Nouvelle Majorité ex Concertation » est précisément au service des multinationales et des intérêts américains ; la présidente est loin de se soucier du bien-être du peuple chilien.

Toutes ces informations nous permettent de comprendre les propos publiés par El Clarín le 9 juin 2015 : selon le quotidien, le Chili figurerait parmi les pays qui signeront un autre accord secret connu sous son acronyme anglais TISA (Accord sur le Commerce des Services). Ce dernier recouvre tous les secteurs : télécommunications, commerce électronique, services financiers, assurances, transports… Le TISA aurait donc des conséquences plus graves encore sur les intérêts locaux que le TPP.

« Mira lo que han hecho de ti mi país » est une chanson écrite par Isabel Parra (fille de Violeta Parra) à l’époque de la dictature. Force est de constater que le Chili est aujourd’hui un pays très différent : il suit un modèle social et politique qui favorise le renforcement du capitalisme à outrance et est donc érigé en modèle parfait par les multinationales. Ce modèle de « paix sociale » (comprenez modèle de soumission et d’assujettissement) est inconcevable quand on sait que le Chili s’est battu avec tant de volonté et de détermination contre une dictature militaire féroce. Aujourd’hui, cette nation est devenue un berceau pour le capitalisme sauvage et de nombreux pays prennent le même chemin, laissant ainsi des milliers d’hommes et de femmes qui, eux, sont parvenus à rester conscients de la tournure des événements, surpris et horrifiés.

Face à des accords commerciaux comme le TPP, le Chili se rapproche davantage du modèle qui prône l’individualisme excessif et le capitalisme de masse illimité. Ce genre d’accords augure des temps très difficiles pour le Chili et pour l’humanité en général, avec des nouvelles formes d’esclavage et de nouveaux négriers menaçant l’avenir des peuples.

Bien que le TPP, le TISA ainsi que tous les accords commerciaux du même genre provoquent de nouvelles victimes et engendrent de nouvelles difficultés, ils auront aussi indirectement comme conséquence de renforcer la lutte sociale et de donner lieu à de nouvelles révolutions. Et, pour ceux qui comme nous sont témoins de cette situation désastreuse, il est impératif de ramer à contre-courant, avec la certitude que l’émergence d’une nouvelle conscience permettra un jour la mise en place d’un ordre prônant plus de justice entre les hommes et plus de respect envers la nature.


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