Laurent Fabius, étrange ministre des Affaires étrangères
Tout sauf diplomate, chef de guerre, manœuvrant un président qu'il a toujours méprisé et s'érigeant en chef de gouvernement bis, mettant la politique française au service des États-Unis et d'Israël, Laurent Fabius semble être un bien étrange ministre des Affaires étrangères.
Son accession à ce poste est déjà singulière. L'ancien premier ministre de Mitterrand qui avait dû renoncer à ses ambitions présidentielles aux primaires de 2007 s'était mis au service de Martine Aubry après avoir caressé l'espoir de seconder DSK. Il ne cachait pas son mépris profond pour Hollande qu'il avait, entre autres quolibets, surnommé : "fraise des bois". Mais quand le président du conseil général de Corrèze devient au soir du second tour des primaires le candidat officiel des socialistes, Fabius se précipite à la tribune, serre la main du vainqueur et embrasse Pierre Moscovici, son plus proche lieutenant.
Empressé autour de Hollande à Rouen, le représentant à la télévision face à Nicolas Sarkozy, Fabius s'affiche comme un soutien zélé de l'homme qu'il s'employait à déconsidérer naguère. Un soutien cependant qui déjà laisse voir une ambition en filigrane. En effet c'est Fabius qui voyage à la place de Hollande et va d'Amérique jusqu'en Chine en passant par Israël parler pour lui de politique internationale.
Alors, lorsqu'enfin Hollande est élu président de la République, Fabius ne fait plus mystère de sa candidature aux Affaires étrangères. On a même carrément l'impression que c'est lui qui se désigne ministre avant qu'Hollande ait proclamé son choix. Il suffit de se remémorer l'assez long temps de tractation pendant lequel la place de Fabius au Quai d'Orsay était donnée comme acquise.
Sous la cinquième république, où l'on est encore, c'est le président qui conduit la politique extérieure. Avec Fabius il apparaît nettement que c'est le ministre des Affaires étrangères qui la mène. L'exemple du Mali est on ne peut plus parlant. Lors de sa conférence de presse du 13 novembre 2012, François Hollande est extrêmement clair : "En aucun cas, la France n'interviendra elle-même au Mali". Dans un temps où l'on est extrêmement attentif à la vérité de la parole publique, on ne peut qu'être frappé par le contraste entre cette affirmation quasiment solennelle du 13 novembre et le déclenchement des frappes aériennes sur le Mali le 11 janvier suivant, donc moins de deux mois après.Il est incontestable qu'il y a eu un retournement par rapport à l'engagement présidentiel que la prise de Kona ne saurait justifier. Hollande disait clairement le 12 novembre : "en aucun cas". Et la prise de Kona était forcément un de ces cas sous-entendus qui ne pouvaient changer la détermination de la France. Lorsqu'on entend Fabius peu après cette conférence dire qu'il n'y aura pas d'engagement de la France au sol, on voit clairement la contradiction implicite avec l'affirmation de Hollande. Dire qu'il n'y aura pas d'engagement au sol, cela veut dire qu'il y aura sans doute des frappes aériennes. Et c'est bien ce qui se passe le 11 janvier, en contradiction avec ce qu'avait promis Hollande mais non pas avec ce qu'avait laissé entendre et vraisemblablement imposé Fabius.
La réaction de deux anciens ministres des affaires étrangères met bien en relief ce que l'action de Fabius a pour le moins d'inapproprié. Dominique de Villepin publiait dès le 12 janvier dans le Journal du Dimanche une tribune où il opposait une dynamique nationale, régionale et politique au Mali et chez ses voisins, au déclenchement d'une "guerre contre le terrorisme" aveugle et solitaire ne pouvant que faire essaimer les djihadistes et entraîner un engrenage. Une semaine après, dans l'émission de Taddéi sur France 3, Roland Dumas précisait qu'on ne peut déclencher une guerre sans avoir auparavant tenté tous les moyens de négociation. Fabius non seulement semble ignorer la diplomatie, la politique de négociation menée au Burkina-Faso par le président par intérim Amadou Toumani Touré, les réticences des États africains à engager une confrontation mais il force carrément la main de l'Algérie en prétendant après les premières frappes que ce pays avait autorisé le survol de son territoire, allégation que le président algérien n'a pas osé démentir.
Mais ce n'est pas seulement à l'Algérie que Fabius a forcé la main, c'est à l'ONU elle-même en alléguant que l'attaque française est conforme à la résolution 2085 du 20 décembre, cette résolution qui n'autorisait l'envoi au Mali que d'une force essentiellement africaine et n'autorisait pas les frappes aériennes par la France. Or ces frappes qui, comme je l'ai souligné ("La France tueuse au Mali"), furent extrêmement meurtrières ont été accompagnées d'un discours de Fabius extrêmement violent contre les rebelles islamistes présentés tous comme des bandits et des meurtriers à abattre. A une intervention militaire aérienne dont le but proclamé est d'empêcher l'invasion du sud, succède alors par la volonté de Fabius une guerre d'invasion et d'extermination des éléments rebelles. C'est alors que Hollande parle de la nécessité de "détruire les terroristes".
Mais ce mot d'ordre terrible n'est que la reprise de la violente rhétorique de son ministre. Lorsqu'on voit l'armée française patrouillant dans le massif des Ifoghas aux confins du Nord Mali pour débusquer et tuer les rebelles qui s'y sont réfugiés, on mesure la distance énorme qu'il y a entre cette guerre exterminatrice et l'affirmation ferme de Hollande : "en aucun cas la France n'interviendra elle-même au Mali". On voit aussi le triomphe de ce ministre des affaires étrangères qui conduit la politique du pays jusqu'au bout d'un chemin guerrier.
A cette guerre malienne, Fabius semble avoir aussi tout fait jusqu'alors pour ajouter une guerre syrienne, traitant le président Bachar Al-Assad de tous les noms et œuvrant pour fournir à l'opposition des armes qui aggraveraient encore la guerre civile. Certes, on le voit maintenant -mais pour combien de temps ?- revenu à plus de prudence dans la crainte que les armes fournies à l'opposition soient utilisée d'abord par les activistes islamistes.
Ainsi d'est en ouest du Proche Orient, Fabius semble bien avoir imposé à Hollande une politique violemment interventionniste. Il faudrait ajouter à cela la façon comminatoire dont il s'adresse aux Iraniens au côté de Washington, la faiblesse de sa condamnation de la colonisation israélienne en Palestine, sa visite très amicale à Israël pour apercevoir le dessein de toute une politique. Lutter contre les forces islamiques au Mali, au Sahel et jusqu'au Maghreb, aider au démantèlement de la Syrie trop longtemps une gêne pour Israël, menacer l'Iran qui contrôle le Hamas et le Hezbolla, n'est-ce pas une politique qu'on pourrait qualifier de sioniste ?
Et l'on voit mal qui pourrait arrêter ce superministre de la guerre qui remet en place ses collègues (comme Moscovici par exemple), purge le personnel des affaires étrangères (cf l'actualité récente : "purge au Quai d'Orsay") et parle trop souvent avant le chef de l’État.
- Source : Clément Dousset