Diviser et dresser les uns contre les autres, pour régner
Starikov excelle à jongler avec la géopolitique, l’histoire de la Russie et les événement contemporains. Il met en œuvre ici deux éléments clés de ce début de XXIe siècle : la conviction qu’ont les Russes de l’existence chez leurs adversaires d’une volonté de démanteler la Russie, et la description de la tactique systématiquement mise en œuvre par ces derniers.
«Diviser pour régner» disait le vieil adage romain. Et Rome agit de la sorte, subjuguant les peuples pour installer et maintenir son pouvoir. La technologie de la domination des Anglo-saxons se base sur ces mêmes règles. Nos «partenaires» empruntèrent à Rome non seulement son droit et ses valeurs culturelles, mais également les principes sur base desquels elle menait son combat géopolitique.
Et ils utilisent encore les mêmes principes de nos jours. En analysant la situation actuelle, nous pouvons apprendre beaucoup et comprendre les méthodes d’action de nos opposants. Les Romains aimaient s’exprimer de façon concise. «Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu», voilà l’aphorisme condensant la pensée du grand César. Rien à ajouter, rien à retirer. Toutefois, en ce qui concerne la règle «Diviser pour Régner», de toute évidence, nous devons rajouter un stade supplémentaire. Diviser et dresser les uns contre les autres pour régner. Ainsi ce concept acquiert sa forme définitive.
L’histoire offre de nombreux exemples dans lesquels cette tactique fut mise en œuvre. C’est le cas du tableau de l’assujettissement de l’Inde par les Anglais, alors qu’ils dressèrent sans cesse les rajas les uns contre les autres, pour finalement les écraser tous. Les scènes de la capture et de l’extermination des Indiens d’Amérique nous sont mieux connues. Les Anglo-saxons concluaient des alliances avec certaines tribus, contre d’autres. Et après une victoire, ils inoculaient la variole à leurs alliés de la veille.
Mais ces exemples se sont déroulés loin de notre pays. Examinons maintenant notre propre histoire. L’Empire de Russie, immense, puissant. Donc, très dangereux pour nos concurrents. La Finlande fut progressivement intégrée à la Russie. La première étape fut la Paix de Nystadt, conclue en 1721 avec la Suède. L’Estonie, qui faisait partie de la Finlande, et la Lettonie, qui était à la Suède, furent achetées pour quelques millions de thallers-or. Une partie supplémentaire de la Finlande revint à la Russie sous Élisabeth Petrovna, et finalement, le territoire de la Finlande fut «rassemblé» au sein de l’Empire de Russie sous Alexandre Ier. Ce qui fut caractéristique, c’est que toutes ces acquisitions ne furent réalisées ni par des conquêtes, ni par des occupations, mais à travers des négociations avec la Suède. Leur légalité ne fut contestée par personne.
Pour ce qui est du droit international, la Finlande devint régulièrement partie de l’Empire de Russie. Elle disposait de son propre parlement, alors que la Russie elle-même n’en avait pas encore, ainsi que sa propre unité monétaire, sa police et ses douanes. Lors du voyage de Petersbourg à la Finlande, dont la limite se trouvait à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, il fallait passer la douane, tout en restant dans les limites de l’Empire de Russie. Ce statut particulier de la Finlande fut une aubaine pour les révolutionnaires qui commettaient leurs attentats dans la capitale et s’enfuyaient ensuite rapidement chez les Finlandais. Et le pouvoir impérial ne put rien y faire, jusqu’à la révolution et sa propre chute.
Aucun soulèvement contre le «sanguinaire régime tsariste» n’eut jamais lieu en Finlande. Pourquoi donc ? Parce que la situation convenait parfaitement aux Finlandais. Jamais ils n’avaient eu leur propre État, et ils n’en réclamaient pas particulièrement un.
Mais en février 1917, les traîtres de l’intérieur, avec le soutien de l’Entente, se mirent à désorganiser la Russie. Et lors de l’étape suivante, en octobre, Lénine reconnu la séparation de la Finlande. De quoi s’agissait-il ? D’un pays uni au sein duquel on n’avait jamais entendu parler d’opposition entre Finlandais et Russes. Tout comme il n’y en eut pas entre Russes et entre Finlandais au cours des siècles précédents. Il fallait détruire l’État, il fallait le diviser, alors que la guerre civile venait de commencer, et qu’en Russie, des Russes tuaient des Russes, et juste à côté dans la Finlande «indépendante», des Finlandais tuaient des Finlandais.
Vint ensuite l’étape suivante, les uns dressés contre les autres. En Russie, les rouges vainquirent, en Finlande, les blancs. Voilà le conflit. Alors qu’il n’y en eut jamais. L’Entente arma la Finlande, qui ne disposait pas d’armée tout simplement parce qu’il n’y avait pas de Finlande. Les Anglais utilisèrent leur territoire pendant la guerre civile en Russie, afin d’attaquer Kronstadt et la flotte. Les premiers bombardements de Piter dans ses limites actuelles sont à porter au compte de pilotes britanniques, et non allemands ; ils datent de la période de la guerre civile.
Le résultat se traduisit par de la méfiance et de la haine, par la division, là où il n’y en eut jamais. Et cela demeure aujourd’hui encore. En 1939 débuta la guerre russo-finlandaise, qui se répéta au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Quand existait un Empire de Russie, les Russes et les Finlandais ne pouvaient combattre les uns contre les autres ; ils n’avaient aucun motif d’entrer en conflit.
Voilà la méthode des Anglo-saxons. Ils commencent par diviser un pays en morceaux. Ensuite ils suscitent un conflit, apportant leur soutient à une des parties (la plus petite et la plus faible) dans sa lutte contre l’autre. Dresser l’une contre l’autre dans un conflit militaire les parties d’un pays unifié, les affaiblir toutes les deux et ensuite soumettre tout le pays à sa mainmise ; voilà la méthode.
Ayant compris cela, nous pouvons examiner son application dans le cadre de la situation en Ukraine. En 1991, et auparavant, l’Occident soutenait tous ceux qui contribuaient à déchirer l’Union. Ayant recours à la propagande, à la falsification de l’histoire, à la prise du pouvoir par des marionnettes à sa solde, il voulait provoquer un conflit entre la Russie et l’Ukraine. Un tel conflit n’avait jamais eu lieu au cours de l’histoire puisqu’il s’agissait de deux parties d’un seul peuple, d’un seul pays. Dans l’histoire de tous les pays européens, des confrontations les opposèrent les uns aux autres au cours du Moyen-Age, mais cela n’interféra ni d’une manière ni d’une autre dans la création de l’Union Européenne. Mais pour l’Ukraine, on est allé rechercher d’antiques griefs mutuels et on les a enflés par tous les moyens afin de créer l’illusion d’une hostilité «séculaire» avec la Russie. Au moment jugé opportun par l’Occident, on entama le conflit armé au Donbass, en vue d’exciter l’une contre l’autre Russie et Ukraine, et de les attirer dans une guerre.
La méthode consistant à diviser et ensuite dresser les parties les unes contre les autres, est universelle et elle fait l’objet d’un usage continuel. Le but est de morceler sans cesse. On a dressé l’Ukraine et la Russie l’une contre l’autre. Le plan initial n’a-t-il pu être mené à terme ? Qu’à cela ne tienne, nous essaierons de morceler la Russie. «Il faut cesser de nourrir le Caucase !», «Plus de transfert d’impôts et d’accises de Sibérie au profit de Moscou !», «La Sibérie appartient au monde entier !», «Liberté pour l’Ingrie et la Carélie !», «L’Oural peut vivre comme la France, il lui suffit d’imprimer ses francs !», «Saint-Pétersbourg peut devenir une ville franche !», etc… L’important n’est pas ce qu’on détache; le Caucase de Moscou ou Moscou du Caucase, l’essentiel est d’appliquer la «devise de Rome».
Je souhaite souligner un point. La place de ceux qui prônent la division de la Russie, c’est… en prison. Pourquoi demeurent-ils libres ? Pour moi cela reste une énigme. Très peu nombreux sont ceux qui veulent détacher la Sibérie et la Carélie de la Russie. Ils sont une quinzaine, pas plus.
Un seul procès exemplaire, accompagné de l’emprisonnement de deux ou trois des mutins sera suffisant pour que les autres soit mettent un terme à leurs activités (s’ils se sont trompés, en toute bonne foi), soit s’exilent à Londres et les y poursuivent (s’il s’agit de scélérats rémunérés). Il faut prendre tous ces «régionalistes» très au sérieux. Ils s’intègrent à la première étape de la méthode des Anglo-saxons, l’étape qui se termine toujours par la guerre. Même là où il est impossible de se l’imaginer. Qui pouvait imaginer une guerre au Donbass voici deux ans ?
Mais ce n’est pas encore tout.
La défense seule ne permet pas de gagner la guerre. L’attaque est nécessaire.
C’est pourquoi, après avoir mis au frais ceux qui veulent enlever la Sibérie, le Caucase ou Piter de la Russie, nous devons intervenir sur la scène internationale en faveur du droit des nations à l’autodétermination. Nous supportons le Québec libre (à la suite de Charles De Gaulle), nous sommes en faveur de la Californie libre.
Quant la nécessaire réunion de l’Irlande du Nord avec l’Irlande, elle est tellement évidente, qu’il n’y a rien à ajouter ni à discuter.