Visite du président russe en Italie et au Vatican: le monde a besoin de Poutine
A quelque chose malheur est bon. Depuis que la Russie est «isolée» du reste du monde par les sanctions occidentales, Vladimir Poutine a effectué des voyages et signé des contrats économiques et stratégiques avec une vingtaine de pays. Le 10 juin, il a effectué une visite d’un jour en Italie.
Le programme fut extrêmement chargé et…provocateur. La rencontre du dirigeant russe et du chef de l’Eglise catholique, le pape François, a suscité l’ire des Etats-Unis, l’ambassadeur américain au Vatican ayant conseillé au souverain Pontife de prendre une position plus dure face à la Russie, voire d’annuler la rencontre. Plus tôt dans la journée, Vladimir Poutine s’est rendu à Milan où il était reçu par le premier ministre italien Matteo Renzi pour inaugurer l’année de la Russie à l’EXPO-2015, puis à Rome pour y retrouver le président italien Sergio Mattarella.
Rien n’a filtré sur le menu de l’entretien entre MM.Poutine et Renzi. Bien que l’Italie ne fasse pas partie des «faucons» en matière de relations avec la Russie, elle fut l’un des signataires du sévère communiqué à l’issue d’une réunion des dirigeants du G7 en Bavière. Les sept chefs d’Etat et de gouvernement y ont unanimement lié la durée des sanctions contre Moscou à «la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk-2».
A Vladimir Poutine — l’économie, à Matteo Renzi, la diplomatie, nous a confié Jacques Fayette, spécialiste des relations économiques France-Italie, professeur honoraire à l’université Lyon 3.
«La Russie et l’Italie ont des relations historiques, souligne Jacques Fayette. La Russie est un partenaire très important de l’Italie, et l’Italie apparaît comme le deuxième partenaire de la Russie en Europe, avant la France. La Russie est un grand exportateur des matières premières, et l’Italie — des biens d’équipement et de consommation. Il était significatif que le président Poutine fût accompagné de responsable de l’industrie pétrolière et que parmi les personnalités italiennes qui accompagnaient le président du Conseil Matteo Renzi, il y eût également le responsable de l’ENI, société pétrolière italienne historiquement importante pour la Russie, avec laquelle elle a développé des relations depuis plusieurs années.» Le leader russe a centré son intervention sur les liens commerciaux entre Moscou et Rome, quatrième partenaire commercial de la Russie et troisième importateur de gaz. Profitant de sa présence en Lombardie, la région la plus riche, la plus industrialisée et, à propos, dirigée par le parti prorusse de la Ligue du Nord, il a souligné à quel point l’embargo pénalisait les entreprises de la péninsule (400 d’entre elles sont présentes en Russie).
«Vient ensuite l’aspect politique, continue Jacques Fayette. Au lendemain du sommet de G7 en Bavière qui a posé quelques difficultés, c’est un voyage qui a deux symboles forts. Je ne pense pas que l’Italie puisse prendre une décision particulière à l’intérieur de l’ensemble européen. Sa décision était de se joindre à la position commune européenne, même si elle a fait un certain nombre d’observations sur l’opportunité de ces sanctions.
En 2014, les ventes italiennes ont baissé près de 10% du fait des sanctions réciproques. Le président Poutine a déclaré à Milan qu’en raison des sanctions, les entreprises italiennes perdaient un milliard d’euros chaque année et qu’elles allaient être obligées de trouver des partenaires dans d’autres pays.
Ce qu’il faut, c’est ce que tout le monde souhaite: à l’intérieur du processus de construction économique et politique de l’Union Européenne, c’est que les rapports avec la Russie restent positifs et facilitent à la fois le développement économique et les relations harmonieuses. On a tout de même suffisamment de problèmes communs avec d’autres pays, d’autres parties de la zone. Le président Poutine a encore rappelé que même avec les Etats-Unis, avec lesquels les relations ne sont pas toujours très bonnes, il y a encore des terrains de coopération, comme celui des négociations avec l’Iran.»
Cerise sur la gâteau — la rencontre tant redoutée des Etats-Unis entre Vladimir Poutine et le pape François qui ont discuté de la situation en Ukraine et au Proche-Orient. Le chef de l’Etat russe, qui se présente en fervent orthodoxe et ami de l’Eglise russe, avait déjà été reçu par le nouveau pape le 25 novembre 2013. Depuis, la guerre civile syrienne est devenue incontrôlable et le conflit ukrainien a placé le Vatican et le Pontife face à un nouveau défi, illustrant l’étroitesse de leur marge de manœuvre.
«Je pense que c’est une rencontre importante, continue notre expert réputé, Jacques Fayette, parce que, dans notre monde, où les tensions pour des raisons religieuses deviennent très fortes, il est important que les relations entre tous les représentants des Eglises orthodoxes et de l’Eglise catholique romaine soient positives, même si la division historiquement date de 1034. Je crois que nous avons beaucoup de choses en commun et que plus le christianisme peut être mis en question dans le monde, plus ceux qui partagent la même conviction doivent travailler ensemble pour la paix et défendre les valeurs évangéliques. Il y a quand-même un problème essentiel qui est: comment les églises aujourd’hui peuvent répondre aux enjeux du monde actuel qui sont la contestation, d’abord, du christianisme dans certaines zones de la planète, et puis, la déchristianisation de notre monde contemporain qui est plus forte en Occident qu’en l’Orient. Dans ce contexte, je pense que le pape et le président Poutine auront des choses à dire.»
Pour reprendre les paroles de notre expert Jacques Fayette, le déplacement du président Poutine dans un pays occidental, en l’occurrence, en Italie et au Vatican, a un double sens. D’abord, il doit être perçu dans le contexte des tentatives des G7 d’isoler la Russie. Ensuite, il s’agit du double statut du Pape. En tant que chef d’Etat, il a un statut de politicien, tout en étant un «chef spirituel».
Il semble que la Russie cherche à devenir un Etat supra confessionnel à l’opposé des standards hollywoodiens. En ce sens, il y a un vaste champ de coopération directe entre l’Eglise orthodoxe russe et l’Eglise catholique. En ce qui concerne les conseils du Big Brother sur l’isolation de la Russie, Washington semble avoir oublié qu’il avait affaire à un Argentin et plus à un Polonais. Pour un ressortissant de l’Amérique Latine, les Etats-Unis sont un centre d’influence trop proche et importun pour suivre ses conseils.
Rappelons que le déplacement actuel est la sixième visite étrangère de Vladimir Poutine depuis le début de l’année. Il s’est déjà rendu en Egypte, Biélorussie, Hongrie, Kazakhstan et Arménie. En juillet, se tiendra en Russie le sommet des BRICS qui représentent 45% de la population mondiale et un PIB égal à l’UE, et de l’OSC à laquelle l’Inde et le Pakistan, pays observateurs, adhéreront. Une image qui résume bien la situation de l’«isolement» de Poutine.
- Source : Valérie Smakhtina