Habemus papam : parlottes et calembredaines
Tribune libre d’Alain Versedetout C’est à n’y plus rien comprendre ! Depuis la renonciation de Benoit XVI jusqu’à l’élection récente du nouveau souverain pontife, la crème des crèmes des spécialistes et commentateurs professionnels en questions religieuses et catholiques, avait pourtant fait un effort considérable de pédagogie pour éclairer notre gouverne et nous permettre de tout comprendre de cette institution d’un autre âge, moribonde malgré ses quelques centaines millions de pratiquants (ce qui compte quand même peu, puisqu’ils sont majoritaires dans le tiers-monde, donc, sans racisme aucun, arriérés et retardés… des catholiques quoi !). Nous avions eu l’infini honneur d’entendre les avis éclairés et les explications intelligentes des Laurel et Hardy de l’histoire des religions, MM. Lenoir et Vallet, invités à vie des plateaux dès qu’il est question de la religion catholique. Ils nous avaient pourtant expliqué et révélé avec un sérieux qui nous avait presque fait oublier leur anticléricalisme primaire, les dessous de la curie, les complots et arrangements des partis, les tractations en sous-main et les peurs de prélats plus soucieux de retrouver une clientèle à leur fonds de commerce que préoccupés par la chose spirituelle. On avait compris que le futur pape était, sans aucun doute, dans cette fameuse liste de papabili qui nous était présentée, que ce serait un communicant hors pair, un réformateur notoire, un homme tourné vers la modernité et que c’était les rapports de force qui faisaient l’élection, qu’il serait Italien, Africain ou Nord-Américain, et que seuls les naïfs pouvaient encore croire que c’était un choix en âme et conscience qui déciderait du nouveau souverain pontife. Ce nouveau pape se devait, si possible, d’être noir, car quand même ce serait bien un noir dans l’Église, et puis, un Africain, ça ne peut pas être conservateur, un pape jeune, ouvert sur le monde ; favorable au mariage des prêtres, car il n’est quand même pas sympa de priver les prêtres de la bagatelle, en plus ça cause de la pédophilie, c’est bien la preuve qu’ils ont du retard sur le temps les bougres ! Soucieux de pédagogie et de service public, nos journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, nous avaient même proposé, leur tiercé gagnant de papes souhaitables, nous expliquant ce dont l’Église avait besoin, et que les cardinaux seraient bien bêtes de ne pas les suivre, car l’Église devait évoluer avec son temps. Tels des végétariens intégristes expliquant à des amateurs de viande ce qui serait meilleur entre un tournedos, une escalope de veau ou un rôti de cheval, nos commentateurs éclairés qui, malgré leur répulsion et leur dégoût engendrés par l’institution séculaire, nous avaient prédit avec force, conviction et sérieux, qu’il en serait ainsi et que les choses ne pouvaient en être autrement. Les commentaires de la fine crème de la parlotte audiovisuelle, sans doute très bien documentés grâce aux œuvres complètes de Dan Brown, nous avaient expliqué en long et en large qu’il fallait un pape ouvert, plus soucieux des pauvres que de vie spirituelle, pas obsédé par les questions du préservatif et de morale sexuelle qui n’intéressent personne, car, quand même, tout le monde le sait, les obsédés de la bagatelle, sont du côté du Vatican et non du côté des caméras ou des micros qui pourtant nous en remettent une louche sur le sujet dès qu’ils le peuvent, surtout quand il n’est pas question dudit sujet… Après nous avoir expliqué « qu’à la différence de Benoit XVI, Jésus n’était pas descendu de sa croix » (!), que les cardinaux finiraient par être privés de nourriture si le conclave durait trop longtemps, et après nous avoir abreuvés jusqu’à plus soif de pseudos références historico-sociolo-culturo-religieuses dignes des séries ô combien historiques que sont « Borgia », « Inquisito » ou pourquoi pas de l’attrape-gogos qu’est le musée de l’Inquisition (qui présente de vraies-fausses machines à torture inventées et fabriquées au XIXe siècle mais censées être la preuve de la torture sous l’Inquisition !), il ne restait plus vraiment grand-chose à dire de plus stupide, et le temps commençait à être long avant que ne démarrent et ne s’achèvent les « primaires » catholiques. « Nous aurons aussi appris, qu’en France, le travail journalistique ne consiste visiblement pas en la description de la réalité telle qu’elle est, mais telle qu’elle est fantasmée par ceux qui ne la connaissent pas. » Les médias ayant horreur du vide et de l’absence d’événement, il fallait bien remplir l’antenne et noircir le papier : les sujets se faisaient rares et supputer sur le futur souverain pontife permettait d’éviter des sujets plus gênants comme la hausse du chômage et du déficit ainsi que la tentative catastrophique de reconquête de l’opinion par le président en voyage à Dijon. Alors, il leur restait à sortir de derrière les fagots, la »spécialiste » du Vatican made in presse people qui avait un bouquin à vendre. Les dessous du Vatican, ça c’était du croustillant, cela permettait au moins de remplir l’antenne de ses sarcasmes et de ses propos sans preuves mais si délicieux à entendre : car apprendre que les cardinaux sont des hommes et que pardi, ils ont un sacré caractère et que, le Vatican, c’est pas tout joli joli, que les choses sont trop cachées pour qu’on puisse les voir, mais que c’est bien la preuve qu’ils ont des choses à cacher, c’est tout de même du lourd ! Quand il faut vendre de l’info à tout prix et qu’on n’a plus rien à vendre, l’important est sans doute de laisser sous-entendre à l’acheteur potentiel ce qu’il est supposé avoir envie d’entendre ! Du grand art digne de cette presse à sensations qui nous annonce à coups de gros titres qui donnent envie de lire que le chanteur à texte Claude François n’est en fait pas mort, puisque, pour le beau-frère de la belle-sœur du grand-oncle du frère de lait de la cousine par alliance de la nièce de la vedette, il vit toujours… dans le cœur de ses fans. Et patatras, voilà-t-y pas que ces cuistres de Cardinaux n’en ont fait qu’à leur tête, et nous ont dégoté un illustre inconnu, mettant en échec les bookmakers de la Terre entière et les spécialiste de hauts vols patentés, histoire de prouver qu’ils sont encore les seuls maîtres à bord, où qu’ils ne lisent pas la presse française. Le conclave, qui devait être long et pénible (preuve de tensions énormes au sein de l’Église), a duré à peine 2 jours. Les cardinaux ont élu un inconnu, même pas sur les listes, âgé de 76 ans et pas franchement une tête de killer ! Bon, malgré tout, avant de passer à autre chose, on arriverait bien à s’en commander et faire avec, surtout quand on le présente comme un « pape normal », qui a le bon goût de se faire appeler François. Et puis de ses attitudes, et de ses premières paroles, on arriverait bien à en déduire une quelconque opposition, condamnation ou prise de distance avec ses prédécesseurs. Surtout que, cerise sur le gâteau, n’ayant ni été exécuté ni arrêté durant la dictature Argentine, on finirait bien par lui inventer je ne sais quelle complicité ou silence commis durant les heures sombres de son pays. Il serait toujours temps après coup de se lamenter de ce pape qu’on n’espérait pas trop catholique, mais qui, derrière ces apparences bienveillantes et sa bonhommie, se révélerait finalement aussi réactionnaire et conservateur que les autres, ce qui sera la preuve, « que les cardinaux avait manqué de courage… ». Reconnaissons à nos commentateurs avisés qu’ils ont su à cette occasion, une fois encore, nous démontrer avec brillo que l’important n’est pas de dire des exactitudes et des vérités, mais de tenir les propos que nos censeurs ont envie d’entendre . Nous auront appris, à cette occasion, que pour être invités à prendre la parole sur tous les plateaux, nul n’est besoin d’avoir des choses intelligentes à dire ou d’avoir de la rigueur intellectuelle à revendre. L’important étant surtout d’asséner des sottises le plus sérieusement du monde, ponctuées de « heu » et de « en l’occurrence, tout à fait » avec beaucoup d’autosatisfaction et de fatuité. L’indispensable étant d’avoir, au préalable, présenté son certificat en politiquement correct, sa maitrise en langue de bois option lynchage d’absents des plateaux qui n’auront, de toute façon, pas de droit de réponse, un brevet de capacité à asséner sans rire des contre-vérités qu’un journaliste inculte, qui ne croit pourtant pas aux Écritures, prendra pour parole d’Évangile, ou encore une adhésion sans borne au dogme « tout ceux qui y en a pas penser comme moi y sont vraiment intolérants et méritent pas de bénéficier de la démocratie que je représente et dont je suis le garant ». Nous aurons aussi appris, qu’en France, le travail journalistique ne consiste visiblement pas en la description de la réalité telle qu’elle est, mais telle qu’elle est fantasmée par ceux qui ne la connaissent pas. Tout cela pour dire que lorsqu’on est capable, le plus sincèrement possible, d’ânonner autant de bêtises que celles proférées dès que le mot « catholicisme » est prononcé, on est en mesure d’avoir le droit de douter de la capacité de nos médias traditionnels, à nous informer. Il y a quelques semaines, un commentateur professionnel d’une radio nationale, s’étranglait en direct en raison d’un sondage qui affirmait que les Français ne faisaient plus confiance aux médias en général et aux journalistes en particulier dont ils osaient, les INGRATS, remettre en cause leur neutralité et leur probité… L’élection du pape François, au-delà de la dimension religieuse, à été une bonne occasion de confirmer que les Français, malgré le climat de terrorisme intellectuel qui règne actuellement, ont encore gardé un peu de bon sens !
- Source : Eric Martin