La Licra, son livre contre le racisme et l’antisémitisme : un prêche partial pro-israélien
En septembre dernier, la Licra a publié un ouvrage rassemblant 100 textes, relatifs à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Problème, quand il est question d’Israël, il n’est jamais question de Palestine. Pour Pascal Boniface, qui a décortiqué les textes, ce traitement de la question du racisme et de l’antisémitisme est extrêmement problématique.
La Licra a édité en septembre 2014 « 100 mots pour se comprendre, contre le racisme et l’antisémitisme », sous la direction d’Antoine Spire et Mano Siri, aux éditions « Le bord de l’eau ».
Ce livre vient d’être publié sur le site Eduscol du ministère de l’Education nationale, qui a récemment renouvelé son partenariat avec la Licra, pour des interventions dans des établissements scolaires, ou la formation des formateurs.
Un traitement fondamentalement partial de la question
Combattre le racisme et l’antisémitisme, rien de plus nécessaire. Il n’est pas certain que ce livre y contribue réellement. On parle beaucoup d’éviter d’importer le conflit du Proche-Orient en France. J’ai déjà eu l’occasion de dire que ceci me paraissait vain, ce conflit étant de fait déjà importé. Le véritable objectif doit être d’en limiter les conséquences négatives sur notre société.
Le livre en question aborde bien le sujet, mais de façon tout à fait partiale. La volonté de donner un visage positif d’Israël est nette. L’entrée Israël est rédigée par Frédéric Encel. On peut y lire (p.93) :
« Seule authentique démocratie au Moyen-Orient, Israël fut confronté dès sa création au rejet quasi unanime des voisins arabes, et mena plusieurs guerres pour asseoir son existence. »
Des élèves qui auraient fait un peu d’histoire pourraient s’interroger sur qui fut à l’origine de guerres en 1956, 1967 et 1982.
Rassurons-nous, le processus de paix « finira sans doute par aboutir à un partage territorial entre l’État juif d’Israël et un État arabe de Palestine ». On ne sait pas trop quand. Mais aucun mot sur l’occupation, les checkpoints, la répression ou la colonisation, pour ne pas parler du blocus de Gaza.
« Quant au racisme, s’il existe hélas autant en Israël que dans d’autres pays, celui-ci tombe sous le coup de la Loi. » (p.94)
C’est oublier un peu rapidement les multiples déclarations de l’extrême-droite israélienne ou les manifestations où l’on crie « mort aux Arabes ».
On apprend aussi, à la même page, qu’ « une forte minorité arabophone dispose des mêmes droits et devoirs civiques que ceux de la majorité juive. »
D’énormes oublis, dont le mot « islamophobie »
Le terme Palestine, Palestiniens, n’apparaît pas. Le terme sionisme (antisionisme), oui. Il est jugé utile d’écrire que « l’arrivée d’Hitler au pouvoir et les débuts de la Shoah accompagnent la montée en puissance du mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini qui croit pouvoir, en soutenant les nazis, contribuer à liquider la question juive de Palestine. » (p.140)
Mais rien sur les attentats des extrémistes juifs pour faire partir les Britanniques avant la création d’Israël. On apprend que « les armées arabes pourtant supérieures en nombre perdent la guerre » (de 1948) et qu’ « Israël conquiert 26% de territoires supplémentaires par rapport au plan de partage. »
Mais les termes de « réfugiés » ou « nakba » n’apparaissent pas.
Un chapitre est consacré au terrorisme, qui est réduit à sa dimension islamiste.
Le terme islamophobie est absent, et celui d’islamiste assimilé à islamiste radical ou terroriste, sans nuance. On apprend dans l’introduction (p.13) : « Chaque islamiste contribue un peu plus à diaboliser l’Islam. » Ennahda, l’AKP, les Frères musulmans, le Hamas, Al-Qaida, Daesh, tous dans le même sac ?
Une présentation grossière et biaisée
Peut-être certains lecteurs adhéreront à ce type de message et en tireront une approche plus favorable à Israël. On peut penser qu’une partie non négligeable y verra un souci de donner aux évènements du Proche-Orient une lecture biaisée et pro-israélienne. Que tous ne sont pas à ce point ignorants de la situation et que le caractère excessif du parti-pris dans un document censé rassembler leur sautera aux yeux.
Cela les conduira à contester ce document. Va-t-on dès lors dire qu’ils contestent l’objectif de la lutte contre le racisme ?
Parmi les rédacteurs, on retrouve Robert Redeker, présenté comme « philosophe, menacé de mort suite à une tribune parue dans Le Figaro ». Les menaces reçues par Redeker sont inadmissibles. Chacun doit exprimer sa solidarité pour dénoncer de telles menaces. Cela n’oblige pourtant pas à adhérer à ses propos qui permettent de se demander s’il est réellement bien placé pour participer à un outil pédagogique de lutte contre le racisme.
Rappelons quelques extraits de sa prose de l’époque, dans « Le Figaro », du 19 septembre 2006 : « Le Coran est un livre d’une inouïe violence » ; l’islam est « une religion qui, dans son texte sacré même, autant que dans certains de ses rites banals, exalte violence et haine » ; Mahomet est « un chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame ».
On conviendra que ceci ne le rend pas très crédible pour participer à un manuel de lutte contre le racisme. Que sa présence peut légitimement être reçue par les musulmans comme une provocation.
Y-a-t-il quelqu’un qui au ministère a relu ce livre avant de le référencer ?
Ses auteurs ont manifestement choisi de privilégier la défense d’Israël à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. C’est leur libre-choix. Que l’Éducation nationale le cautionne officiellement est beaucoup plus discutable, et risque plus de faire monter les tensions que de susciter de l’apaisement.
Notes :
Pascal Boniface est Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut d’Etudes européennes de l’Université de Paris 8. Voir sa boiagraphie ici.
- Source : Pascal Boniface