Union nationale et traque aux dissidents, les raisons cachées d’un coup d’État silencieux
Repérer et sanctionner ceux qui ne sont pas Charlie : cette injonction résume à elle seule l’esprit du nouvel ordre sécuritaire qui s’installe jour après jour et qui a bénéficié avec la fusillade de Charlie Hebdo d’un effet d’aubaine exceptionnel. Car loin d’être seulement le symptôme d’une folie collective, la traque aux récalcitrants, automatiquement identifiés à une cinquième colonne, est le point d’orgue d’une politique répressive dirigée contre tous ceux qui tentent d’échapper au gigantesque bourrage de crâne administré par nos élites. Elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler la chasse aux quenelliers de l’année passée. Après la promulgation de deux lois antiterroristes, d’une loi de programmation militaire (le tout en moins de 3 ans !), de nouvelles mesures ont été annoncées par le trio infernal Valls-Cazeneuve-Taubira pour instaurer un régime d’exception en plaçant la totalité de la population française sous surveillance renforcée.
Une telle débauche de moyens ne peut que laisser perplexe eu égard à l’ampleur de la menace pour laquelle ils sont mobilisés. Les victimes du terrorisme en France se comptent presque sur les doigts d’une main et leur nombre est en tout cas bien inférieur à celui des victimes de la délinquance classique (près d’un millier d’homicides par an, sans compter les tentatives). La menace djihadiste, comme nous l’avions déjà évoqué, est bien un prétexte pour renforcer toujours plus le système de domination politique. La question restant de savoir au bénéfice de qui et, surtout, pourquoi maintenant…
Si la loi Cazeneuve promulguée à l’automne dernier n’a eu aucune efficacité pour prévenir l’attentat contre Charlie Hebdo, elle a en revanche conduit à l’arrestation de nombreuses personnes accusées de déserter la « grande mobilisation générale » contre le terrorisme. En instaurant un délit d’apologie du terrorisme (passible de 7 ans de prison et 100.000 euros d’amende), elle a fabriqué en masse des délinquants d’opinion exposés aux fourches caudines de la justice. Les établissements scolaires, dans lesquels est inculqué le catéchisme laïciste et « républicain », concentrent à eux seuls un grand nombre des victimes de cette chasse aux sorcières : des élèves de collège ou de lycée sont d’ores et déjà tombés par dizaines sous le coup de cette inculpation pour avoir refusé la minute de silence, tenu des propos non conformes, posté des messages provocateurs ou des dessins sur les réseaux sociaux. Un enfant de 8 ans (!) a même été entendu par les services de police pour avoir soutenu verbalement les terroristes. Des enseignants ont également été suspendus sur dénonciation de parents d’élèves.
Face à de telles outrances, on peut bien sûr plaider la folie collective. Mais comme bien souvent, cette hypothèse qui fait fi des causes réelles et des bénéfices engrangés par les manipulateurs n’explique pas grand chose. Le gigantesque bourrage de crâne administré par les élites politiques et les médias relève classiquement du formatage idéologique. « Tous unis contre le terrorisme » et gare aux déserteurs (forcément suspects de complaisance vis-à-vis de l’islamisme) : les mots d’ordre d’union nationale et de mobilisation générale contre un ennemi commun qui fonctionnement sur un schéma binaire (Charlie ou terroriste) justifient une politique qui tourne le dos à la démocratie et foule au pied les libertés. Concentration des pouvoirs aux mains de l’exécutif et laminage des contre-pouvoirs, notamment judiciaire, sur fond d’appels à l’unité nationale est une recette éprouvée pour resserrer les rangs dans les périodes de crise économique aggravée et de montée de la défiance à l’égard des responsables politiques. L’état d’exception est généralement mis en place pour résoudre par la force les contradictions du système quand celles-ci deviennent ingérables par les méthodes démocratiques. Il s’apparente ainsi au fascisme tel que le définissait George Dimitrov, compris comme la « dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier ». Il ne s’agit ni plus ni moins que de gouverner par la peur (des terroristes et/ou du pouvoir). Méthode toujours efficace si l’on en croit les sondages : la cote de popularité de l’exécutif remonte nettement et les Français se disent majoritairement prêts à sacrifier leurs libertés pour plus de sécurité.
Cette escalade sécuritaire qui rompt avec des décennies de tolérance relative du pouvoir vis-à-vis de la contestation sociale, est l’effet d’une dégradation de la situation économique caractéristique du stade impérialiste du capitalisme. L’éclatement de la bulle Internet et les attentats du 11 septembre, provoquant une baisse des indices boursiers de près de 70 % en 2 ans et demi, ont entraîné une brutale accélération de la crise. Le krach de 2001-2002 qui marque l’arrêt d’un cycle de croissance économique lié à l’essor des nouvelles technologies (1995-2000) est un véritable tournant dans l’histoire du capitalisme dont on n’a pas encore mesuré toute la portée. Près de 15 années plus tard, les indices boursiers européens n’ont toujours pas retrouvé leurs niveaux d’avant-crise. Guerre sans fin contre le terrorisme, recul des libertés publiques, montée en force de l’islamophobie politique et marasme économique sont les ingrédients de la politique post-11 septembre menée dans l’ensemble des pays développés.
Loin d’être l’effet d’une mode passagère, l’autoritarisme politique sur fond de « choc des civilisations » est la forme de gouvernance du capitalisme parvenu à son stade terminal. La crise économique qui touche les pays développés semble bien être en effet la dernière. De l’aveu même des experts, il est peu probable que l’économie mondiale renoue un jour avec la croissance et la stagnation économique est sans doute le seul horizon qui s’offre aux populations des pays développés condamnées ainsi au chômage de masse et à la paupérisation à perpétuité. En France, le chômage atteint tous les ans des niveaux record. Privé de grain à moudre et de toute perspective d’embellie économique, le pouvoir ne peut maintenir le système de domination que par l’usage d’une propagande toujours plus intense visant à enfouir la question sociale sous la question identitaire afin de diviser pour mieux régner. A défaut de transformer le réel, il s’agit de changer les consciences : fabriquer en série et dès le plus jeune âge des « Charlie » formés idéologiquement à la soumission politique, résignés à accepter leur sort économique et mobilisables dans la guerre sans fin menée par l’Occident contre l’Islam.
- Source : Nicolas Bourgoin