L’incroyable détournement du trésor des P-V
Censée retourner au bénéfice des conducteurs et de leur sécurité, la manne des amendes alimente bien d’autres circuits, parfois obscurs.
C’est un joli pavé dans la mare que vient de jeter la Ligue de défense des conducteurs (LDC) avec son enquête, plutôt décapante, sur l’utilisation de l’argent des P-V et autres amendes issu de la répression routière. L’association a mis sur la table des documents parfaitement officiels mais dont la physionomie peu avenante ne permet pas de tirer aisément des conclusions.
Au terme d’un patient travail de décryptage digne de Champollion, les enquêteurs de la LDC ont pourtant débusqué quelques énormités dont l’étrange affectation du produit des amendes n’est pas la moindre surprise.
Dire qu’il y a détournement de fonds au sens géographique du terme n’est pas usurpé. Dans le grand aiguillage des ressources de l’État provenant de la route, il est permis de dire que les usagers sont manifestement spoliés. On le soupçonnait déjà, en voici la confirmation : sur les 1,7 milliard d’euros tirés des 24 millions de contraventions dressées en 2012, bien peu sont revenus en 2013 à des investissements concernant la route et sa sécurité.
Sur ce pactole qui fait rêver le ministère des Finances, l’attribution des subsides de toutes sortes ressemble, hélas, à un inventaire à la Prévert et échoit surtout à des organismes sans aucun rapport avec la route.
L’auto finance le train
Pire, selon la LDC, “l’argent directement issu des contraventions échappe totalement à toute contrainte de répartition. Les sommes sont distribuées selon le bon vouloir du prince en fonction.” Et ceux qui voudraient croire que ces sommes servent à combler les nids-de-poule, à redresser les virages dangereux et à gommer les points noirs en seront pour leurs frais.
Ils financent en réalité aussi bien les transports en commun, largement déficitaires – la double peine pour les automobilistes qui ne peuvent les utiliser -, que “le remboursement de la dette de l’État, la construction de la ligne ferroviaire grande vitesse Est, l’amélioration des transports en commun dans les collectivités locales ou encore la modernisation du réseau fluvial”, souligne la LDC.
Que les conducteurs se rassurent, ils n’ont pourtant pas été oubliés… au titre du renouvellement des appareils radars ou à leur entretien. Les recettes issues de la répression routière servent déjà à financer le système lui-même, note la LDC, qui a découvert au passage que les dépenses d’investissement pour les radars ont augmenté de 68 % cette année.
“En 2014, 220 millions d’euros devaient ainsi être alloués au fonctionnement et à l’entretien des radars, ainsi qu’au renouvellement du parc de ces coûteuses machines. 19 millions d’euros devaient servir à financer le système de gestion des points du permis de conduire, et 31,6 millions d’euros devaient être réservés au déploiement des P-V électroniques. Ces fonds, prélevés directement dans la poche des conducteurs, servent uniquement à financer la pérennité du système répressif“, déplore la LDC.
Corne d’abondance
Mais cela n’est qu’une aumône en comparaison des autres financements. À la sortie de cette corne d’abondance, les mieux servis n’ont qu’un lointain rapport avec la route. Qu’on en juge. La plus richement dotée est l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Elle dispose d’un budget de 280 millions provenant uniquement de la route (amendes des radars, taxe d’aménagement du territoire, autoroutes…).
Or, les deux tiers de sa dotation servent principalement au transport ferroviaire et aux transports collectifs d’agglomération, tous les deux largement déficitaires. Si un usager devait payer réellement le prix de son train de banlieue, les tarifs doubleraient.
Donc, le système, en réprouvant l’automobile, se nourrit de son bon fonctionnement pour rééquilibrer les transports boiteux. “Ce soutien s’effectue au détriment de la modernisation et de l’entretien du réseau routier. En 2013, toutes taxes confondues, la route a rapporté à l’État 37,4 milliards d’euros, soit autant que l’endettement cumulé de 40 milliards d’euros de la SNCF et de Réseau ferré de France“, insiste la LDC.
Mais cet organisme n’est que le premier d’une longue liste de bénéficiaires où l’on trouve, en seconde position; l’Antai (Agence nationale de traitement automatisé des infractions), qui se livre à une “véritable activité industrielle”. L’étude met surtout en lumière les dérives de cette agence.
Activité industrielle du P-V
“Soucieuse des deniers publics, l’Antai affiche des objectifs dignes d’une entreprise privée. Croissance à plusieurs chiffres et développement font partie de son vocabulaire. Sa conduite révèle son ambivalence et, plutôt que de se réjouir de la baisse du nombre des infractions, elle planifie en permanence une hausse des sanctions. Pour un coût salarial moyen de 96.000 euros par an – près de 8.000 euros par mois et par agent -, 26 cadres de l’État veillent avidement à la prospérité de cet organisme“, déplore la LDC.
Vu sa situation, l’État aurait eu tort de s’oublier dans la grande redistribution et ce sont pas moins de 452 millions d’euros qui sont officiellement affectés pour 2014 à son désendettement. Ce qui représente tout de même 26,5 % de l’argent sorti de la poche des conducteurs !
On trouvera aussi des organismes comme l’Agence pour la cohésion sociale, qui fait de la prévention de la délinquance et des discriminations (45 millions d’euros). À ne pas confondre avec les collectivités territoriales qui, à elles seules, récoltent 680 millions d’euros “pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routière”.
170 millions d’euros sont affectés à l’amélioration des transports en commun et la circulation, mais le reste se noie dans un brouillard opportun où il n’est surtout pas question de traçabilité. “En réalité, cet argent peut servir à améliorer les infrastructures routières comme il peut servir aux équipements de la ville sans lien avec la sécurité routière comme la construction d’une ligne de tramway“, note Christiane Bayard, secrétaire générale de la LDC. Celle-ci rappelle opportunément que le facteur infrastructure est présent dans 40 % des accidents mortels.
À un moment où remontent les statistiques d’accidents et alors que l’état des routes ne cesse de se dégrader faute d’entretien, la LDC demande au gouvernement de mettre l’argent des conducteurs au service de la sécurité routière. Un vœu pieux qui laisse les usagers de la route sans trop d’illusions.
- Source : Jacques Chevalier