Les socialistes, éternels puceaux de la révolution
La nomination récente d’Emmanuel Macron, ex-banquier d’affaires, à la tête du ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, puis la déclaration sans détour du Premier ministre Manuel Valls – « J’aime l’entreprise » – semblent arriver comme une surprise pour nombre de commentateurs. On assisterait, nous dit-on, à une conversion surprenante des socialistes au libéralisme et pour ne pas trop brusquer l’esprit perturbé des militants, on parlerait alors de social-libéralisme.
Or, tout cela ne date pas d’hier. Qu’on me pardonne l’expression, mais les socialistes, en fait, ont toujours eu « le cul entre deux chaises ». Déjà, en ce début de siècle, le même Manuel Valls n’hésitait pas à dire : « Je veux aider à concilier la gauche avec la pensée libérale. » Et Ségolène Royal de renchérir : « Je soutiens sa volonté d’opérer une synthèse entre la gauche et le libéralisme. » Bertrand Delanoë, ex-maire de Paris, pastichant Danton avec son livre De l’audace !, est pleinement convaincu que « l’économie de marché n’est pas un débat, c’est un fait ». D’autres iront même jusqu’à l’indécence, comme Vincent Peillon : « Moi, je ne suis pas du tout pour la suppression des stocks-options, je pense qu’elles ont un rôle. » Il est loin, bien loin le temps où Francois Mitterrand déclarait : « La révolution, c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas cette rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut être adhérent du Parti socialiste. » C’est pourtant Pierre Bérégovoy, son Premier ministre, qui décide au début des années 90 la déréglementation des marchés financiers et des flux de capitaux.
Cette valse-hésitation des socialistes remonte en fait au XIXe siècle avec Jaurès qui affirmait : « En dehors des sursauts convulsifs qui sont parfois la ressource supérieure de l’histoire aux abois, il n’y a aujourd’hui pour le socialisme qu’une méthode nécessaire : conquérir légalement la majorité. » C’est-à-dire renoncer à la révolution, celle-là même qu’évoque Francois Mitterrand. Acceptant « l’ordre établi », Jaurès ajoute que la démocratie « protège la classe possédante contre les reprises de la violence » après avoir précisé qu’elle « donne des garanties aux deux classes tout en se prêtant à l’action du prolétariat vers un ordre nouveau ». Et le grand homme pousse l’angélisme jusqu’à croire qu’il n’est pas concevable que « les plus grands capitalistes, les plus colossalement riches… ne soient effrayés de la disproportion que l’énormité de leur richesse crée entre eux et le reste des hommes ». On imagine le sourire en coin des patrons de multinationales trouvant là finalement un appui auquel ils ne s’attendaient vraiment pas.
On connaît la suite : la scission du Parti socialiste au congrès de Tours en décembre 1920, les réformes certes osées mais incomplètes du Front populaire en 1936, la nomination du gouvernement Fabius en juillet 1984, puis le gouvernement Valls aujourd’hui. Bref, les socialistes auront toujours été les puceaux de la révolution : amoureux d’elle, ils n’auront jamais osé la prendre à pleine main. Sorel, en son temps, avait vraiment raison de déplorer : « Le socialisme parlementaire parle autant de langages qu’il y a d’espèces de clientèles : il s’adresse aux ouvriers, aux petits patrons, aux paysans… Aucune contradiction ne les arrête. »
Le Front de gauche et les Frondeurs sont aujourd’hui les derniers fruits amers de cette puberté politique, derniers parce qu’il est presque certain que le socialisme, cette fois, est en train de rendre l’âme définitivement. C’est donc un autre souffle qu’il nous faut, mais un vrai ! Un souffle enfin viril et qui balaie, une bonne fois pour toutes, « la société capitaliste »… un nouvel humanisme, en quelque sorte.
- Source : Philippe Arnon